L’UE veut lutter contre la tentation constante des grandes plateformes internet d’« enfermer les consommateurs dans leur écosystème grâce à leur force économique », explique Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’économie numérique.
« Si je suis sur Apple pour les smartphones, je ne vais pas avoir accès à certains services proposés par le rival Android, ou au contraire, je vais avoir des applications préinstallées dont je n’ai pas envie », explique-t-il.
Face à cette situation, le DMA fixe une série de règles à respecter pour les très grandes plateformes, comme l’interdiction de faire la promotion de ses propres services au détriment de services tiers.
Cette autopromotion est un sujet « pour la grande majorité d’entre elles », explique Sonia Cissé, avocate au cabinet Linklaters et spécialiste en médias, technologies et communication.
À l’internaute qui fera une recherche de voyage par exemple, Google devra désormais « présenter ses propres services au même titre que ceux de ses concurrents », relève-t-elle.
En France, l’association France Digitale, qui fédère de nombreuses start-up, se réjouit de voir un texte européen agir pour « laisser de l’air » aux jeunes pousses, en évitant que les géants ne les « étouffent ».
« Pour les éditeurs d’applications qui passent par les différents Gafam pour commercialiser leurs services, ce texte va forcément faire évoluer les choses », anticipe Maya Noël, sa directrice générale.
Avec le DMA, les éditeurs d’applications accessibles via des magasins comme l’App Store ou le Google Play Store vont pouvoir « s’adresser directement à leurs utilisateurs », indique-t-elle.
Une répression « plus rapide »
Ces magasins d’applications « ne pourront plus les contraindre à passer par leur système d’identification » de l’utilisateur « ou par leur système de paiement », décrit-elle.
Côté répression, le DMA est une puissante machine pour permettre à la Commission européenne d’intervenir contre l’hégémonie des grandes plateformes.
« À partir du moment » ou un petit développeur d’application « verra une non-conformité » au DMA, « il va pouvoir la soulever », amener un régulateur de la concurrence à enquêter et avoir une réponse « beaucoup plus rapidement » qu’auparavant, explique Maya Noël.
Cette rapidité est particulièrement importante pour les start-up, qui souvent agissent « dans une temporalité de quelques mois », rappelle-t-elle.
Les régulateurs de la concurrence n’auront plus besoin de prouver qu’un abus de position dominante aura été commis, il suffira juste de prouver qu’une des règles impératives fixées par le DMA a été violée.
« Le texte est assez puissant » car il fixe « des obligations précises et objectives » aux grandes plateformes, confirme Emmanuelle Mignon, du cabinet d’avocats August Debouzy.
L’avenir dira si le DMA a permis de d’assainir les relations entre les grandes plateformes et les entreprises et consommateurs qui les utilisent.
Mais Sonia Cissé se demande si le texte, adopté en un temps record par l’UE (18 mois seulement depuis la présentation par la Commission européenne), ne va pas un peu trop loin.
« C’est un peu comme le RGPD », le règlement européen sur la protection des données adopté en 2018, qui avait été une première mondiale dans la régulation numérique, relève-t-elle.
« C’est pensé pour les très gros acteurs, mais d’autres plus petits peuvent se retrouver pris dans les filets », avertit-elle.
Source : AFP