L’ombre des élections plane sur la rencontre Nasrallah-Frangié-Bassil

Samedi matin, les Libanais se sont réveillés sur une nouvelle qui a pris les milieux politiques de court. Le Hezbollah a annoncé, dans un communiqué concis, que Hassan Nasrallah a reçu la veille le chef du CPL Gebran Bassil et le chef des Marada Sleiman Frangié autour d’un iftar. Pour ceux qui suivent la lutte sans merci que se livrent les deux alliés chrétiens du Hezbollah, la nouvelle ne pouvait que surprendre, surtout dans ce timing précis, après la formation des listes électorales et avant l’échéance présidentielle qui doit se tenir avant le 31 octobre prochain.

En effet, depuis décembre 2015, lorsque le chef des Marada est venu présenter ses condoléances au général Michel Aoun pour le décès de son frère et l’a informé de son intention de se porter candidat à la présidence de la République, les relations entre les deux hommes et leurs formations respectives, qui se considéraient comme des alliés, se sont détériorées. Ce jour-là, Michel Aoun s’était contenté de souhaiter bonne chance à Sleiman Frangié tout en lui disant qu’il ne se retirait pas pour autant de la course présidentielle. M. Aoun avait en effet reproché à M. Frangié de ne pas l’avoir informé depuis le début de son intention de présenter sa candidature et d’avoir fait en sorte d’obtenir l’appui de Saad Hariri et de son courant à son insu. De son côté, Sleiman Frangié estimait qu’il était de son droit de briguer la présidence et il avait d’abord voulu s’assurer de ses chances, en tâtant le terrain auprès du chef du Futur qui avait approuvé l’idée, avant d’en informer Michel Aoun. Dix mois plus tard, ce dernier était élu à la présidence, le 31 octobre 2016, et depuis, entre les deux formations chrétiennes, les relations n’ont cessé de s’envenimer. Plusieurs tentatives ont eu lieu pour réunir Sleiman Frangié et Gebran Bassil, et elles se sont toujours heurtées à un refus obstiné au moins de la part de Frangié qui disait à ceux qui le sollicitaient : Si le président de la République me convie à Baabda, je me rendrai au rendez-vous sans hésiter, mais pour une rencontre avec Bassil, il me faut la garantie de Hassan Nasrallah. C’était une manière pour le chef des Marada d’exprimer sa confiance dans le secrétaire général du Hezbollah et en même temps de lui lancer une pointe indirecte en rappelant que c’est lui qui avait choisi d’appuyer la candidature de Michel Aoun à la présidence.

Or, au cours des six précédentes années, le secrétaire général du Hezbollah n’avait pas jugé bon de répondre à la demande de M. Frangié, craignant qu’elle ne soit interprétée comme un aval indirect de son parti à la candidature de ce dernier pour la succession de Michel Aoun. Le Hezbollah ne voulait donc pas s’engager sur le plan présidentiel. Or, voilà que vendredi soir, la nouvelle est tombée, sans préambule ni explication. Immédiatement, les spéculations et les analyses ont commencé à se multiplier. Pourquoi cette rencontre attendue depuis des années a-t-elle finalement eu lieu vendredi soir et est-elle liée à la prochaine échéance présidentielle ?

Interrogé, le Hezbollah a démenti formellement toute évocation au cours de cet iftar de l’élection présidentielle. Mais selon l’avis général, elle a malgré tout plané sur les discussions. Selon plusieurs sources concordantes, cette rencontre est placée sous le signe de la normalisation des relations entre les deux principaux alliés chrétiens du Hezbollah en vue de l’étape future. En effet, le timing de cette rencontre est particulier. S’il s’agissait de préparer les législatives du 15 mai prochain, elle aurait dû avoir lieu avant la formation des listes, pour jeter les bases d’une alliance entre les deux partis, notamment au Liban-Nord, et en particulier dans la circonscription dite chrétienne qui regroupe les cazas de Bécharré-Koura-Batroun-Zghorta. Désormais, c’est un peu tard pour une alliance électorale.

Selon des sources proches du Hezbollah, Hassan Nasrallah a sciemment voulu qu’elle ait lieu après le 4 avril (date d’expiration du délai de dépôt des listes électorales) et avant le 15 mai, pour éviter que les débats ne soient liés aux législatives. Après les résultats, un des deux alliés pourrait se considérer comme vainqueur et chercherait à poser de nouvelles conditions. Le patron du Hezbollah voulait éviter une telle situation. Son objectif était de rappeler, à travers cet iftar, à ses interlocuteurs qu’ils sont des alliés sur le plan stratégique. Pour Nasrallah, la période qui suivra les élections sera sans doute compliquée et exigera que les rangs des alliés soient serrés et qu’ils coordonnent leur action. C’est donc dans cet esprit qu’il a voulu les réunir. Selon les mêmes sources, Gebran Bassil avait lui-même lancé l’idée il y a quelques mois et lorsque Hassan Nasrallah a fait la proposition, il l’a immédiatement acceptée, alors que Sleiman Frangié a pris un temps de réflexion avant de donner son accord.

L’échéance présidentielle n’a donc pas été évoquée clairement, l’idée générale étant de travailler de concert dans la période qui suivra les législatives dans l’intérêt des deux parties, et de l’alliance stratégique en général. Par conséquent, quelle que soit la personne qui sera élue à la tête de la République, le CPL et les Marada devraient coopérer pour préserver leurs acquis propres, sans chercher à se combattre.