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Nos Lecteurs ont la Parole

Art, culture et résilience

Art, culture et résilience

Le 21 août 2020, avec le port de Beyrouth détruit en arrière-plan, des représentations d’un phénix et du drapeau libanais réalisées avec les débris de verre. Joseph Eid/AFP

L’art est le propre de l’humain. Il est vrai que l’art peut revêtir différentes formes, mais le plus important est que toutes ces formes ont pour but de représenter notre vérité et notre réalité humaine ainsi que celle du monde dans lequel nous vivons.

Cette expression et cette représentation ne sont possibles que lorsque l’homme reste attentif, non seulement aux mouvements de la vie dus aux différents faits et évènements, mais aussi aux mouvements intérieurs, là où l’être humain est en étroite relation avec sa source de créativité.

Nous vivons à une époque où les techniques utilisées, malgré leur importance, ont tôt fait d’être remplacées par d’autres plus performantes, techniques qui peuvent à tout moment tomber en désuétude...

Il n’en va pas de même pour notre réalité et notre vérité, qui, elles, ne périment jamais ; loin de là, elles laissent dans le monde leur marque, cette trace indélébile qui a valeur d’éternité.

Je ne parlerai donc pas de l’art du point de vue forme ni technique, mais comme étant un langage spécifique à l’humain, un langage universel, sans limite et sans frontière. L’art, comme étant l’expression de notre humanité et le moyen de construire une humanité plus éclairée, consciente de ses racines, de son potentiel et porteuse de message.

Dans cette perspective, je considère que vivre est un art, être et devenir un humain meilleur est un art, être citoyen est un art, s’exprimer, parler, communiquer est un art, s’engager, se relever et résister est aussi un art.

L’histoire de notre pays a toujours été traversée par les guerres et les crises, mais, en même temps, notre histoire a toujours été marquée par la force et la détermination d’un peuple qui tient à la vie et qui défie la mort sous toutes ses formes.

Peine, souffrance, explosion, mort, destruction, crises, famine, catastrophes, guerres, etc., rien n’a pu empêcher notre peuple de continuer d’avancer sur le chemin de la liberté.

Rien n’a pu l’arrêter dans son mouvement de contestation contre toutes formes d’esclavage, contre l’injustice et même contre les pulsions de mort. Ça a toujours été un chemin de résistance d’un peuple résilient qui refuse la soumission.

L’histoire a bien montré que l’art et la culture ont toujours été le langage le plus vrai et le plus fidèle au travers duquel nous avons pu voir s’exprimer la gravité d’une situation ou d’un évènement, mais aussi nous avons pu y voir le combat d’un peuple qui tient bon face aux tempêtes, qui résiste pour pouvoir rester debout malgré tous les coups subis. Oui, nous sommes un peuple résilient, et l’art et la culture sont à l’image du peuple et de son histoire.

Être résilient ne signifie pas nier la réalité ; bien au contraire, c’est voir objectivement la réalité et, malgré tout, coûte que coûte, continuer à chercher un rayon de lumière et se laisser guider par cette lumière vers une issue possible.

Rester en mouvement et continuer d’avancer, chercher et vouloir un changement ne signifie pas tenir une baguette magique qui pourrait tout transformer en une seconde… Non, rester en mouvement est en soi magique en ce sens que l’on est porteur d’un message d’espoir, de persévérance et de résistance jusqu’à la victoire escomptée... Une personne résiliente ne baisse pas les bras devant un malheur, bien au contraire, elle persévère, étant convaincue que le malheur n’est pas une fatalité !

Suite au drame du 4 août, « Branches du Cèdre 2020 » est l’initiative que j’ai prise pour garder vive la mémoire de notre peuple, attaqué sur son propre territoire et condamné à mourir malgré lui et à perdre la sécurité et tous ses biens, et même à renoncer à ses rêves et ses projets… Et pourtant, il s’est redressé et il a retrouvé ses forces pour défier la mort et l’injustice, pour revivre à nouveau et lutter corps et âme pour l’avènement de la justice. Mon initiative est riche de témoignages divers, notamment dans le domaine de l’art et de la culture, qui reflètent le visage authentique de ce peuple combatif et mettent en avant sa figure lumineuse malgré les blessures qui lui sont infligées.

Le 4 août, au milieu de la destruction et au cœur même de la mort, nos jeunes étaient là, déterminés à redonner vie à leur ville et à semer chez leurs compatriotes l’espoir, et ce au cœur même du désespoir. Balai en main, s’activant à déblayer les quartiers éventrés et les rues jonchées de poussière et de gravats, ils signifiaient que, face aux forces du mal, de destruction et de mort, se dresse la force de vie qui se dévoue pour reconstruire et aider à se relever. Nos jeunes, témoins de la vie en devenir, étaient et demeurent toujours le plus beau tableau vivant et la meilleure image possible d’une vraie résistance d’un peuple civilisé, fier de sa culture et fidèle à son identité.

C’est bien cela le message porté par nos jeunes : être résilient, rebondir et résister, refuser la mort et choisir la vie.

Encore une fois, notre peuple se relève, animé par un esprit de résilience œuvrant dans chaque personne et se reflétant dans ses paroles et ses actes, mais aussi dans ses attitudes au quotidien… Un esprit de force, de joie, de fraternité, qui, tel un feu embrasant de proche en proche tous les maillons de la chaîne humaine, a tôt fait de se répandre dans tous les cœurs des Libanais, processus contagieux aux effets positifs et constructifs… pour que la vie triomphe.

Après la tragédie du 4 août, les signes de résilience ont revêtu différentes formes. De fait, là où les autorités officielles étaient restées silencieuses, voire absentes devant le drame d’une capitale et la douleur d’une nation, l’art et la culture, eux, ont dit leur mot. La révolte artistique fut une expression remarquable de résilience. Par la plume, les pinceaux et les couleurs, les artistes ont donné corps aux émotions et aux sentiments… peine, souffrance, révolte, mais aussi espoir farouche de vivre, de résister, de se relever. Une parole, une peinture, une photo ou une sculpture, autant de voix pour revendiquer ses droits, réclamer la justice et crier oui à la vie. Même quand défendre la vérité et la liberté devient un exercice périlleux, l’art et la culture sont là pour pousser les Libanais à se reconstruire, se relever, faire face, surmonter les obstacles pour enfin crier victoire et ainsi retrouver la paix et la joie de vivre pleinement.

L’art et la culture sont les témoins fidèles de nos racines, de notre identité et de notre histoire en tant que peuple qui refuse de mourir. L’art et la culture sont les garants de notre mémoire et aussi les porte-parole de nos rêves et de nos ambitions pour une meilleure vie et pour un monde meilleur.

Enfin, je vous souhaite de rester fidèles au souffle de vie, créatif et créateur, qui est en vous.

Ensemble, résistons au mal, restons résilients et continuons d’avancer pour voir triompher la vie.

Le Liban compte sur nous.

Gisèle ABI KHALIL HAGE

Intervention donnée dans le cadre de la conférence « Qu’en est-il de l’art au Liban ? » le 9 mars à l’USJ, organisée par le Club des artistes plasticiens libanais en collaboration avec Cedar Branches 2020.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

L’art est le propre de l’humain. Il est vrai que l’art peut revêtir différentes formes, mais le plus important est que toutes ces formes ont pour but de représenter notre vérité et notre réalité humaine ainsi que celle du monde dans lequel nous vivons.Cette expression et cette représentation ne sont possibles que lorsque l’homme reste attentif, non seulement aux mouvements de la...

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