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Culture - Note de lecture

« Robes de soi » : récit d’un peuple, d’un pays et d’une famille

Le premier récit témoignage de Hoda Aouad-Sharkey est une révélation et un ravissement.

« Robes de soi » : récit d’un peuple, d’un pays et d’une famille

L’ouvrage Robes de soi : Au fil d’une guerre, recoudre une vie (éd. Auteurs du monde) de Hoda Aouad-Sharkey allie toutes les qualités littéraires et humaines pour être classé comme un excellent livre : sobre, sincère, fluide, inspiré, intransigeant, bouleversant.

Littéralement captivé, j’en ai dévoré les 200 pages d’une seule traite. C’est un récit-témoignage et un voyage vertigineux à travers le temps. Une écriture limpide, à la fois romanesque et radicale, proche et lointaine.

Hoda Aouad-Sharkey raconte la guerre du Liban (1975-1990) comme beaucoup de Libanais l’ont vécue, dans son quotidien chaotique, sa brutalité et ses imprévus. À travers sa famille, elle restitue les moments les plus douloureux et les plus délicats de cette tourmente, à la fois personnelle et collective, avec des détails intimistes et des descriptions implacables. Elle demeure intègre dans ses appréciations et ses jugements.

Elle est entièrement dans son récit dont elle articule les parties à travers les robes qu’elle extrait au fur et à mesure de sa valise et qui correspondent chacune à une période définie de sa vie et font revivre son passé. Elle est véridique et juste et n’hésite pas à appeler les personnages de son roman, comme un ultime hommage, par les prénoms réels de sa propre famille qui a été, depuis, largement décimée.

Oui, j’ai été littéralement envoûté par ce livre, et ceci pour deux raisons principales. Tout d’abord en raison de la qualité remarquable de l’écriture qui sert le récit sans le submerger et maintient, malgré toute la violence des faits, sa cohérence. Ceci est dû probablement à une sensibilité d’écorchée vive, doublée, par compensation, d’une grande faculté de rationalisation et de mise à distance. Les mots nous bercent, nous transpercent, nous hantent avec toujours de la précision, de la poésie, une certaine crudité et une plus grande pudeur. C’est une écriture qui à la fois se livre et se voile, s’épanche et se retient. En même temps consensuelle et transgressive. À l’image de la vie, notamment dans ses moments extrêmes.

Profondément libanais

On ne peut, dans cette quête incessante des souvenirs enfouis, que s’identifier à Hoda, son audace, son humanisme, son réalisme, sa résilience, ses fusions et ses ruptures. C’est un roman profondément libanais avec les valeurs qu’il porte et transmet. À chaque page – je me répète, comme une évidence, abasourdi et conquis – c’est le Liban, son enracinement, sa liberté, sa générosité, son rayonnement. Notre Liban vécu pleinement, sublimé et perdu. Ce livre nous redonne notre profonde libanité dans sa singularité, ses fragmentations, sa joie de vivre, sa créativité périlleuse, son désir éperdu d’universalité. À sa manière, il redéfinit notre difficile appartenance.

Malgré toutes les tragédies qui le traversent, le livre reste jubilatoire, ludique et chaleureux, à la fois coupable et innocent. Il y a surtout l’attachement immodéré à la terre, à la ville, à la fratrie, à l’entourage, aux handicapés et aux plus démunis. C’est un récit qui, tout en évoquant les périodes les plus sombres de notre histoire récente, demeure lumineux, à l’instar de la photo qui orne la couverture et qui représente une habitation dévastée et en ruine mais qui conserve malgré tout son élégance architecturale classique et son ouverture sur un horizon verdoyant, dégagé et sans limites.

Le secret de Hoda Aouad-Sharkey réside dans une enfance heureuse, libre et débordante d’amour. L’auteure met en scène sa propre famille et relate son histoire familiale sur plusieurs générations, dans laquelle chacun de nous peut se retrouver. Un véritable patrimoine affectif qui protège et aide à surmonter les épreuves de la guerre. C’est comme un leitmotiv qui revient en sourdine « Familles, je vous aime; familles, je vous aime » car cet opus de Hoda Aouad-Sharkey est un grand cri d’amour immense et infini pour sa famille. Elle en fait revivre les membres tels qu’ils étaient et leur procure, à travers les mots, une seconde vie et une sorte d’éternité. Les êtres humains qu’on a aimés et perdus se réincarnent sous forme de personnages immortels. Cette vaillante lutte contre la mort, l’amnésie et l’oubli est un des grands bienfaits de ce livre qui nous recentre sur notre propre vécu, et nous aide à nous souvenir, à surmonter nos blessures, nos incertitudes et à les assumer.

La seconde raison de mon admiration pour le livre de Hoda Aouad-Sharkey est d’avoir connu de près sa famille si attachante et haute en couleurs, d’où mon émotion et ma reconnaissance de retrouver tous ses membres, les morts et les vivants, à nouveau réunis dans la même aventure avec leur fantaisie, leur bienveillance, leur joie de vivre, leurs contradictions et leurs passions. Il y a bien un esprit libanais qui anime le livre et dans lequel les Libanais authentiques, dignes et fiers ne peuvent que se retrouver.

Les récits de nos joies et de nos épreuves nous maintiennent en vie et peuvent se transmettre comme une vocation, avec fidélité et foi. Ce sont les deux motivations de Hoda Aouad-Sharkey : conserver dans son cœur et dans les pages d’un livre l’histoire d’un peuple, d’un pays, d’une famille et de toute une vie.

Bahjat Rizk est avocat et écrivain. Dernier ouvrage : « Les paramètres d’Hérodote » (éditions L’Orient-Le Jour, 2009).

« Robes de soi : Au fil d’une guerre, recoudre une vie », Hoda Aouad-Sharkey, éditions Auteurs du monde.

L’ouvrage Robes de soi : Au fil d’une guerre, recoudre une vie (éd. Auteurs du monde) de Hoda Aouad-Sharkey allie toutes les qualités littéraires et humaines pour être classé comme un excellent livre : sobre, sincère, fluide, inspiré, intransigeant, bouleversant.Littéralement captivé, j’en ai dévoré les 200 pages d’une seule traite. C’est un récit-témoignage et un...

commentaires (1)

La guerre n’a rien d’une robe en soie. L’auteure écrit à la première personne, exhume quelques faits, massacres, témoignages, et autres événements saillants qui lui tiennent à cœur déjà gros par cette guerre qui n’en finit pas, depuis 1969. Elle revient évidemment à la fin de son récit à la double explosion au port. On lit sur la grande famine au début du siècle dernier, et sur la guerre de 1958 qui "n’a malheureusement pas été prise au sérieux", et sur ce point, elle a bien raison. La narratrice est maintenant apaisée par son séjour français qu’elle peut mettre des mots sur sa colère, alors qu’au début ils "semblent être un luxe réservé aux pays en paix". Comment raconter la guerre, quand pour l’enterrement du père, une troupe de l’occupant offre un ultime hommage, et ce côté peu glorieux, quand un autre de haut rang fuyait en "laissant ses alliés payer pour lui". La guerre a creusé un profond sillon chez moi, et la mort de Hariri ne nous a réunis qu’un petit temps. Et ce témoignage peu vraisemblable d’une femme en quête d’une aide. Sa rencontre avec son tueur, alors qu’on est sûr que personne n’a pas tendu la main dans ces moments douloureux. "Il se trompe celui qui croit ne pas être concerné par les soubresauts du monde", un mantra à retenir, et l’invasion de l’Ukraine n’est pas une guerre dans des "contrées lointaines". Un livre réussi qui fait remonter à notre mémoire un passé qu’on préfère oublier.

Nabil

04 h 06, le 24 avril 2022

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Commentaires (1)

  • La guerre n’a rien d’une robe en soie. L’auteure écrit à la première personne, exhume quelques faits, massacres, témoignages, et autres événements saillants qui lui tiennent à cœur déjà gros par cette guerre qui n’en finit pas, depuis 1969. Elle revient évidemment à la fin de son récit à la double explosion au port. On lit sur la grande famine au début du siècle dernier, et sur la guerre de 1958 qui "n’a malheureusement pas été prise au sérieux", et sur ce point, elle a bien raison. La narratrice est maintenant apaisée par son séjour français qu’elle peut mettre des mots sur sa colère, alors qu’au début ils "semblent être un luxe réservé aux pays en paix". Comment raconter la guerre, quand pour l’enterrement du père, une troupe de l’occupant offre un ultime hommage, et ce côté peu glorieux, quand un autre de haut rang fuyait en "laissant ses alliés payer pour lui". La guerre a creusé un profond sillon chez moi, et la mort de Hariri ne nous a réunis qu’un petit temps. Et ce témoignage peu vraisemblable d’une femme en quête d’une aide. Sa rencontre avec son tueur, alors qu’on est sûr que personne n’a pas tendu la main dans ces moments douloureux. "Il se trompe celui qui croit ne pas être concerné par les soubresauts du monde", un mantra à retenir, et l’invasion de l’Ukraine n’est pas une guerre dans des "contrées lointaines". Un livre réussi qui fait remonter à notre mémoire un passé qu’on préfère oublier.

    Nabil

    04 h 06, le 24 avril 2022

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