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Culture - Quoi qu’on en lise

Avoir 20 ans à Barcelone

On sort du roman « Simón » de Miqui Otero avec une seule envie : avoir 20 ans de nouveau à Barcelone.

Avoir 20 ans à Barcelone

Miqui Otero. Photo Elena Blanco

Souvent on cherche quel livre emporter avec nous pour voyager, mais on pense rarement à celui qu’on aimerait lire à notre retour, pour prolonger encore de quelques jours, voire de quelques semaines notre séjour. Je ne sais pas pour vous, mais je fais partie de ces personnes qui, une fois arrivé dans une ville, s’exclament à chaque fois : « Je me verrai bien vivre ici ! » La dernière ville en date, c’était Barcelone. Alors avant, je trouvais un moyen de rester, je tombais amoureux, je m’inventais un projet artistique, enfin je me dégotais un lieu où dormir et de quoi obtenir un peu d’argent pour boire et manger. Aujourd’hui, tout ça, c’est fini. Comme on dit, j’ai « des obligations », ce qui n’empêche qu’à Barcelone, j’ai eu envie de faire du skate sur la place du Musée d’art contemporain, d’accrocher à ma fenêtre des banderoles aux slogans révolutionnaires, de m’engager, de converser jusqu’à pas d’heure de l’indépendance de la Catalogne ou de la fin du monde, de danser tous les soirs et de finir par regarder la mer. Cette jeunesse-là, cette jeunesse barcelonaise qui me donnait envie, je l’ai retrouvée à mon retour à Paris dans Simón de l’Espagnol Miqui Otero sauf qu’elle, elle a vécu son enfance en 1992 et avait la vingtaine en 2004. Le personnage central de l’histoire, c’est Simón. Simón a grandi dans le bar familial, au Baraja, « un théâtre à l’échelle du monde » où « le temps était suspendu, comme au cinéma ou au théâtre » et des parties de cartes interminables s’y disputaient. Simón avait une idole : Rico, son cousin « de dix ans son aîné (…) Une sorte de mascotte du bar, mais aussi son ambassadeur controversé à l’extérieur ».

Rico était plus qu’un cousin, il était un frère, un hypercousin, « pas cousin germain, ni germain cousin, mais hypercousin, plus que les deux à la fois, un record », Rico savait tout faire. C’était un beau gosse, un motard, un « artiste sans art », mais du jour au lendemain, Rico a disparu laissant Simón seul. Se construire à l’image de son hypercousin, essayer d’accepter son absence, se raconter des histoires, Simón grandit comme il peut face à cette disparition soudaine et mystérieuse. Il lit, il lit beaucoup, il lui arrive de parler comme dans un roman. Quand un appartement se libère dans son quartier, il s’y rend afin de récupérer les livres des bibliothèques et de les revendre sur le marché du dimanche. « Simón avait hérité de cette étrange intuition qui pousse à bien faire tout ce qu’on déteste. » En l’occurrence, pour lui : « La cuisine et les affaires. » Il passe donc logiquement derrière les fourneaux même si sa famille aurait préféré qu’il fasse du droit, « mais au fond ils étaient vaguement flattés qu’il s’oriente vers la cuisine ». Il travaille dans un restaurant primé dont le chef affirme ne croire « ni en l’État ni en Dieu. Franchement, Dieu, je l’emmerde. Je ne crois qu’à ce qu’on peut toucher et manger. Et à l’argent ». On suit Simón devenir un homme, enchaîner les aventures amoureuses avortées, réaliser qu’on « passe les premières années de sa vie à imaginer qui on est pour ensuite, aux moments-clés, improviser sans que personne remarque qu’on ne sait pas ce qu’on fait ». Au côté de ce personnage attachant, on découvre Barcelone de l’intérieur, une ville enivrante, brûlante, qui vit aussi au rythme des attentats des Ramblas. Barcelone saigne, Barcelone vit, Barcelone rit et nous avec, on sort au bout de ce livre avec une seule envie : avoir 20 ans de nouveau à Barcelone.

« Simón » de Miqui Otero, Actes Sud.

Roman traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

Écrivain, journaliste, photographe et commissaire d’exposition, Sabyl Ghoussoub est l’auteur de deux romans aux éditions de l’Antilope : « Le nez juif » et « Beyrouth entre parenthèses ». Son troisième roman sortira aux éditions Stock courant 2022.

Souvent on cherche quel livre emporter avec nous pour voyager, mais on pense rarement à celui qu’on aimerait lire à notre retour, pour prolonger encore de quelques jours, voire de quelques semaines notre séjour. Je ne sais pas pour vous, mais je fais partie de ces personnes qui, une fois arrivé dans une ville, s’exclament à chaque fois : « Je me verrai bien vivre ici ! »...

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