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Moyen-Orient - Éclairage

La désignation du juge copte Boulos Fahmy à la Cour suprême constitutionnelle, élément de vitrine pour Sissi

Saluée comme une décision en faveur de la situation des chrétiens d’Égypte, elle est aussi dénoncée comme étant un outil de propagande pour le régime.

La désignation du juge copte Boulos Fahmy à la Cour suprême constitutionnelle, élément de vitrine pour Sissi

Le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi à côté du pape copte Tawadros II durant la messe du réveillon de Noël à la Cathédrale de la nativité du Christ dans la nouvelle capitale administrative égyptienne, à 45 km du Caire, le 6 janvier 2022. Photo archives AFP

« Une nouvelle étape nationale historique. » Tels sont les mots d’André Zaki, chef de la communauté évangéliste d’Égypte, pour qualifier la nomination du juge copte Boulos Fahmy à la présidence de la Cour suprême constitutionnelle (CSC) par le président Abdel Fattah al-Sissi le 9 février.

Mirette F. Mabrouk, directrice et fondatrice du programme sur l’Égypte au Middle East Institute, souligne le caractère exceptionnel de cette désignation, tout en qualifiant cette décision présidentielle d’« acte réfléchi ». Bien qu’historique sur le papier, cette nomination s’inscrit en réalité dans la continuité de la stratégie de M. Sissi et poursuit des buts politiques et médiatiques.Sélectionné parmi quinze autres juges candidats à cette position, Boulos Fahmy, 65 ans, a auparavant occupé d’autres postes dans le système judiciaire égyptien, notamment ceux de vice-président de la CSC en 2010 et de président de la cour d’appel du Caire en 2014.

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Ce geste du président Sissi en faveur de la communauté copte d’Égypte, s’inscrit dans une politique plus large qu’il a mise en place, dont l’objectif est de tendre vers une Égypte plus égalitaire sur le plan de la citoyenneté pour unifier davantage le pays et sa société, dont les divisions interconfessionnelles ont été exacerbées sous son prédécesseur, Mohammad Morsi. Cette décision détone de par l’importance du poste attribué et celle de l’institution. Ce corps judiciaire indépendant remplit un grand nombre de missions, allant de la vérification de la constitutionnalité des lois à l’interprétation des textes de loi, en passant par la mission de statuer sur les conflits entre juridictions. Le président de la Cour suprême constitutionnelle se place, quant à lui, au quatrième poste le plus important du pays, après le président, le Premier ministre et le président du Parlement. Autre signe de l’importance politique du président de la Cour, sa troisième place pour exercer les fonctions présidentielles dans le cas où le président de la République se verrait dans l’incapacité d’assumer ses fonctions.

Soutien pour la communauté copte

Cette nomination, soutien le plus récent témoigné par M. Sissi à l’égard de la communauté copte, selon Mirette F. Mabrouk, fait suite à une série d’autres décisions présidentielles à forte charge symbolique qui semblent faire progresser la reconnaissance de la minorité dans la société, comme celle d’assister à la messe de Noël copte le 6 janvier 2015, une première à cette époque, ou celle d’envoyer en février de la même année des avions de combats sur les positions de l’État islamique en Libye, à la suite de la décapitation de 21 coptes par le groupe terroriste. En 2016, l’adoption d’une loi par le Parlement égyptien visant à faciliter la construction d’églises semble parfaire l’image d’un président protecteur des chrétiens et progressiste, l’une des revendications de la révolution de 2011 étant la création d’une loi unifiée sur la construction des églises et des mosquées. En réalité, souligne Maged Mandour, analyste politique égyptien à Carnegie Endowment, « la construction d’églises en Égypte demeure difficile du fait du processus bureaucratique et de l’opposition islamiste ». Cette limite illustre la complexité de la politique conduite par le président égyptien à l’égard des minorités, qui est « beaucoup plus conservatrice et sectaire qu’elle ne voudrait le montrer », ajoute Maged Mandour.Pour beaucoup, Abdel Fattah al-Sissi aurait « ravivé l’histoire des chrétiens d’Égypte », selon les mots de Mgr Michel Chafik, recteur de la Mission copte catholique à Paris. Signe apparent de ce lien entre le chef de l’État et cette minorité, les coptes ont vivement salué l’arrivée au pouvoir en juin 2014 du général Sissi qui succède à la présidence de Mohammad Morsi, représentant des Frères musulmans, durant laquelle la communauté a été particulièrement discriminée et opprimée. L’arrivée au pouvoir de Morsi avait marqué un tournant dans la violence subie par la communauté copte, se caractérisant par une radicalisation des discours concernant les chrétiens dans les mosquées, par la multiplication d’injonctions à quitter le pays ou encore par la vandalisation d’églises.

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Pour Mirette F. Mabrouk, M. Sissi est « perçu comme un allié, notamment face à l’extrémisme islamiste ». Ce positionnement par le président égyptien en tant que défenseur de la minorité copte comporte de forts enjeux politiques, puisqu’il vise à renforcer la légitimité et l’influence de Sissi auprès de cette communauté qui représente entre 10 et 15 % de la population égyptienne, constituant de fait un enjeu électoral non négligeable. Symbolisé par la proximité entre la figure présidentielle et le pape copte Tawadros II, la défense des coptes par le raïs lui permet également de contraster avec l’image de dirigeant autoritaire bafouant les droits humains, qui colle à la peau du chef de l’État égyptien.

Dans un pays où l’expression publique demeure réservée aux soutiens du régime, l’annonce de cette désignation a suscité de multiples louanges venant des autorités religieuses sunnites, comme l’illustre les félicitations publiées sur Facebook du cheikh d’al-Azhar, Ahmad el-Tayeb, à l’adresse de Boulos Fahmy, ou celles du grand mufti d’Égypte, Chawki Allam, soutenant que « musulmans et chrétiens sont les fils d’une même nation ». Les membres du Conseil national pour les droits humains se sont eux aussi réjouis de cette avancée, à l’image d’Essam Chiha, qui affirme que cette désignation confirme que le pays s’engage dans la « direction d’une république des droits de l’homme de première classe ». Cette nomination, en cultivant l’idée selon laquelle chaque Égyptien, indépendamment de sa religion, peut accéder à des postes de premier plan, constitue pour les défenseurs du régime le signe le plus visible de l’avènement de cette république moderne.

Des réserves

Mais les soutiens de Sissi n’ont pu faire taire certaines voix qui expriment leurs réserves quant à l’impact déterminant de cette désignation sur l’avenir des coptes d’Égypte. Mina Thabet, militant des droits de la minorité copte et responsable du département « Groupes religieux et minorités » à la Commission égyptienne pour les droits et libertés (ECRF), dénonce l’apparence positive que revêt cette nomination qui est, selon lui, « un geste vide qui valide la propagande du régime », « servant à blanchir sa réputation à l’étranger ».

Par cette désignation, le président Sissi renvoie à l’Occident l’image d’un président protecteur et tolérant à l’égard des chrétiens d’Orient, occultant la persistance de profondes inégalités et de discriminations sociales vécues au quotidien par la minorité copte.

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La nomination du juge Boulos Fahmy révèle en réalité une proximité certaine entre le juge et le régime égyptien actuel, davantage qu’une relation privilégiée entre le président et les coptes. Pour Maged Mandour, cette nomination est dépourvue de toute portée pour la communauté copte, puisque la Cour dont « l’indépendance s’est érodée depuis longtemps » est présidée par un « juge loyal au régime ». Mirette F. Mabrouk, elle aussi, nuance la portée de cette nomination en reconnaissant qu’elle constitue « un très fort indicateur du soutien public apporté aux coptes d’Égypte », mais rend compte du sentiment général selon lequel « beaucoup de progrès restent à faire ». Si par cette mesure, Abdel Fattah al-Sissi renforce son image de président protecteur des chrétiens d’Égypte, le spectre des attentats antichrétiens de 2011 et 2016 continue de peser sur la mémoire collective copte.

La persistance de sentiments d’insécurité et d’inégalités dans cette communauté fait de la nomination de Boulos Fahmy un élément de la vitrine politique du régime, qui ne doit pas occulter la réalité de la situation de cette minorité.

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