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Nos Lecteurs ont la Parole

Deux dieux ?

Je salue la mémoire du grand acteur américain William Hurt, dont je déplore la mort à un âge relativement jeune, et dont les films ont bercé ma jeunesse. Je retiens parmi tous ses films sa performance dans un film exceptionnel, Les enfants du silence (1986), et dont le titre nous est arrivé au Liban dans sa version originale en anglais : Children of a lesser God, qui est beaucoup plus significatif d’ailleurs que sa traduction française. Pour une fois une traduction littérale de ce titre « Des enfants d’un moindre dieu » aurait été mieux.

Le titre et l’histoire du film évoquent formellement l’existence d’au moins deux dieux. Un moindre et un meilleur. Un moindre qui avait créé une humanité disgraciée, défavorisée, estropiée et en l’occurrence sourde, et un meilleur pour une humanité gracieuse, parfaite, gaillarde... Deux dieux qui discréditent les dogmes et les enseignements reçus des religions monothéistes qui préconisent l’existence d’un seul Dieu. Un seul qui nous traite tous comme égaux jusqu’au jugement dernier.

Ma curiosité m’a poussée à faire plus de recherches sur l’origine de ce titre qui a séduit mon esprit depuis la sortie du film et qui est resté dans ma mémoire bien longtemps après la dernière scène. Ce titre m’a imprégnée si profondément qu’à chaque fois que j’étais en face d’humains qui présentaient objectivement certaines imperfections, il surgissait inconsciemment. Et je pensais à ce dieu moindre.

Mes recherches m’ont amenée à découvrir que le titre de ce film a été inspiré d’un vers de l’un des poèmes d’Alfred Lord Tennyson :

« O me ! for why is all around us here ; As if some lesser god had made the world » (Ô moi ! Car pourquoi tout est autour de nous ici ;

Comme si un dieu moindre avait créé le monde.)

Un poème publié dans Idylls of the King, une œuvre de 1859 qui raconte le combat et surtout l’échec du légendaire roi Arthur pour élever l’humanité et instaurer un royaume parfait.

Plusieurs siècles après la mort du roi Arthur, l’élévation de l’humanité relève toujours du même combat. Un combat dominé par une dichotomie : le bien et le mal, l’obscurantisme et la lumière, le nihilisme et la liberté, l’insensé et le rationnel, l’oppresseur et l’opprimé, le cynisme et la décence, la haine et l’amour, la guerre et la paix... Plusieurs siècles après, l’échec est toujours aussi cuisant. Il est dû à la conflictualité naturelle de l’homme. Une conflictualité que ce dieu moindre sait entretenir en handicapant la pensée et les réflexions de certains. Un dieu moindre qui sait entretenir les malheurs du monde et qui sait en détruire les merveilles, ses deux principales raisons de continuer à exister.

Un dieu moindre qui crée les cavaliers cruels de l’Apocalypse et les prédateurs qui s’acharnent dans leur narcissisme à nourrir les calamités, à semer la terreur et la discorde, à détruire la beauté du monde et à provoquer guerre, famine et maladie. Un dieu moindre qui crée des responsables qui volent l’argent de leur peuple et entretiennent sa pauvreté. Un dieu moindre pour des hommes inféodés à des puissances étrangères qui entraînent la décadence de l’entité même de leur nation et toute l’humiliation qui s’ensuit.

La suite du poème d’Alfred Lord Tennyson fait allusion à la faiblesse de ce dieu moindre à façonner le monde et nous conforte sur la présence d’un autre Dieu Haut qui intervient pour le rendre plus beau : « But had not force to shape it as he would ; Till the High God behold it from beyond ; And enter it, and make it beautiful ? » (Mais n’avait pas la force de le façonner comme il le ferait ; Jusqu’à ce que le Dieu Haut le contemple de l’au-delà ; Et y entre, et le rende beau ?).

Oui, le rendre beau. Un autre Dieu Haut pour ceux qui se vouent à élever l’humanité vers des hauteurs et des valeurs de liberté et de fraternité. Un Dieu Haut qui continue admirablement son entreprise inachevée. Il crée des gens de la vie ordinaire qui se sacrifient pour défendre ces valeurs. Il crée des artistes qui reflètent à travers leurs écrits, leur musique, leur peinture et autres créations ce que Dieu Haut leur a donné de plus beau, l’expression artistique. Une expression qui se veut l’étendard d’une humanité bienveillante qui dénonce les violences et charpente le contrepoids des créatures d’un dieu moindre.

Il crée des hommes et des femmes à son image qui veulent tout simplement exister pour rendre le monde plus beau. Chefs-d’œuvre du Dieu Haut, ils veulent « viabiliser » le monde. Viabiliser, un mot emprunté à l’urbanisme et qui, je trouve, mérite une place de bienséance dans ce contexte.

Passeurs, voudrions-nous offrir un monde meilleur à nos progénitures ? Voudrions-nous être les messagers de la guerre et de la haine, ou ceux de la paix et de l’amour ? Voudrions-nous élire des hommes et des femmes d’un dieu moindre ou d’un Dieu Haut ? Voudrions-nous être nés d’un dieu moindre ou d’un Dieu Haut ? Après tout, le choix est définitivement le nôtre.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je salue la mémoire du grand acteur américain William Hurt, dont je déplore la mort à un âge relativement jeune, et dont les films ont bercé ma jeunesse. Je retiens parmi tous ses films sa performance dans un film exceptionnel, Les enfants du silence (1986), et dont le titre nous est arrivé au Liban dans sa version originale en anglais : Children of a lesser God, qui est...

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