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Culture - Livre

« Femmes du Liban » d’Iskandar Riachi, truculentes histoires du Liban

Dar el-Jadid réédite ce petit bijou littéraire, croustillante collection de textes caustiques sociopolitiques.

« Femmes du Liban » d’Iskandar Riachi, truculentes histoires du Liban

Ce n’est pas pour rien que Racha el-Ameer a obtenu récemment le prestigieux Prix Voltaire pour l’édition. Avec son frère Lokman Slim, assassiné il y a déjà plus d’un an, elle avait fondé la maison d’édition Dar el-Jadid qui représentait pour eux non seulement un champ d’activisme d’intellectuels arabes avisés, mais aussi une quête pour révéler les trésors enterrés de la littérature arabe et une lutte pour faire la lumière contre l’obscurantisme, les tabous et les interdits.

Parmi les rééditions, celle toute récente d’un livre en langue arabe pas comme les autres, Niswan men Lebnan (Femmes du Liban – Dar el-Jadid – 366 pages). Un croustillant petit chef-d’œuvre, cocasse, incisif et caustique, sauvé des oubliettes du parcours de Iskandar Riachi, journaliste au talent audacieux et coquin, où l’écrit triomphe du déni et du mensonge. Un écrit insolent, au parfum d’une corrosive et vengeresse ironie, qui remonte aux sources du mal d’une terre à la perversion endémique. Une comédie de mœurs au pays du Cèdre aux contours burlesques et libertins où femmes, sexe, argent, mélange de classes sociales et magouilles politiques font d’incongrus et drôles mariages, à la fois inattendus, extravagants et hilarants! L’œuvre en question, magnifiquement rééditée depuis sa deuxième parution en 1966 à Dar al-Andalus (la date de la première édition reste incertaine), est un recueil de plus d’une trentaine de récits menés tambour battant.

Un livre que l’auteur qualifie de « somme de conseils politiques et sociaux à travers des histoires et aventures amoureuses dessinant par le même biais l’histoire du Liban dès la fin du règne ottoman, la prise en charge de la France et les balbutiements de l’État libanais indépendant », avec des détails licencieux, qu’on ne trouve certainement pas dans les manuels d’histoire des jeunes écoliers… Des histoires scabreuses et bidonnantes, à l’esprit fin et grivois, qui en disent long sur l’état de décrépitude (déjà !) et de décadence des rivages dits « phéniciens ».

Sans états d’âme, avec une candide impudence, par ses fracassantes révélations à propos de toutes les machinations opérées en dessous de table, Iskandar Riachi renvoie dos à dos colonisateurs et colonisés, mandateurs et mandatés. Avec, comme axe central, le pouvoir insatiable et machiavélique des femmes et le désir incontrôlable des hommes.

Mais qui sont donc ces « Femmes du Liban » ?

Iskandar Riachi a construit ses récits autour d’une redoutable brochette de dames, loin de toute pusillanimité, entre demi-mondaines, égéries intrépides, couventines séductrices qui troublent les ordres, amazones passionnées et passionnelles, servantes sans servilité, et on en passe…

D’ailleurs la couverture (dessinée par Tamer el-Ahmar, conçue par Racha el-Ameer et colorée par Élissar el-Rachini) donne un avant-goût de ce qui attend le lecteur… Tailles de guêpe, épaules dénudées, alanguies, escarpins dans des pieds cambrés, moues aguichantes, le drapeau libanais en coussin sous une lascive chute de rein, ces femmes posent sous des arcades « mandaloun » pour une provocante invitation au monde de l’éros, de la luxure et de la volupté, dans les coulisses et allées du pouvoir ! À bas les masques et vogue la galère dans une joyeuse bacchanale ! En exergue, une malicieuse pensée d’Ounsi el-Hajj annonce l’univers sans compromission et pudibonderie de Riachi. Suit une pertinente préface signée Lokman Slim qui a travaillé à ce projet d’édition avant de tomber sous le feu des balles. Une préface pour présenter un écrivain qui a fait fi des conventions tout en défendant ce petit pays, aussi bien que ses saints, héros, démons et martyrs, par un ton d’amusement, de légèreté, de vérité crue, sans fard. Lokman Slim se fait l’avocat de cet homme à qui la vie n’a pas appris à se méfier des surprises tant il était pressé de saisir à pleines mains tous ses émerveillements. Même les plus défendus, tant est grande l’hypocrisie de la société… Un livre tonique, loin de toute frilosité, écrit sans sophistication littéraire, avec sensualité, cœur et teinté du savoureux parfum de la langue du terroir. Afin de mordre la vie à pleines dents et réécrire l’histoire, loin de toute crainte et avec zéro approche de sentiment timoré ou d’oppression. Voilà un franc-parler pour une liberté nue.

« Niswan men Lebnan » d’Iskandar Riachi (« Femmes du Liban » – 366 pages – Dar el-Jadid) disponible en librairie.

Le Voltaire de l’Orient

Il est bon de rappeler le brillant parcours d’Iskandar Riachi, homme de lettres et d’action, lui-même certes un personnage picaresque mais aussi une éminente personnalité qui lui valut d’être surnommé le Voltaire de l’Orient ! Né à Khinshara en 1890 et décédé en 1961, malgré tout son attachement à son pays d’origine, Iskandar Riachi avait hâte d’explorer la vie et le monde. « Une vie de roman, qu’on devrait écrire pour honorer la mémoire de cet homme fabuleux », comme le souligne son éditrice Racha el-Ameer…

Dès l’âge de vingt ans, Rachi part pour les États-Unis où il fonde à New York le quotidien al-Watan al-Jadid. Le bouillonnement de ses déplacements s’articule ensuite de Paris à Zahlé avec d’innombrables articles polémiques et incendiaires, de virulents billets de journaliste rompu à la tâche ainsi que sa fonction de président de l’ordre des journalistes et de conseiller du gouverneur de Zahlé sous le mandat français.

Polyglotte, hédoniste, fringant homme à femmes, il cultivait avec passion la liberté du mot et ne s’embarrassait pas d’attitudes conformistes. Il a épousé en 1920 Marie Kahwaji, fille des rives du Berdaouni, avec qui il aura sept enfants. Son fils Marc fut un pilier d’an-Nahar et sa fille Natacha a fait couler beaucoup d’encre de par sa relation avec le crooner syrien Fahd Ballan, sex-symbol masculin arabe des années 1970… Mais au-delà de ces détails, on retient le louable témoignage du général Georges Catroux à son propos : « Iskandar Riachi est l’un des plus talentueux et puissants journalistes au Proche-Orient. »

Riachi avait plusieurs livres à son actif, rédigés de son style vif et mordant, intrinsèquement journalistique, où la dérision, la caricature, la raillerie, le sarcasme et la satire figurent toujours à la pointe de sa plume.

Cet écrivain, considéré comme un « Don Juan », « Play Boy », « Dandy libertin », a signé par exemple des ouvrages aux titres explicites : Kabel wa ba3ed (Avant et après), Na3ich ma3 al-aliha (Nous vivons avec les dieux), Rou’assa’ loubnan kama araftahom (Présidents du Liban tels que les ai connus), Ahl el-gharam (Les gens de l’amour) et Majanin wa majnounat el-hob (Les fous et les folles de l’amour).

Ce n’est pas pour rien que Racha el-Ameer a obtenu récemment le prestigieux Prix Voltaire pour l’édition. Avec son frère Lokman Slim, assassiné il y a déjà plus d’un an, elle avait fondé la maison d’édition Dar el-Jadid qui représentait pour eux non seulement un champ d’activisme d’intellectuels arabes avisés, mais aussi une quête pour révéler les trésors enterrés de la...

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