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Hélène Cadou : le blanc soleil de la parole

Une poésie blanche, une ode à l’amour, la vie et la mémoire, pour conjurer l’absence de l’aimé, puis l’absentement à soi.

Hélène Cadou : le blanc soleil de la parole

René Guy Cadou et Hélène Cadou.

J’ai le soleil à vivre d’Hélène Cadou, éditions Bruno Doucey, 2022, 144 p.

«Je ne m’habituerai jamais aux bornes citadines/ Jamais aux murs désolés de la vie/ Ah ! donnez-moi le blanc soleil de la parole/ Une simple monnaie du ciel dans ma ceinture (…). »

L’enfance et la jeunesse d’Hélène Cadou furent heureuses, baignées d’amour. Puis vint la perte prématurée de l’aimé et un long apprentissage de l’absence. « Adieu à toi qui me fis don/ De ton absence en viager », écrit-elle. Ce grand amour sera à la taille de l’existence d’Hélène. Il est la porte par laquelle elle va dans le monde et sa beauté, puis au rendez-vous de la mort. Hélène a publié un seul recueil du vivant du poète René Guy Cadou dont elle fut l’amoureuse, l’épouse et la muse. Lorsqu’il est emporté par un cancer en 1951, ils ont tous les deux à peine 30 ans. Hélène voit la parution de 25 recueils durant son existence qu’elle consacre à la poésie, à son travail de bibliothécaire et de présidente de la Maison de la culture à Orléans, et à la diffusion de l’œuvre de René Guy Cadou. Elle meurt en 2014.

« Ce n’est pas d’un homme que je parle/ C’est d’un pays en moi/ Qui a visage d’homme/ Une étendue de brume et de soleil/ Tiède et rude comme le parfum des genêts/ (...) Car la mort et l’amour ont le même visage/ Le même regard doux et dévorant/ D’enfance inachevée/ Qui me poursuit et qui me garde (...) ».

Les éditions Bruno Doucey publient J’ai le soleil à vivre, ouvrage posthume composé de plus de 100 poèmes inédits d’Hélène Cadou. La préface, signée Murielle Szac, met en exergue la puissance de l’amour de l’instant présent chez Hélène Cadou. Szac trace subtilement et avec émotion, la ligne qui va « de la petite chambre de Louisfert, en pays nantais, où ils vécurent heureux ensemble, à la chambre 713 qu’occupa Hélène à l’hôpital » dans les dernières phases de sa maladie.

« Ici j’écris/ En ce temps/ En ce lieu/ Mais c’est une autre chambre que j’habite/ À l’étage du dernier froid/ Toute petite/ Avec des vêtements pendus derrière la porte/ Comme s’il n’y avait plus de corps pour les reprendre/ Le mur est blanc d’attente/ (...) Nous sûmes qu’il y aurait des jours/ Heureux tel un enfant qui joue dans les bois/ Des servitudes sans répit la mort/ Que nous serions sauvés ensemble/ À cause de cette chambre-là/ Pauvre et nue/ Gardienne de notre destin qui tremble/ Et de ta voix. »

La poésie d’Hélène Cadou est clairvoyante et aveuglée de lumière. La tristesse, l’amertume, le désarroi, sont un cri dans quelques poèmes, puis la douceur les drape. Sa voix est franche. Une voix d’enfance, émerveillée de connaître l’amour, lucide d’apprivoiser la mort. Sage et tranquille, une douleur baudelairienne où le spleen prend le soleil. Car le soleil est partout dans ses vers et son regard. Hélène Cadou évoque dans son écriture une manière d’être au monde, portée par la grâce de l’amour préservé dans sa première fraîcheur.

Concernant J’ai le soleil à vivre, Jean-François Jacques, représentant de la succession Cadou, précise dans sa postface : Hélène Cadou, qui ne datait jamais ses poèmes, a laissé « une profusion de manuscrits à des stades divers du développement de leur écriture ». En vue d’une publication, elle retenait une thématique spécifique et « puisait alors dans son ‘réservoir’ de textes ». Le choix des poèmes inédits de ce recueil – la plupart daterait des années 2006 à 2008 – s’est porté sur les morceaux dont l’écriture semblait « achevée ou presque achevée ». À la lecture de cet ouvrage, des différences de style, peut-être caractéristiques de périodes d’écriture distinctes, sont perceptibles : certains poèmes sont lyriques et foisonnants, d’autres incisifs et plus dépouillés.

« Une image qui se met à vivre/ c’est gênant/ On aimerait la faire rentrer très vite/ Dans un livre/ (...) Qu’arriverait-il/ Si toutes les vitres se brisaient/ Si une femme se mettait à dire/ J’existe/ J’aime le soleil/ Je crois aux mots/ Fini le silence/ Comme un couteau/ Tous les feuillages du monde/ Toutes les vagues de la mer/ Bougent en moi/ J’ai des siècles de servitude/ À déplacer. »

Hélène Cadou use de sa voix : elle écrit et proclame. Son amour, sa résistance, sa rébellion. Sa liberté d’être respire dans chaque vers. La douceur est là, sans être docile. La violence est embrassée tendrement. En empruntant les marches de « l’obscur » – c’est ainsi qu’elle désigne la maladie d’Alzheimer – elle y apporte sa lumière. Hélène Cadou est Pénélope et Orphée. Elle ne descend pas aux Enfers pour retrouver l’aimé mais fraie pour lui les chemins de clarté sur terre.

« (...) Puisque même la mort/ Pour m’atteindre/ Prend le visage qui me rassure. »

« As-tu jamais habité cette chambre étrangère/ Perdue dans les épaisseurs de la neige/ et pivotant au pur sommet de la lumière/ Là où tout se dénude dans l’absence ? (...). »

« Tout reprendre en silence/ Arbre source paupière/ Tâtonner comme un aveugle/ Dans le vocabulaire. »

Alors qu’elle tente de « (tenir) un jour encore/ La tête haute/ Hors de l’obscur », Hélène Cadou ne se résout pas à l’oubli. Mots et images s’amenuisent et dans ce naufrage, Hélène Cadou en appelle à « l’urgence » de vivre. La persistance du soleil dans « l’obscur » s’intensifie dans la façon dont elle exprime les défaillances de sa mémoire « Que m’arrive-t-il/ En ce blanc matin/ Je suis comme une île/ Qui défait ses liens/ Déjà je dérive/ Dans le soleil fou (...) ». Cette écriture vigilante et émue de la maladie d’Alzheimer, cette rencontre avec l’agonie mnésique en territoires de poésie, rend ce recueil unique.

J’ai le soleil à vivre d’Hélène Cadou, éditions Bruno Doucey, 2022, 144 p.«Je ne m’habituerai jamais aux bornes citadines/ Jamais aux murs désolés de la vie/ Ah ! donnez-moi le blanc soleil de la parole/ Une simple monnaie du ciel dans ma ceinture (…). »L’enfance et la jeunesse d’Hélène Cadou furent heureuses, baignées d’amour. Puis vint la perte prématurée de...
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