
Le siège du Fonds monétaire international à Washington. Photo d’illustration Kristina Blokhin/Bigstock
« L’État et la Banque du Liban (BDL) sont en faillite. » Cette phrase prononcée par le vice-Premier ministre, Saadé Chami, dimanche soir lors d’un entretien télévisé sur une chaîne locale, a provoqué hier un tollé sur la toile et dans la presse locale. Venu discuter sur le plateau de l’avancée des discussions en cours avec le Fonds monétaire international (FMI), celui qui est à la tête de l’équipe de négociateurs libanais est ainsi le premier haut responsable libanais à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas depuis le début de la crise économique et financière que traverse le pays, il y a plus maintenant plus de deux ans et demi. Le Liban a fait défaut en mars 2020 sur le paiement de ses titres de dette en devises (les eurobonds) auxquels les banques commerciales du pays et la BDL ont souscrit à des degrés divers.
Le vice-Premier ministre a utilisé le terme de « faillite » en expliquant les raisons pour lesquelles les pertes du pays, estimées à 72 milliards de dollars, devraient être réparties entre « les acteurs concernés », soit l’État, la BDL, le secteur bancaire et les déposants, dans cet ordre. Il n’a en revanche pas souhaité s’avancer sur la façon dont la répartition sera effectuée.
Sa déclaration rappelle celle, en novembre dernier, du ministre de l’Économie et du Commerce, Amine Salam, lui aussi membre de l’équipe des négociateurs avec le FMI, qui avait alors déclaré que les pertes devraient être supportées par « l’État, la BDL et les banques » dans des proportions allant de « 30 à 35 % » par entité. Ce même ministre avait également ajouté que les déposants – qui doivent en principe être inclus dans le même groupe que les banques – ne devraient pas supporter plus de « 10 % » du fardeau de ces pertes, sans toutefois préciser si cela se ferait via un bail-in (conversion d’une partie des dépôts en participation dans le capital de la banque).
Ce n’est pas la première fois que Saadé Chami laisse entendre que les déposants, qui subissent déjà des restrictions sur leurs comptes en devises de manière tout à fait illégale depuis la fin de l’été 2019, devraient contribuer à la relance économique, ayant déjà annoncé le mois dernier devant le Conseil économique et social que l’État est « responsable » mais que ses moyens sont « limités ».
Face au tollé d’hier, la BDL a nié en soirée, via un communiqué, être en faillite, tandis que le Premier ministre, Nagib Mikati, a préféré nuancer les propos de son vice-Premier ministre, en indiquant que celui-ci « voulait parler de liquidité et non de solvabilité ». La solvabilité signifie que la vente des actifs détenus par une partie peut couvrir ses dettes, alors que la liquidité est la capacité d’un acteur à faire face ses échéances à un instant précis.
En fin de journée, Saadé Chami a finalement déclaré que ses propos avaient été « tronqués » et confirmé à la presse qu’il parlait bien de « liquidité ».
Actifs de l’État
D’un point de vue comptable, et dans une situation où une entreprise n’est plus en mesure d’honorer ses dettes, elle est déclarée en « faillite ». Par la suite, une procédure légale est enclenchée afin d’estimer la valeur de ses actifs pour les vendre et rembourser ses créanciers. Cependant, ce terme est inadéquat dans le cas d’un pays, une procédure judiciaire ne pouvant pas sommer le pays en question de vendre ses actifs ou de les privatiser.
De plus, « il existe une différence entre une faillite et un défaut de paiement », fait remarquer Nassib Ghobril, directeur du département de recherche du groupe Byblos Bank, contacté par L’Orient-Le Jour. Il rejoint donc les propos tenus par le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, un mois après le défaut, qui indiquait que le Liban n’était « pas en faillite ». À l’époque, la décision de défaut de paiement reposait sur la volonté du gouvernement de Hassane Diab de « mettre fin à l’épuisement des réserves » de la BDL, alors que le Liban devait rembourser le 9 mars 2020 1,2 milliard de dollars. L’ancien Premier ministre voulait ainsi restructurer la dette en devises. Deux ans plus tard, cela n’a toujours pas été fait.
Nassib Ghobril précise de plus que « c’est plutôt la gestion de la crise par la classe dirigeante qui suggère la faillite », rejetant la « responsabilité première » sur la mauvaise gestion de l’État et du secteur public durant ces dernières années, en mentionnant notamment ses dépenses surdimensionnées, comme dans le dossier de l’électricité, ou encore le manque d’actions contre l’évasion fiscale et la contrebande. Commentant les déclarations de Saadé Chami sur la répartition des pertes, l’économiste indique que « l’État est obligé de recapitaliser la banque centrale pour ensuite en assurer la solvabilité, comme indiqué dans le Code de la monnaie et du crédit ». De ce fait, il rappelle que le Liban possède de nombreux actifs, dont par exemple « 915 millions de m2 de terrains », ajoutant que c’est seulement une fois que l’État aura assuré ses responsabilités face à la crise, en liquidant par exemple ses actifs, que l’« on verra alors à combien le secteur privé devrait contribuer ».
L’économiste n’est d’ailleurs pas le premier à appeler à l’utilisation des biens de l’État pour renflouer ses caisses et payer ses dus. En effet, le plan de l’Association des banques du Liban (ABL), publié en mai 2020, avait déjà appelé à la création d’un « fonds de désendettement » dans lequel les actifs de l’État, estimés par l’Association à « 40 milliards de dollars », seraient placés pour régler les pertes du système bancaire. Une demande réitérée hier par les organismes économiques, une organisation patronale dirigée par l’ancien ministre Mohammad Choucair, lors d’une réunion avec la délégation du FMI.
Toutefois, une étude publiée en janvier 2021 par Albert Kostanian, chercheur en politique économique à l’Institut Issam Farès (IFI) pour les politiques publiques de l’Université américaine de Beyrouth, indiquait que la privatisation des biens publics générerait entre 5,88 et 13,36 milliards de dollars, selon l’ampleur du processus de privatisation. Un chiffre bien loin de l’estimation des banques. Vendre les actifs de l’État signifierait réduire la pression sur les déposants mais également que l’État braderait par ce biais ses actifs, compliquant ainsi toute relance économique.
La Banque centrale, elle, possède des réserves d’or estimées à plus de 17 milliards de dollars à mi-mars. Toutefois, elle ne peut pas en disposer sans approbation du Parlement.
Discussions avec le FMI
Lors de son interview, le vice-Premier ministre, qui mène l’équipe de négociateurs libanais en vue d’obtenir une assistance financière de la part du FMI, a également annoncé que les discussions avec l’institution ont atteint un stade « très avancé », justifiant ainsi la présence d’une délégation à Beyrouth depuis la semaine passée et qui devrait rester deux semaines. La délégation a également rencontré d’autres acteurs économiques, comme l’ABL ou encore les organismes économiques.
Saadé Chami a aussi, durant cet entretien, émis le souhait d’arriver à un accord préliminaire (« staff-lever agreement ») avec l’institution, avant le départ de cette délégation du Liban. Celui-ci nécessitera toutefois la validation du département de gestion du FMI, puis l’approbation de son conseil exécutif. Une étape qui a pris quelques semaines pour le cas d’autres pays. Toutefois, avant que cet accord préliminaire soit présenté au Fonds, le Liban doit mettre en œuvre plusieurs réformes, telles que « le vote du budget 2022 (qui est toujours étudié par la commission des Finances et du Budget, NDLR), la mise en place de lois pour restructurer le secteur bancaire et la mise en place de changements sur la loi du secret bancaire (qui était inclus dans la proposition de loi sur le contrôle des capitaux votée la semaine passée par le Conseil des ministres, NDLR) ».
Il garde espoir que ces réformes puissent être mises en place avant les élections, prévues le 15 mai prochain, « s’il y a une volonté politique ».
Enfin, le vice-Premier ministre a défendu le projet de contrôle des capitaux, qui avait été rejeté par les commissions mixtes la semaine passée avant d’être amendé et avalisé par le Conseil des ministres. Il a confirmé que le projet avait bel et bien été préparé en collaboration avec le FMI. Plusieurs observateurs, comme le président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic), Karim Daher, ont toutefois pointé du doigt le fait que la loi offre de trop nombreuses prérogatives à la Commission chargée de fixer les plafonds et conditions de retrait dans le cadre des restrictions bancaires.
Nouvel avatar des crapules bancaires : les commercants avides et venaux mettent des surcharges qui peuvent aller jusqu'a 30 % sur les paiements par carte et par cheque. Cette republique pue de plus en plus. Et la canaille tient le haut du pave. Tfeeeeeh
23 h 58, le 05 avril 2022