La procureure générale près la cour d'appel du Mont-Liban, la juge Ghada Aoun, a émis un mandat de recherche visant le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, dans le cadre d'une enquête sur des prêts subventionnés de la BDL avant la crise économique au Liban en 2019, à hauteur de huit milliards de dollars.
L'information a été confirmée à L'Orient-Le Jour par la juge Aoun. "J'ai lancé ce mandat de recherche avant les fêtes de Pâques, mais il a été diffusé aujourd'hui", a-t-elle précisé.
Le 14 avril, la juge Aoun avait lancé un mandat de recherche à l'encontre de l'ancien président-directeur général de Bankmed, Mohammad Ahmad Hariri, et du PDG de Bank Audi, Samir Hanna, dans le cadre de la même affaire.
Durant plusieurs années de la dernière décennie, la Banque centrale avait ouvert et entretenu deux mécanismes de subventions qui permettaient aux établissements bancaires de proposer des prêts à des taux inférieurs à ceux du marché. Le premier a été généralisé à l’ensemble du secteur bancaire en 2009, et visait à canaliser l’afflux massif de capitaux transféré vers le Liban dans le sillage de la crise des subprimes. Pour ce faire, la BDL avait ainsi permis aux banques de mobiliser une partie de leurs réserves obligatoires en livres libanaises afin d’offrir des prêts au logement à taux réduit.
À partir de 2012, le ralentissement économique lié aux développements en Syrie pousse la BDL à intervenir davantage sur le marché. Elle enchaîne alors les fameux "plans de relance", à travers lesquels elle accorde aux banques des crédits en livres à un taux de 1%, pour qu'elles les prêtent à leur tour à leurs clients à un taux maximal de 6%. Ces crédits subventionnés sont destinés à quelques secteurs spécifiques, parmi lesquels figurent aussi le secteur immobilier – avec des montants pouvant être mobilisés – dont une partie aux foyers modestes via l’Établissement public de l’Habitat, mais aussi des secteurs productifs.
En 2018, les problèmes financiers croissants auxquels le pays est exposé, notamment en raison du déficit de sa balance des paiements, pousse la Banque du Liban à suspendre tous les mécanismes de subventions. La même année, plusieurs hommes politiques, dont le Premier ministre Nagib Mikati, ont été accusés d’avoir indûment bénéficié de l’un ou l’autre de ces mécanismes de subventions. Aucune procédure confirmant ces griefs n'a pour l'instant abouti.
Riad Salamé, 71 ans et aux commandes de la BDL depuis 1993, est déjà visé par une assignation à comparaître en justice délivrée par la juge Aoun en février dernier. Il est également interdit de voyager et ses biens immobiliers ont été gelés, dans le cadre d'affaires sur des soupçons de fraude durant son mandat.
Le patron de la BDL est considéré par de nombreux libanais comme l'un des responsables de la crise économique et financière dans laquelle s'enfonce le Liban depuis 2019. Ancien banquier d'affaires, il déclare que sa fortune est le fruit d'investissements effectués lorsqu'il travaillait pour Merrill Lynch, avant de rejoindre la banque centrale libanaise. Des enquêtes sur son patrimoine au Liban sont en cours. D'autres investigations le visant se poursuivent dans au moins cinq pays européens (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg et Monaco). Eurojust, organe européen de coordination de la lutte contre la criminalité organisée, a annoncé lundi la saisie d'environ 120 millions d'euros d'actifs d'origine libanaise dans ces cinq pays, et le parquet allemand a précisé que Riad Salamé faisait partie des suspects dans ce dossier.
La juge Ghada Aoun, réputée proche du camp du président de la République, Michel Aoun, a dernièrement poursuivi Riad Salamé et son entourage pour enrichissement illicite, une accusation qui concerne des appartements acquis en France par le gouverneur de la BDL, ainsi que des bureaux immobiliers loués par la banque centrale auprès d'une ex-compagne du gouverneur sur l'avenue des Champs-Elysées à Paris. Son frère, Raja Salamé, est également poursuivi pour son implication dans cette enquête, tout comme Anna Kosakova, l'ancienne compagne en question. Trois sociétés, SCI ZEL, Eciffice et BET SA, sont aussi l'objet de poursuites dans ce cadre.
commentaires (3)
Justice "fermeture eclair" (dit zipper). Un coup on l'accuse, un coup on ne l'accuse plus, un coup on veut l'ammener, un coup on l'oublie. L'investigation durera 30 ou 40 ans. Et quand la justice sera rendue, tout les protagonistes seront deja morts de viellesse.
Michel Trad
10 h 59, le 20 avril 2022