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Société - Législatives 2022

Des fonctionnaires mécontents refusent de travailler le jour des élections

Les employés du secteur public mobilisés le 15 mai devraient toucher entre 3 millions et 3,6 millions de livres chacun, les frais de transport n’étant pas couverts. Une somme que beaucoup considèrent comme insuffisante, au vu des efforts à fournir et de la dépréciation.

Des fonctionnaires mécontents refusent de travailler le jour des élections

Des fonctionnaires aux manettes dans un bureau de vote d’Achrafieh, lors des élections de 2018. Hassan Assal/Archives L’OLJ

La bonne tenue du scrutin pourrait-elle être entravée par le refus de certains fonctionnaires de travailler le 15 mai, date du déroulement des législatives dans le pays ? Normalement mobilisés pour assurer la gestion des bureaux de vote, de nombreux employés du secteur public, dont un grand nombre d’enseignants des écoles officielles, ne semblent pas emballés par l’idée cette année, même s’ils sont rémunérés pour effectuer ce travail. Mobilisés à partir du 14 mai au matin jusqu’au dépouillement des votes le 15 au soir, les fonctionnaires devraient toucher entre 3 millions et 3,6 millions de livres libanaises chacun (à peu près 111 et 134 dollars, selon le taux du marché parallèle qui avoisine les 27 000 livres pour un billet vert). En revanche, la couverture séparée des frais de transport n’est pas assurée, ce qui alimente les réticences de certains fonctionnaires, vu les prix actuels de l’essence, d’autant qu’ils peuvent être affectés très loin de chez eux. Face à cette situation, certains employés du secteur public ont décidé de faire l’impasse sur les législatives, alors qu’ils ne sont autorisés à se désister qu’« en cas de force majeure ». Mais il semble que les autorités aient pris le parti de fermer les yeux cette année. C’est ce que montre le cas de Mayssa*, enseignante dans une école publique à Beyrouth, qui a tout simplement choisi d’ignorer la convocation des autorités. « J’ai reçu un papier m’annonçant que je devais travailler le 15 mai, mais je n’ai pas donné signe de vie. S’ils me relancent, je trouverai une excuse », confie cette enseignante âgée d’une cinquantaine d’années.

Une rémunération « insuffisante »
Mayssa a déjà assuré des permanences aux élections de 2009 et de 2018, mais cette année, « le déplacement n’en vaut pas la peine, malgré la rémunération revue à la hausse ». Lors du scrutin de 2018, les fonctionnaires avaient perçu entre 600 000 et 700 000 livres tout au plus (soit entre 400 et 466 dollars avec un dollar équivalent à 1 500 LL, selon le taux officiel). « Le montant a considérablement augmenté en livres, mais il est ridicule au vu de la dépréciation de la monnaie nationale. Le problème est que nous pouvons être affectés dans n’importe quelle région », indique Mayssa à L’Orient-Le Jour. « Il faut d’abord se rendre le samedi précédant le dimanche des élections chez le caïmacam de la région où on est affecté pour récupérer les ballots et les listes des votants, avant d’aller les déposer dans le bureau de vote. On peut choisir de dormir sur place ou alors rentrer chez soi le samedi soir. Mais il faudra parcourir des kilomètres à nouveau le dimanche matin et dépenser de l’essence. Le dimanche soir, on rentre à Beyrouth en pleine nuit, souvent en empruntant des routes impraticables », explique l’institutrice. Selon Mayssa, « nombreux sont les enseignants qui ont refusé de participer cette année pour divers prétextes ». « Certains iront quand même malgré la fatigue et les longues journées car ils ont vraiment besoin de cet argent et les temps sont durs », reconnaît-elle.


Ibrahim Nahhal, membre de la direction de la Ligue des employés de l’administration publique, relève pour sa part l’existence « d’un climat d’insatisfaction face au travail électoral ». Il assure par ailleurs qu’un « grand nombre de fonctionnaires ont refusé de travailler le 15 mai », sans toutefois avancer de chiffres précis.

« Avant la crise, travailler le jour des élections était plutôt rentable. Aujourd’hui, le montant que les autorités nous accordent ne sert plus à rien. Il ne permet même pas de payer une facture de générateur pour 5 ampères, lance-t-il. Si on est envoyé dans un bureau au fin fond du pays, il faut dépenser beaucoup d’essence. Et si on décide de dormir sur place, il faut également payer l’hébergement. Il y a donc une perte financière à tous les niveaux », indique ce fonctionnaire. Il craint même de ne pas pouvoir bénéficier de la somme promise, à cause des restrictions bancaires sur les retraits. « Les banques ne nous permettront pas de récupérer l’ensemble de la somme en espèces », soupire M. Nahhal. L’exaspération de certains fonctionnaires risque-t-elle d’entacher la bonne tenue du scrutin pour autant ? Interrogée par L’OLJ, une source au sein du ministère de l’Intérieur laisse entendre que l’administration a été flexible avec les employés du secteur public. « Ceux qui ont demandé un changement du lieu d’affectation ont obtenu gain de cause. D’ailleurs, les listes des fonctionnaires sont prêtes et je ne pense pas qu’il y aura un manque au niveau du nombre de personnes mobilisées pour le scrutin », explique cette source qui a requis l’anonymat.

Dans un bureau de vote à Fneideq, dans le Akkar, le 6 mai 2018. Michel Hallak/Archives L’OLJ

Un bonus pour les FSI ?
Du côté des forces de l’ordre, les rumeurs vont bon train sur le refus de certains agents des Forces de sécurité intérieure (FSI) d’être de service le 15 mai, là aussi en raison d’une rémunération jugée insuffisante. « Si je suis affecté loin de chez moi, je ne m’y rendrai pas », confie un agent des FSI sous le couvert de l’anonymat, et malgré les sanctions qu’il pourrait subir s’il contrevient aux ordres de sa hiérarchie. « Beaucoup de policiers veulent s’abstenir, tout comme les enseignants, surtout qu’ils doivent se déplacer par leurs propres moyens », explique une source proche des services sécuritaires à notre journal. Selon cette source, les autorités « pourraient dédommager les FSI à hauteur de 1,5 million de livres pour leur mobilisation le jour du scrutin ». « Les policiers pourraient même être affectés près de leur ville de résidence pour leur éviter des déplacements coûteux », ajoute la source.

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Contacté par L’OLJ, un responsable au sein des FSI assure pour sa part ne pas être au courant d’une quelconque rémunération supplémentaire cette année, même s’il reconnaît qu’« en 2018, les policiers ont reçu un bonus pour leur mobilisation lors des législatives, alors que cela ne se faisait pas auparavant », sans pour autant préciser quel était le montant de la somme payée à l’époque. « Je ne suis pas au courant du montant qui pourrait leur être accordé cette année », indique ce responsable qui réfute les rumeurs sur le mécontentement des policiers. « Nous serons tous mobilisés. C’est un devoir national », ajoute-t-il, disant ignorer si les policiers seront affectés dans des régions proches de leurs habitations. Le problème du transport ne semble pas se poser en revanche du côté de l’armée, la troupe bénéficiant de son propre réseau de bus. « Nous avons reçu dernièrement un don de 60 bus de la part de la France, ce qui nous permet d’assurer les déplacements de nos soldats de leur domicile vers leur lieu d’affectation partout dans le pays. Nos bus desservent même les villages reculés », assure un responsable au sein de l’armée qui a requis l’anonymat. En revanche, pas de bonus financier pour l’armée en marge du scrutin. « Nous serons tous mobilisés le jour des élections. Mais nous ne sommes pas payés en plus pour le faire. Être sur le terrain pour assurer la sécurité du scrutin fait partie de notre travail », souligne ce responsable.

*Le prénom a été modifié.

La bonne tenue du scrutin pourrait-elle être entravée par le refus de certains fonctionnaires de travailler le 15 mai, date du déroulement des législatives dans le pays ? Normalement mobilisés pour assurer la gestion des bureaux de vote, de nombreux employés du secteur public, dont un grand nombre d’enseignants des écoles officielles, ne semblent pas emballés par l’idée cette année,...

commentaires (3)

Au pire des cas les soldats peuvent toujours remplacer les fonctionnaires. Par exemple en France en cas de force majeur les soldats peuvent même être amenés à conduire les trains à la place des cheminots. Même si les fonctionnaires s’absentent en masse le 15 mai ce n’est donc nullement un prétexte valable pour ne pas tenir les élections.

Citoyen libanais

08 h 29, le 07 mai 2022

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Commentaires (3)

  • Au pire des cas les soldats peuvent toujours remplacer les fonctionnaires. Par exemple en France en cas de force majeur les soldats peuvent même être amenés à conduire les trains à la place des cheminots. Même si les fonctionnaires s’absentent en masse le 15 mai ce n’est donc nullement un prétexte valable pour ne pas tenir les élections.

    Citoyen libanais

    08 h 29, le 07 mai 2022

  • Pourquoi ces fonctionnaires travaillent les autres jours ??? Essayez d’effectuer n’importe quelle formalité dans une administration et vous verrez le taux d’absentéisme toléré par le pouvoir en place pour cause de cherté de l’essence. Vous ne pouvez même pas renouveler votre permis de conduire périmé (qui déjà est une hérésie) et vous n’êtes donc plus couvert par votre assurance automobile

    Lecteur excédé par la censure

    07 h 34, le 07 mai 2022

  • Bien sûr, 3 000 000 L.L. ne sont pas une fortune, mais c'est tout de même, pour une journée de travail, plus que ce que gagnent beaucoup de libanais en un mois.

    Yves Prevost

    07 h 22, le 06 mai 2022

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