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Économie - Repère

Importations de blé au Liban : le point sur l’impact du conflit russo-ukrainien

En 2020, le pays a importé 630 548 tonnes de blé, dont 95,91 % en provenance d’Ukraine et de Russie.

Importations de blé au Liban : le point sur l’impact du conflit russo-ukrainien

« le grenier à blé de l’Europe » nourrit en réalité une grande partie de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), suffisamment pour faire craindre une crise alimentaire majeure, voire des « famines » dans certains pays. Image d'illustration Bigstock

Fauché par la crise économique et financière qui le traverse depuis plus de deux ans et demi, le Liban doit dorénavant faire face aux conséquences de l’invasion russe en Ukraine, qui impacte les cours mondiaux des hydrocarbures et autres matières premières, mais également l’approvisionnement global en blé. Car « le grenier à blé de l’Europe » nourrit en réalité une grande partie de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), suffisamment pour faire craindre une crise alimentaire majeure, voire des « famines » dans certains pays, comme l’ont récemment déclaré certaines autorités internationales.

Parmi celles-ci, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, qui a déclaré dimanche dernier sur la chaîne américaine CBS News que « la guerre en Ukraine signifie la faim en Afrique ». Deux jours auparavant, le président français Emmanuel Macron faisait savoir que l’Union européenne devrait « redéfinir une stratégie alimentaire à l’égard de l’Afrique, sans quoi plusieurs pays seront touchés par des famines dans les 12 à 18 prochains mois ». Enfin, lundi, c’était au tour du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies Antonio Guterres de mettre en garde contre le risque d’une guerre qui pourrait entraîner « un ouragan de famines et l’effondrement du système alimentaire mondial », incluant le Liban dans les pays à risque, au vu de sa dépendance au blé de cette région désormais en conflit.

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Des propos semés ici et là pour rapidement enclencher à travers le monde de nouvelles stratégies de production, d’exportation et d’importation de blé, dont le cours mondial a renchéri de 5,71 % le jour de l’offensive russe en Ukraine, passant de 8,76 dollars la veille à 9,26 dollars le boisseau (unité de mesure d’environ 27 kg), jusqu’à augmenter de 21,78 % en 24 heures le 3 mars (12,89 dollars le boisseau), date à laquelle Emmanuel Macron avait prévenu que « le pire est à venir » à la suite d’un contact téléphonique avec son homologue russe Vladimir Poutine. Le cours du blé n’est que légèrement redescendu depuis, au rythme des événements sur le terrain en guerre. Jeudi, le boisseau se vendait à 10,98 dollars après une hausse de 2,69 % par rapport à la veille. Depuis le début du conflit, le cours du blé a jusqu’à ce jeudi grimpé de 18,57 %.

Des hausses impactant en toute logique les prix à la consommation, alors que le Liban en crise fait déjà face à une inflation des prix des denrées alimentaires de 3 328,6 % entre septembre 2019 et janvier 2022, selon les données de l’Administration centrale de la statistique, et que les résidents jonglent avec une monnaie nationale qui a perdu plus de 90 % de sa valeur face au dollar sur cette même période, le billet vert servant de surcroît à régler les importations. Dans ces circonstances extraordinaires, tant au niveau national qu’international, le Liban doit-il, en sus de tout, s’inquiéter pour sa sécurité alimentaire dans un futur proche ? L’Orient-Le Jour fait le point.

L’état des importations de blé avant l’invasion de l’Ukraine

Les derniers chiffres disponibles sur le site des douanes libanaises datent de mars 2021. Sur les trois premiers mois de cette année répertoriée, le Liban a importé 226 704 tonnes de blé, venant d’Ukraine (144 984 tonnes, soit 63,9 % du total), de Russie (54 892 tonnes, 24,2 %), de Moldavie (19 416 tonnes, 8,6 %), de Serbie (7 409 tonnes, 3,3 %) et, de manière marginale, de Chypre (3 tonnes, moins de 1 %). En tout donc, le Liban a importé sur cette période 88,1 % de son approvisionnement en blé des deux pays actuellement belligérants. Ce pourcentage équivaut ainsi à une habitude prise par le Liban de combler la quasi-totalité de ses besoins en blé par des importations venant de la région de la mer Noire, comme le démontrent les chiffres des douanes disponibles depuis 2012. Des années au cours desquelles l’Ukraine et la Russie se sont partagé le podium des exportateurs de blé vers le Liban.

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En 2020, par exemple, une année qui marque également la destruction des silos au port de Beyrouth lors de la tragédie du 4 août, le Liban a importé 630 548 tonnes de blé, dont 99,2 % (625 544 tonnes) provenant de pays bordant la mer Noire. Parmi ceux-ci, l’Ukraine et la Russie totalisaient 95,91 % de cette quantité importée. Dans le détail, 81,18 % des cargaisons de blé venaient d’Ukraine (511 865 tonnes), 14,73 % de Russie (92 905 tonnes), 2,63 % de Moldavie (16 576 tonnes) et 0,66 % de Bulgarie (4 198 tonnes). En plus de 2 et 3 tonnes provenant respectivement de Syrie et des Pays-Bas (tous deux loin derrière 1 %), le Liban avait acheté en 2020 du blé d’Australie (0,47 %, 2 943 tonnes), du Canada (0,32 %, 2 000 tonnes) et d’Italie (0,01 %, 56 tonnes).

Du fait de la proximité géographique entre le Liban et la mer Noire, il va de soi que le coût du blé de cette région revient moins cher que celui commandé au-delà. Les quantités importées peuvent également plus facilement varier pour ce blé, une cargaison arrivant par bateau en une semaine au contraire de mois d’attente pour d’autres pays comme l’Argentine, également exportatrice de blé. Des conditions logistiques bien utiles pour un Liban en crise et dépourvu, depuis le 4 août 2020, de ses 120 000 tonnes de capacité de stockage au sein de ses uniques silos portuaires.

L’état des importations à la suite du conflit russo-ukrainien

Subventionnées par la Banque du Liban depuis octobre 2019, en marge du début de la crise, les importations de blé sont les dernières à bénéficier encore de ce mécanisme, calculé sur base de la parité officielle de 1 507,5 livres le dollar, contre un taux dépassant aujourd’hui la barre des 20 000 livres sur le marché parallèle. Si ce mécanisme divisait la charge entre la BDL et les importateurs suivant un ratio respectif de 85 et 15 %, la Banque centrale a, courant 2020 et jusqu’à maintenant, finalement pris en charge 100 % de ce quota.

Avec l’arrêt des importations venant d’Ukraine et de Russie, alors que cette dernière est sous le joug de sanctions économiques sans précédent principalement imposées par le camp occidental, c’est presque la totalité des importations de blé au Liban qui disparaissent. Si certains bateaux sont partis de leur port juste avant que le conflit entre ces deux pays ne s’intensifie, « plus rien » ne vient d’Ukraine ou de Russie aujourd’hui, a confirmé à L’Orient-Le Jour le porte-parole des importateurs de blé, Ahmad Hoteit.

Alors, pour assurer l’arrivée de blé dans le pays à court terme, la BDL a annoncé lundi avoir débloqué des fonds pour sécuriser le déchargement de sept navires transportant cette céréale. Une information confirmée par Ahmad Hoteit, qui avait lui-même annoncé le jour même que « des fonds seront transférés pour trois autres navires » à venir. Le porte-parole a toutefois souligné que le mécanisme d’ouverture de crédits de la banque centrale « prend du temps ». Grâce à ces 10 navires, amarrés et en route, la réserve en blé du Liban sera « d’un mois et demi », a-t-il ajouté.

L’état des importations sans l’Ukraine ni la Russie

Des alternatives doivent donc être impérativement trouvées dans un délai plus ou moins court pour assurer la suite de ces réserves. « Si la Roumanie, la Hongrie et la Bulgarie étaient de bonnes alternatives à l’Ukraine et la Russie, aujourd’hui la France et l’Allemagne sont sur la liste », a également expliqué Ahmad Hoteit, ajoutant que « des appels d’offres ont d’ailleurs été lancés pour importer du blé de ces deux pays ». Dans ce contexte, le ministre français de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, a évoqué dans un entretien mardi sur une radio française le besoin d’un revirement stratégique de l’Europe sur les pays qui sont « totalement dépendants des exportations russes » en « accroissant la production française pour restaurer les relations au niveau alimentaire entre la France et ces pays », Liban inclus.

Au-delà de l’Europe, des discussions sont également en cours avec « les États-Unis, l’Inde et la Turquie », avait prévenu la semaine dernière le ministre de l’Économie et du Commerce, Amine Salam, tandis que son homologue à l’Industrie, Georges Bouchikian, avait lui assuré au même moment communiquer aussi avec l’Australie et le Canada.

Ce ministre avait ensuite interdit l’exportation de produits alimentaires fabriqués au Liban sans licence d’exportation émise par le ministère. Une cargaison de 7 300 tonnes d’huile végétale à destination de l’étranger a ainsi été arrêtée jeudi à son départ du port de Beyrouth. De l’huile végétale dont le Liban possède pour « deux mois ou deux mois et demi de réserves », a-t-il assuré le même jour, ajoutant chercher de nouvelles sources pour aussi importer du sucre après que l’Algérie a arrêté de le faire en raison de cette guerre. Lors d’une réunion hier du comité de sécurité alimentaire des Organismes économiques, présidés par Mohammad Choucair, ce dernier a toutefois déclaré que des pourparlers avec l’Algérie semblent sur la bonne voie pour que ce pays revienne sur sa décision pour le Liban, tandis que d’autres sont en cours avec une entreprise marocaine pour l’importation de sucre également. De même, cet ancien ministre a annoncé la possibilité d’importer de l’huile végétale de Turquie.Par ailleurs, le ministre de l’Agriculture, Abbas Hajj Hassan, se trouvait jeudi en Syrie, où il a rencontré son homologue syrien, Mohammed Hassan Qatana, avec qui il a notamment discuté d’une collaboration syro-libanaise en matière de culture du blé. Cette succession de décisions, propositions et solutions alternatives participe ainsi d’une « vision à long terme visant à préserver un stock alimentaire stratégique dans le cadre de la politique de sécurité alimentaire », a précisé Georges Bouchikian.

Car, au-delà du blé, c’est bien ce domaine que le conflit russo-ukrainien met en danger, à l’instar de nombre de ses voisins méditerranéens. Une réalité exacerbée par la crise économique qui sévit déjà en interne.

Si des solutions arrivent tous azimuts depuis le début de cette guerre, elles ne sont encore que temporaires, le temps de mettre en œuvre de nouvelles stratégies économiques et commerciales. Un laps de temps sans doute trop court. Mardi, le Premier ministre Nagib Mikati demandait ainsi à l’ONU « de soutenir le Liban » sur ce dossier. L’appel à l’aide est donc lancé.

Fauché par la crise économique et financière qui le traverse depuis plus de deux ans et demi, le Liban doit dorénavant faire face aux conséquences de l’invasion russe en Ukraine, qui impacte les cours mondiaux des hydrocarbures et autres matières premières, mais également l’approvisionnement global en blé. Car « le grenier à blé de l’Europe » nourrit en réalité une...

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J’approuve !

Marie Françoise Akl

11 h 24, le 21 mars 2022

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Commentaires (2)

  • J’approuve !

    Marie Françoise Akl

    11 h 24, le 21 mars 2022

  • Et si on remplaçait le hashish par le blé à la Beqaa?

    Gros Gnon

    10 h 04, le 21 mars 2022

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