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La foire aux inventions

Que par ces temps d’apocalypse ukrainienne et de bataille présidentielle Emmanuel Macron ait jugé utile, et même nécessaire, de faire du Liban un des thèmes de sa campagne électorale ne devrait pas trop surprendre. Le patron de l’Élysée a consacré en effet beaucoup de son temps et de son énergie à la crise libanaise, allant même jusqu’à jeter dans la balance son crédit politique. Et puis la France, qu’elle soit de gauche ou de droite, garde fort heureusement une affection particulière pour ce Liban qu’elle a hissé au rang d’État, même si, un bon siècle plus tard, le garnement ne s’est pas encore décidé à assumer l’âge de raison.


Pour Macron, la voie est toute tracée, comme il le soulignait dans un discours le week-end dernier : continuer à agir, à inventer des solutions pour ce Liban tant aimé, et aussi pour cette Arménie si proche. Il ne pouvait mieux s’exprimer : la nécessité est la mère de l’invention, professait déjà Platon, et Dieu sait de quelles pressantes nécessités est assailli, en ce moment, notre pays. Seul le diable, en revanche, pouvait concevoir tout le génie inventif dont ont fait montre nos dirigeants pour détruire les fondements de la république, contrôler une bonne part de l’appareil judiciaire et saigner à blanc la vache laitière libanaise, finissant par la conduire à l’abattoir.


Se partageant les domaines étatiques en territoires, ces flibustiers ont dénaturé le système politique en instituant une démocratie dite consensuelle et synonyme de léthargie, de paralysie, de non-décision, toutes tares propres à un non-État. Juchés qu’ils sont sur le même cocotier mis en coupe réglée, leurs rivalités, pour aiguës qu’elles puissent être, n’interdisent guère les plus acrobatiques des arrangements garantissant la pérennité et l’impunité de la mafia. On vient d’en avoir l’illustration avec ces alliances électorales absolument contre-nature, contractées à la veille des législatives du mois prochain et qui n’ont d’autre vocation que de faire barrage aux forces du changement.


Le plus scandaleux reste cependant la vaste entreprise de dépossession délibérée, planifiée, dont aura été victime le peuple libanais. Pour un peu, on se prendrait à regretter le temps où le Trésor public était encore seul à pâtir des flagrants abus et irrégularités commis par les responsables. Entre autres aberrations, on voyait alors l’un des plus marqués de ces responsables discourir sur l’art de gérer un pays sans, pour cela, s’encombrer d’un quelconque budget; au même individu et à ses acolytes, on doit d’ailleurs les sommes folles englouties dans de fantomatiques centrales électriques, ou encore dans des barrages qui n’avaient en réalité d’autre objet que d’enlaidir – à sec – le paysage.


À mesure que s’aggravait la crise, apparaissaient au grand jour les autres innombrables et crapuleux circuits qu’a empruntés l’hémorragie financière. L’étau se resserrait d’autant sur la population ; appauvrie, abreuvée de mensongères assurances officielles, elle en est réduite aujourd’hui, pour se ravitailler, à se défaire de ses dernières devises, obtenues au compte-gouttes et échangées en monnaie de singe. Le dernier tour de vis, c’est le chef de la délégation libanaise aux négociations avec le Fonds monétaire international qui s’est chargé de nous en faire part. Même si le vice-Premier ministre Saadé Chami s’est rétracté en partie par la suite, c’est en somme un secret de polichinelle qu’il a révélé en déclarant la faillite de l’État et de la Banque du Liban. Sans vraiment créer de surprise, la sibylline oraison funèbre signifie que les citoyens sont appelés à supporter une part accrue des pertes du pays. C’est deux fois plutôt qu’une qu’ils sont escroqués.

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Au vu de tous les stratagèmes, innovations et ficelles nés des cerveaux malades qui nous gouvernent, c’est à bien forte partie que vous aurez affaire, Monsieur le Président Macron, en matière d’invention. Sans résultat ont été vos exhortations, les appelant à obéir à leurs consciences et à assumer leurs responsabilités nationales. Et sans lendemain ont été vos menaces répétées de sanctions financières, les seules qu’ils redoutaient en vérité, car elles les eurent atteint là où cela fait le plus mal, au chéquier. Mais vous avez déjà sous la main, toute prête à être cueillie et cultivée, une invention qui n’en est pas tout à fait une, puisqu’elle vise seulement à rétablir le Liban dans sa vocation première. Défendu par le patriarche maronite, le projet de neutralité positive mérite le soutien actif, acharné, entier, des amis de notre pays, et à leur tête la France.


Le Liban y retrouverait non seulement son âme et sa raison d’être, mais aussi les moyens matériels d’exister.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Que par ces temps d’apocalypse ukrainienne et de bataille présidentielle Emmanuel Macron ait jugé utile, et même nécessaire, de faire du Liban un des thèmes de sa campagne électorale ne devrait pas trop surprendre. Le patron de l’Élysée a consacré en effet beaucoup de son temps et de son énergie à la crise libanaise, allant même jusqu’à jeter dans la balance son crédit...