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Société - Crimes financiers

Quelle protection et quels outils pour les lanceurs d’alerte au Liban ?

Alors que la crise a renforcé les demandes de révélations de scandales financiers, les dénonciateurs potentiels restent encore frileux. Si le Liban s’est pourtant doté d’un régime de protection en 2018, ce dispositif doit encore faire ses preuves. En attendant, des initiatives privées commencent à proposer des solutions pratiques et sécurisées aux lanceurs d’alerte qui souhaiteraient agir. 

Quelle protection et quels outils pour les lanceurs d’alerte au Liban ?

Photo d'illustration Digitalista/Bigstock

Des « Panama Papers » aux « Pandora Papers » en passant par les « Swissleaks », les scandales fiscaux qui ont défrayé la chronique ces dernières années ont tous un point commun : l’existence d'un lanceur d’alerte à l'origine de ces fuites massives de données, ensuite décryptées et rapportées par les médias. Compte tenu du rôle désormais reconnu comme essentiel de ces « whistleblowers » dans la dénonciation de délits ou de cas de corruption, et des risques importants qu'ils encourent, le cadre de leur protection juridique s’est mondialement renforcé. Mais qu'en est-il au Liban où, plus de deux ans après la crise économique et financière et le soulèvement du 17 Octobre, les attentes de l'opinion en matière de révélations sur des affaires de blanchiment d'argent ou de transferts de fonds illicites n'ont jamais été aussi fortes ?

L’approbation de la Convention des Nations unies contre la corruption en 2003, ratifiée par le Liban en 2008, a constitué une première étape, notamment grâce à son article 33 sur la « Protection des personnes qui communiquent des informations ». « Il s’agit d’un cadre global. Il revient ensuite à chaque pays signataire faire passer les lois nécessaires afin de s’y adapter », précise Karim Daher, président de l'Association libanaise pour les droits et l'information des contribuables (Aldic) et membre du FACTI panel de l’ONU. Après de nombreuses tergiversations, le Liban a fini par se doter d’un régime de protection des lanceurs d’alerte par la loi n°83 du 10 octobre 2018.

Culture nouvelle

Cependant, et malgré les nombreuses revendications sur la lutte contre la corruption sévissant dans le pays, « la culture du lanceur d’alerte reste encore nouvelle », explique Karim Daher. Dans un pays polarisé où toute information est susceptible d’être utilisée pour nourrir la bataille politique d’un camp contre l’autre, « la crainte de la récupération peut être un facteur de dissuasion », constate l'avocat. À cela s’ajoute l’impunité systématique, qui décourage de potentielles dénonciations, selon le directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir, Ayman Mhanna : « En l’absence d’une justice vraiment indépendante, le processus d’enquête est systématiquement bloqué, et cela même quand les alertes sont lancées », explique-t-il. Et même quand la justice fait son travail, « l’attachement des Libanais à leurs leaders confessionnels est tel, que les révélations de corruption ne semblent pas avoir d’influence sur leur électorat », regrette-t-il. De l’autre côté de la balance, « les risques restent importants », poursuit-il, notamment aux yeux d’une population marquée par la série d’assassinats de journalistes et d’activistes survenue au cours des dernières décennies.

La loi libanaise définit le lanceur d’alerte comme « toute personne, physique ou morale du secteur privé ou public, qui dénoncerait à la Commission nationale de lutte contre la corruption toute information qu’il jugerait en rapport avec la corruption », dit Karim Daher. Elle détaille les différentes protections dont bénéficient le lanceur d’alerte, qu’elle soit physique (la Commission peut demander aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du lanceur d’alerte et de sa famille) ou financières (une indemnisation est ainsi prévue en cas de procédures disciplinaires, licenciement abusif ou diminution du salaire liés à l’engagement du lanceur d’alerte). La Commission peut aussi présenter une plainte aux autorités compétentes à l’encontre de toute personne portant atteinte au lanceur d’alerte. La Commission a en outre pour interdiction de dévoiler son nom sans autorisation. Enfin, afin d’encourager à la divulgation d’information, le lanceur d’alerte peut bénéficier d’une récompense, qui n’est pas automatique, et dont le montant est fixé par la Commission, dans le cas où l’État recouvrerait ses droits. Une amnistie est aussi possible, à condition que la justice ne se soit pas saisie préalablement de l’affaire. Le cas échéant, et en l’absence de jugement, le lanceur d’alerte peut toujours bénéficier de « circonstances atténuantes ».

Pour mémoire

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La Commission, qui compte six membres, quatre désignés par le Conseil des ministres et deux par le corps de la magistrature, en est cependant encore à ses tout débuts. Elle a vu le jour début 2022 après la signature du décret par le président de la République Michel Aoun. « Dans un contexte de crise de légitimité de l’appareil administratif et judiciaire, il faut qu'elle prouve sa neutralité et son indépendance politique, sans quoi les lanceurs d’alerte n’y auront pas recours », insiste Karim Daher.

« Il s’agit d’une initiative louable », abonde Ayman Mhanna, qui reste cependant sceptique quant à son application. « Il y a toute une série de lois adoptées afin de satisfaire les demandes de réforme de la communauté internationale, qui sont ensuite restées lettre morte ou presque, comme loi sur l’accès à l’information ou celle sur les données personnelles. S’il n’est pas accompagné de capacités d’action, le texte de loi n’est pas suffisant », ajoute-t-il.

Nouveaux outils

Mais des initiatives privées n’ont pas attendu que la Commission se forme, ni qu’elle fasse ses preuves, pour proposer des outils de signalement sécurisé à destination des lanceurs d’alerte au Liban. À l’image de la plateforme de ALB-Alerte Liban, qui a récemment servi à alimenter plusieurs procédures judiciaires contre des personnalités libanaises en Europe. ALB (« cœur » en arabe), a été fondée en mai dernier par un regroupement de Libanais, citoyens, hommes d’affaires et professionnels – qui a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité – dans le sillage de la multiplication d’enquêtes judiciaires locales et internationales à l’encontre de personnalités libanaises politiquement exposées. Le collectif, qui se défend de toute affiliation partisane, a ainsi fait de la divulgation d’affaires de corruption basées sur des révélations confidentielles ou des fuites de données son fer de lance.

Capture d'écran/www.alert-lebanon.com

L’équipe est composée de volontaires, habitués des campagnes militantes ainsi que d’experts en sécurité informatique. Elle a par ailleurs à sa disposition un réseau d’avocats libanais et internationaux afin de conseiller et de défendre les lanceurs d’alerte. « L’anonymat de la source est notre préoccupation principale », insiste une source au sein d’ALB. « La plateforme est sécurisée, ses serveurs sont en Europe, et la technologie utilisée a déjà fait ses preuves au cours de projets similaires menés en Afrique », ajoute-t-elle.

Toute personne souhaitant divulguer des informations d’intérêt public peut les partager avec la plateforme soit par les messageries chiffrées Signal ou Telegram, soit via le logiciel international sécurisé Global Leaks. Les documents sont ensuite vérifiés par l’équipe, qui « a facilement repéré quelques grossières tentatives d’intoxication », poursuit la source.

L’usage des révélations dépend de la volonté du lanceur d’alerte : « Il peut donner l’autorisation à la plateforme de les médiatiser, une fois la vérification faite, ou de les remettre à la justice libanaise ou internationale », conclut-elle. « Ce type de plateforme est un outil précieux pour diffuser de manière confidentielle les informations, y compris pour dépasser le cadre du Liban. Il complète la loi, qui est la seule pouvant assurer le cadre légal de protection », observe de son côté Karim Daher.

« Comment se fait-il que parmi tous les grands responsables bancaires et financiers qui ont nécessairement connaissance de transferts suspects, et qui parfois siègent dans des associations militant pour la réforme du système ou la transparence des affaires, aucun n'a jusqu'à ce jour dénoncé une affaire de grande ampleur ? », s'indigne pour sa part l'un des fondateurs d’ALB, avant de poursuivre : « Avec cette initiative, les réticents n'ont plus d'excuses : s'ils n'agissent pas, ils demeurent complice… »

Des « Panama Papers » aux « Pandora Papers » en passant par les « Swissleaks », les scandales fiscaux qui ont défrayé la chronique ces dernières années ont tous un point commun : l’existence d'un lanceur d’alerte à l'origine de ces fuites massives de données, ensuite décryptées et rapportées par les médias. Compte tenu du rôle désormais reconnu comme essentiel de ces «...

commentaires (3)

La commission anti corruption peut demander aux autorités une protection? C’est déjà un oxymore. Comment les autorités infestées de voleurs peuvent elles assurer la protection de ses ennemis qui dénoncent leurs vols et leurs crimes? Elles seront informées par le menu détail de tout ce qui concerne le lanceur d’alerte pour le faire taire à jamais. Nous sommes au Liban et non dans un pays civilisé, où tous les politiciens sont mêlés dans le pillage et le saccage du pays alors comment leur confier la protection de leurs dénonciateurs pour les protéger? C’est une blague?

Sissi zayyat

12 h 06, le 04 mai 2022

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Commentaires (3)

  • La commission anti corruption peut demander aux autorités une protection? C’est déjà un oxymore. Comment les autorités infestées de voleurs peuvent elles assurer la protection de ses ennemis qui dénoncent leurs vols et leurs crimes? Elles seront informées par le menu détail de tout ce qui concerne le lanceur d’alerte pour le faire taire à jamais. Nous sommes au Liban et non dans un pays civilisé, où tous les politiciens sont mêlés dans le pillage et le saccage du pays alors comment leur confier la protection de leurs dénonciateurs pour les protéger? C’est une blague?

    Sissi zayyat

    12 h 06, le 04 mai 2022

  • pourquoi limiter la protection et la discretion au volet financier? pour ex, je voulais remettre une note a la municipalite de Bey-via le mouhafazat de Bey/passage oblige parait il(va comprendre pourquoi- pour exposer une infraction-une irregularite flagrante commise par X, je devais remplir un formulaire/questionnaire duquel ne manquait que qqs question telles que le nom de mes grands parents,la pointure de mes chaussures,la taille de mes culottes.... BIZARRERIE ? que nenni, le pays de la corruption et de la mafia institutionnalisée.

    Gaby SIOUFI

    10 h 20, le 03 mai 2022

  • Il faudrait encourager grandement les lanceurs d'alerte, pour le passé comme pour le future : Seul moyen pour commencer à avoir des résultats en terme de combat contre la corruption.

    YARED Bechara / Look2innovate

    14 h 31, le 02 mai 2022

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