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Climat : le parcours du combattant de l’ONU

Climat : le parcours du combattant de l’ONU

En août 2021, la Grèce faisait face à sa pire vague de chaleur en 30 ans, causant de nombreux incendies. Louisa Gouliamaki/AFP

Les experts du climat de l’ONU, soit ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ont publié le 4 avril le rapport du troisième volet de leur sixième cycle d’évaluation. Il succède à celui de février concernant la vulnérabilité de nos sociétés aux impacts du changement climatique. Le premier, en août dernier, portait sur la physique du climat. Ces rapports révèlent que sans renforcement des politiques actuelles, le réchauffement pourrait être deux fois plus élevé d’ici à 2100 que l’objectif de l’accord de Paris, soit 3,2 °C, comparé au 1,5 °C désiré. C’est que malgré les promesses faites, autant par les gouvernements que les entreprises, les émissions de CO2 du secteur de l’énergie ont augmenté de 6 % en 2021 et atteint un record historique. L’écart entre ce qui est promis et ce qui est nécessaire est grand. Si les pays appliquent scrupuleusement leurs plans climat, la température moyenne de la planète devrait tout de même augmenter de 14 % d’ici à 2030, en la comparant à 2010. En fait, les promesses actuelles des pays laisseraient la température de la planète augmenter de 2,7 °C avant la fin du siècle.

Dans l’histoire de l’humanité, les émissions de CO2 n’ont jamais été aussi élevées que celles de 2010 à 2019. Le réchauffement planétaire par rapport à l’ère préindustrielle a déjà atteint 1,1 °C. Pour le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, le monde s’achemine rapidement vers la catastrophe. En raison du réchauffement climatique, près de la moitié de l’humanité vit actuellement dans une zone de danger et les choses ne vont qu’empirer si des mesures drastiques ne sont pas prises.

On sait déjà ce qui nous attend

Le GIEC peut s’appuyer sur les conséquences des événements climatiques déjà vécus pour motiver les pays à suivre ses recommandations. L’année 2021 a été une véritable vitrine des changements à venir. En janvier, la tempête Filomena a touché le Portugal et l’Espagne. Madrid a alors reçu 60 cm de neige. En février, une autre tempête de neige, où le mercure est descendu à -13 °C, a entraîné une panne du réseau électrique au Texas qui a touché 3,5 millions d’abonnés et a causé plus de 200 morts. Le dôme de chaleur sur l’ouest de l’Amérique du Nord en juin et juillet a fracassé plusieurs records de température avec 49,6 °C à Lytton, en Colombie-Britannique. En juillet, d’importantes inondations dans plusieurs pays européens dont l’Allemagne et la Belgique ont fait plus de 200 victimes et des dommages évalués à plusieurs milliards de dollars. Des pluies torrentielles sont aussi tombées sur la province chinoise du Henan, entraînant des inondations historiques. En août, la Grèce faisait face à sa pire vague de chaleur en 30 ans, causant de nombreux incendies de forêt qui se sont approchés de sa capitale, Athènes. Le même mois, sur un autre continent, l’ouragan Ida se déchaînait sur la côte de la Louisiane, remontant jusque dans le nord-est des États-Unis. En octobre, la région d’Abbotsford, dans la vallée du Fraser au Canada, a subi des inondations historiques. Finalement, en décembre, des tornades ont ravagé les États-Unis.

Un autre signal alarmant sur le changement climatique est venu de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Elle a validé en décembre 2021 le record de température de 38° C pour l’Arctique atteint dans la ville russe de Verkhoïansk, à environ 115 kilomètres au nord du cercle polaire, le 20 juin 2020. Les glaces de l’Arctique et de l’Antarctique fondent encore plus vite que prévu par les scientifiques du GIEC. L’année 2021 a été l’une des pires pour les glaciers du sud de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, selon les scientifiques. Cette fonte est irréversible et les conséquences se font déjà sentir dans l’Ouest canadien. L’Arctique pourrait donc recevoir plus de pluie que de neige dès 2060.

Il va sans dire que les affirmations du GIEC, appuyées par des milliers de pages de recherches scientifiques, ne sont pas du goût des pays et investisseurs qui font actuellement fortune dans les industries produisant ces changements climatiques. Leur réaction a déçu António Guterres, qui a dénoncé les mensonges de « certains gouvernements et responsables d’entreprises » en matière de lutte contre le changement climatique. La désinformation est devenue une arme puissante aux mains de ceux qui veulent continuer à faire du profit avec les énergies fossiles. Au fil des ans, elle s’est systématisée à un tel point qu’elle est devenue, avec celle de plusieurs autres industries qui tentent de fausser le débat scientifique, le sujet d’un nouveau courant en histoire et sociologie des sciences appelé « l’agnotologie », soit l’étude de l’ignorance. Si cette ignorance est de toutes formes et est inhérente au processus d’acquisition de connaissances, elle peut quelquefois être créée de manière stratégique pour empêcher la population de se rendre pleinement compte des conséquences d’une découverte scientifique. Un film de Pascal Vasselin et de Frank Cuveillier, sorti en 2021 par France Télévisions, La fabrique de l’ignorance, montre que de nombreux industriels, hommes d’affaires et militants tentent intentionnellement depuis des dizaines d’années de faire dérailler la science.

Ces groupes bien organisés ont commencé à s’impliquer dans la désinformation dès les mois précédant le sommet de Rio en 1992, quand la communauté internationale a pris au sérieux les sciences de l’environnement et qu’il est devenu évident que le climat de la terre se réchauffait. Les industriels ont déclenché une contre-attaque, affirme dans ce film le professeur de psychologie de l’Université de Bristol Stephan Lewandowsky. Pour discréditer les sciences de l’environnement, ces industriels ont fait la promotion d’une pétition truquée, « L’appel de Heidelberg », qui tout en semblant protéger la « bonne science », discréditait celles de l’environnement. Des sites internet qui se disent arbitres entre la bonne et la mauvaise science sont aussi montrés du doigt dans ce documentaire. De faux mouvements de citoyens et des communautés sont mis en place pour manipuler l’opinion publique afin de créer l’apparence que les mensonges pour contrer les découvertes des scientifiques sont vrais.

Ce film montre aussi qu’à Paris, des chercheurs de l’Institut des systèmes complexes se sont attachés à créer des outils pour scruter les médias sociaux. Ils ont étudié 20 millions de messages et 140 000 comptes sur Twitter touchant le climat. Ces chercheurs se sont rendu compte que ceux qui nient les changements climatiques y avaient créé une communauté très dense dont les membres se relayaient les messages en boucle.

Le GIEC croit que c’est encore possible

L’humanité disposerait donc de trois années pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre, principales responsables du changement climatique. Les 17 chapitres de ce troisième rapport passent en revue les grands secteurs industriels et les scénarios possibles pour freiner le réchauffement. Sont proposés une électrification massive, une diminution drastique de la consommation des énergies fossiles et le développement de carburants alternatifs, tel l’hydrogène propre. Comme actuellement 63 % de l’énergie électrique consommée provient des énergies fossiles, le reste venant des énergies renouvelables, telle l’hydroélectricité, et celles peu carbonées dont fait partie le nucléaire, il faut aussi verdir rapidement ce secteur.

Bien que tous les individus, entreprises et gouvernements doivent mettre l’épaule à la roue, une industrie est particulièrement dans la mire pour arriver à inverser cette courbe des émissions de gaz à effet de serre. La directrice climat et énergie du Center for International Environmental Law, Nikki Reisch, qui a été l’une des observatrices de la séance d’approbation de ce rapport, pointe le problème le plus pressant. « Il n’y a pas de remède miracle contre la crise climatique, mais il y a une arme du crime : les énergies fossiles. » Il n’y aurait plus de place pour leur expansion, affirme-t-elle. Le rapport estime en ce sens qu’éliminer les subventions aux énergies fossiles pourrait faire baisser les émissions de 10 %.

Le GIEC devra aussi convaincre les citoyens riches d’en faire plus, puisque au niveau mondial, les 10 % des ménages les plus riches représentent jusqu’à 45 % des émissions totales. Les dépenses des pays dits riches sont aussi de deux à cinq fois moindres que nécessaires dans ce domaine. Plus largement, il doit convaincre les dirigeants de la planète de créer les conditions favorables à des comportements non énergivores, comme aller travailler à vélo. Les récents développements de la science peuvent aider. Entre 2015 et 2019, la capacité des énergies photovoltaïques a augmenté de 170 % et celle des éoliennes de 70 %. Des transformations structurelles tels le télétravail, la diminution des déplacements, les véhicules électriques ou l’isolation des bâtiments permettraient aussi de réduire les émissions de 40 à 70 % d’ici à 2050. La mise en œuvre de techniques d’élimination du dioxyde de carbone pourrait compenser les émissions de secteurs tels que les cimenteries, l’aviation et le transport maritime, qui vont continuer à polluer pendant encore un certain temps pour faire rouler l’économie. La réduction des émissions implique l’utilisation plus efficace des énergies, matériaux, déchets, et plus de recyclage.

Il devrait y avoir des effets au niveau de la santé publique de ces investissements majeurs. La réduction de la pollution de l’air qui cause actuellement sept millions de décès prématurés par an dans le monde en serait un. Le GIEC a une vision optimiste du futur. « Les avantages des scénarios permettant de limiter le réchauffement à 2 °C dépassent les coûts des mesures d’atténuation sur la totalité du XXIe siècle », affirme-t-il dans le rapport.


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