Fruit de deux semaines de discussions assez rythmées en Conseil des ministres entre le 25 janvier et le 10 février, et approuvé dans une atmosphère houleuse lors d’une ultime réunion au palais de Baabda, le projet de budget pour 2022 était jusqu’ici très secrètement gardé par les différentes parties impliquées dans sa rédaction. Et pour cause : élaboré en marge de la première session de discussions officielles entre le Liban et le Fonds monétaire international devant, à terme, permettre au Liban de souscrire à un programme d’assistance financière en contrepartie de la mise en place de réformes, le texte doit contenir de nombreuses mesures impopulaires pour aiguiller le pays sur la voie du redressement économique et financier.
Il a donc fallu attendre environ trois semaines pour que la version amendée du projet adoptée par l’exécutif soit transmise à la commission parlementaire des Finances et du Budget. Jeudi dernier, le député Ibrahim Kanaan, qui préside la commission, a convoqué ses homologues à une réunion mardi prochain consacrée à l’examen des 1371 pages, contenant notamment presque 150 dispositions, en plus des différents tableaux et annexes. La commission le transmettra ensuite au Parlement, qui se réunira en assemblée plénière, pour le voter – en dehors des délais constitutionnels expirés depuis fin janvier.
Notre publication sœur, L'Orient Today, a pu obtenir une copie de cette dernière version du projet de loi de finance et a décomposé les changements les plus importants – mais sans le préambule. Dans la version de ce dernier, soumis en même temps que l’avant-projet, le ministre des Finances, Youssef Khalil, avait indiqué s’être basé sur un taux de change de 20 000 livres libanaises pour un dollar, un niveau très proche de celui affiché actuellement sur le marché parallèle et par la plateforme de change Sayrafa opérée par la Banque du Liban. Ce taux marque une dépréciation de plus de 90 % de la valeur de la monnaie nationale depuis le début de la crise il y a plus de deux ans.
Déficit inférieur de 10 %
Dans le projet de budget amendé, le déficit budgétaire prévu par le gouvernement pour l’exercice de 2022 s'élève à 8 220 milliards de livres libanaises, pour des dépenses estimées à 47 329 milliards de livres et des recettes estimées 39 109 milliards de livres.
Ce nouveau déficit est inférieur de 10 % à celui initialement prévu dans l’avant-projet du budget présenté par le ministère des Finances. En retirant les 7 194 milliards de livres mis de côté pour les réserves, le déficit final se réduit à 1 026 milliards de livres. Ces chiffres, une fois convertis en dollars américains au taux du marché parallèle, équivalent à 2,3 milliards de dollars pour les dépenses et à 400 millions de dollars pour le déficit avant l'ajustement, et à 50 millions de dollars après l'ajustement.
Ces chiffres ne comprennent toutefois pas l’avance du Trésor de 5 250 milliards de livres accordée à Électricité du Liban (EDL). Cette avance semble avoir été supprimée en Conseil des ministres, l’exécutif planchant en parallèle sur un plan de réforme du secteur de l’électricité dont l’adoption constitue une condition préalable pour obtenir un financement de la Banque mondiale pour les deux volets de l’initiative américaine dévoilée en août dernier permettant au Liban d’importer du courant jordanien et du gaz égyptien pour pallier ses carences de production. Ces deux volets font partie des mesures à courte terme envisage dans le plan du ministre de l’Energie et de l’Eau Walid Fayad.
Taux de change
Autre point notable, le projet de budget amendé a bien été expurgé de l’un de ses articles les plus controversés, celui accordant au ministre des Finances des pouvoirs spéciaux au niveau de la fixation du taux de change pour le calcul des impôts. Cette prérogative a désormais été accordée au Conseil des ministres dans son ensemble. En outre, le passage consacrant la différence entre les comptes en « dollars frais » et les comptes en dollars bancaires ou « lollars » - ceux soumis à des restrictions bancaires - a été supprimé, tout comme les articles abordant le remboursement par les banques des dépôts dans leur monnaie d'origine.
Il en est de même pour l’article qui revoit à la hausse le plafond de garantie par l’État des dépôts bancaires ainsi que la fixation de nouveaux plafonds distincts pour les comptes en dollars frais. La seule référence aux dollars frais maintenue dans le projet de budget est celle de la disposition qui exempte les comptes d’un prélèvement obligatoire de 10 % jusqu'à fin décembre 2024
Rappel des cartes prépayées
Une des nouvelles mesures les plus surprenantes concerne les cartes de recharge pour téléphones mobiles prépayées commercialisées par les opérateurs Alfa et Touch. Le projet de budget amendé ordonne qu’elle soient toutes considérées comme expirées – dès l’adoption du budget, en principe ou à une date qui pourrait alors être ajoutée lors des débats parlementaires - et que les montants engagés par les commerçants et les particuliers pour les acquérir soient intégralement remboursés. Une mesure motivée par une volonté d’éviter, en prévision de l'augmentation prochaine des tarifs, que ces cartes, dont les prix étaient calculés selon le taux officiel de 1507,5 livres pour un dollar, ne soit revendues aux prix majorés. Pour rappel, la majoration des prix des cartes passe par une décision du ministère des Télécoms – contrairement à ceux de la téléphonie et de l'internet fixe qui nécessite une décision en Conseil des ministres.
Frais pour les permis de travail
Un autre ajout important au nouveau projet est l'augmentation proposée des frais imposés pour l’obtention des permis de travail. Le texte prévoit que ces frais passent de 3 millions à 16 millions de livres pour les permis de travail de première catégorie, avec des augmentations du même ordre pour les autres catégories.
Arriérés de la CNSS
Le projet de loi de finance propose également de rembourser les arriérés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) sur cinq ans, le premier paiement devant être effectué avant la fin du mois de septembre. Le texte précise que les remboursements peuvent être effectués à travers l'émission de bons du Trésor en livres.
Le texte introduit de nouveaux frais devant être perçus par le ministère de la Jeunesse et des Sports. A l'avenir, et si cette proposition est maintenue, les licences des fédérations, des clubs, des associations de scouts et des salles de sport pourraient ainsi être soumis à des frais annuels.
Outre l’adoption du dollar plutôt que la livre comme monnaie de référence pour calculer le montant des taxes de sortie du territoire, libanais le gouvernement propose de faire payer 4 dollars aux voyageurs en transit. Ce droit serait inclus dans le prix du billet d'avion.
La balle est maintenant dans le camp du Parlement et, compte tenu de la position des différents partis politiques, le processus risque de s'éterniser. L'équipe de négociation du Fonds monétaire international sera de retour à la mi-mars, la banque centrale subit une hémorragie de dollars américains et les élections parlementaires sont dans deux mois. Quelle que soit l'issue de cette situation, une chose est sûre : la marge de manœuvre des dirigeants libanais se réduit au fur et à mesure que le temps passe.
commentaires (9)
AU LIBAN IL FAUT INSTALLER LA GUILLOTINE. ELLE AURA BEAUCOUP DE TETES A COUPER.
LA LIBRE EXPRESSION
11 h 58, le 07 mars 2022