Je t’écris à la table qui donne sur le grand arbre souple, rescapé de la catastrophe du 4 août 2020. Un vent de mai joue dans ses branches et il se laisse faire avec de grands gestes joyeux. De temps en temps fusent, entre les trilles des oiseaux revenus, quelques coups de feu intempestifs, un folklore qui n’existe pas là où tu vis. Il y a ici des humains qui n’ont pas la discrétion des arbres. Leurs émotions sont bruyantes et dangereuses pour autrui.
Ce n’est pas vraiment leur faute. Dès leur enfance, un père ou un oncle, forcément partisan de quelque formation « politique » encore enracinée dans les années 1980, leur a montré le bijou de famille, et comment ça fait clic-clac, et tu insères l’étui, et tu seras un homme mon fils. « Voilà qui te donnera un pouvoir sur la vie d’autrui, et accessoirement son opinion si elle diffère de la tienne », lui aura dit ce mentor. « Voilà qui t’ouvrira les portes d’une carrière que tout le monde t’enviera, celle de vertèbre cervicale du chef de notre clan dont ton grand-père servait déjà le grand-père. À quoi bon faire des études, le chef te casera dans la fonction publique, feuille blanche, feuille rose, feuille bleue, tu lèches deux, trois timbres, tu apposes quelques tampons, tu bouffes ta man’ouché, les gens te respectent et tu te casses à 11h. Il faudra juste te rappeler, à la première occasion – discours du chef, mariage, anniversaire, funérailles, baptême, circoncision –, de te poster bien au milieu des invités et lâcher ton engin. Il n’est rien qu’une puissante rafale n’exprime avec éloquence. Tu verras autour de toi les plus aguerris retenir leur souffle, se faire tout petits, te craindre comme si tu étais le roi du monde. À toi seul tu auras fait taire l’audience pour laisser le chef s’exprimer, porté l’âme du défunt au paradis, versé sur l’enfant toutes les eaux du Jourdain, tué au passage un vieillard qui n’a pas vu venir, accueilli l’époux au sein du clan, signalé à l’épouse de se tenir à carreau pour le restant de ses jours, et à ceux à qui ça ne plaît pas de rentrer leurs brebis. »
Enfant de moi, demain tu vas voter pour la première fois. Ironiquement, à présent que tu vis ailleurs, c’est dans une urne lointaine que tu déposeras ton premier bulletin de citoyenne. On t’a murmuré qu’il fallait voter « utile » pour contribuer à évincer tel ou tel champion traditionnel au profit d’un autre de la même eau trouble. Ces gens sont encapsulés dans un temps que tu n’as pas connu. Leur parcours, leur pouvoir héréditaire, leur culture, leur style, leurs petits arrangements sur la peau de la pauvre bête qui nous sert de pays sont les mêmes depuis la guerre de quinze ans. Le Parlement n’est plus qu’une vieille marmite où ces mêmes gâte-sauces refont la même vieille soupe avec le seul souci de s’empoisonner les uns les autres. Plus d’une fois, au prétexte d’une instabilité par eux-mêmes provoquée et entretenue, ils ont reconduit leurs propres mandats ou bloqué la formation de plus d’un gouvernement, prolongeant la paralysie des institutions, étouffant la vie démocratique au point que de notre pays de rêve, ou notre rêve de pays, il ne reste qu’une ombre aux contours indéfinis. Pour eux un glauque casino où chacun à son tour va tenter le jackpot à travers des affaires dont l’effondrement du système bancaire ou le tristement célèbre nitrate d’ammonium, à l’origine de la double explosion au port, ne sont que les conséquences.
Et tu es partie, comme tant d’autres de ta génération. Nombre de ceux qui sont restés vous envient et attendent leur tour. La plupart des autres, fanatisés, pourris par la culture dominante, vivent avec leur famille d’une manne de plus en plus étique tombée d’un ciel obscur. Pour seul bien, ces armes transmises avec une rhétorique invariable en guise de mode d’emploi.
Vous laissez derrière vous une population vieillissante et désabusée, qui a le sentiment d’avoir tiré sa dernière pioche et n’attend plus que sa peine quotidienne tant que les mêmes bannières flotteront au-dessus du même bouge. Mais vous qui êtes si beaux, si purs, vous que le moindre appel à l’aide mobilise comme un seul homme, ne craignez pas de voter selon vos idéaux. Ouvrez une brèche dans cette chasse gardée. Laissez entrer de nouvelles énergies. Si elles ne sont pas meilleures que les figures existantes, elles ne seront certainement pas pires.
« Malheureusement, au Liban on prétend vivre dans une une démocratie qui n’a jamais existé puisque depuis des générations les mêmes fils de, et petits fils, cousins ou gendre, dernièrement se partagent le pouvoir avec la bénédiction du peuple qui va les voter tout en en râlant. Comment peut on prétendre à un renouveau? .. » Petite société ...bûcher des vanités .. Melting-pot d’égos .. toutes Appartenances et toutes professions confondues Fifi , Marie est heureuse de se construire loin de tout cela avec ce que le Liban lui a malgré tout offert Et elle en fera des merveilles Et elle é n sera d’autant plus fière qu’en cette terre étrangère son talent sera reconnu juste pour elle Allez hauts les cœurs je t’embrasse Et Merci Sissi zayat
23 h 36, le 06 mai 2022