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Culture - Exposition

Hala Younès : « Notre terre est un bien plus précieux que l’or et tous les comptes en banque »

« The Place That Remains », présentée à Beit Beirut du 10 février au 20 mars, est une restitution du pavillon libanais à la 16e Biennale d’architecture à Venise en 2018.

Hala Younès : « Notre terre est un bien plus précieux que l’or et tous les comptes en banque »

« The Place That Remains », installation cartographique expliquée par Hala Younès. Photo Ali Dhainy

L’exposition « The Place That Remains », présentée à la Biennale de Venise en 2018, revient à Beit Beirut du 10 février au 20 mars 2022, après une brève ouverture interrompue par la pandémie en 2020. Le sujet, à l’époque à caractère revendicatif, s’est révélé d’actualité avec la crise que traverse le Liban aujourd’hui. Conçue par Hala Younès, elle constitue un inventaire du territoire non bâti, favorisant sa visibilité à travers diverses formes de représentation, à savoir des cartes en relief 3D, des images aériennes, des photographies et des vidéos.

Au cœur de l’exposition, l’installation cartographique principale révèle ce qui ne se voit pas à l’œil nu. Le travail des artistes, Gregory Buchakjian, Catherine Cattaruzza, Gilbert Hage, Houda Kassatly, Ieva Saudargaite Douaihi et Talal Khoury, aborde ainsi par la photographie et la vidéo la relation complexe du peuple libanais à la nature et au paysage. En brandissant un espoir pour l’avenir de notre territoire national, cette exposition a le mérite de nous rappeler que ce qui fait la terre, ce sont ses habitants. Hala Younès, curatrice de l’exposition, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.

Hala Younès, curatrice du pavillon libanais à La Biennale Architettura 2018. ©venicedocumentationproject

Autour de quelle thématique l’exposition s’est-elle articulée ?

L’exposition met l’accent sur un morceau de territoire libanais (le fleuve de Beyrouth) qui prend sa source à Falougha. Évoquer « Nahr Beyrouth », ce n’est pas uniquement s’arrêter au fleuve, c’est aussi évoquer tout un territoire qui s’étend jusqu’à Jabal el-Kneïssé. Nous avons donc pris un échantillon significatif du territoire, un bassin versant qui représente l’ensemble du territoire où l’eau part du même endroit et charge une rivière. Cette maquette, située au centre de l’exposition et réalisée en contreplaqué de bois, reçoit 6 cartes projetées qui se modifient suivant chaque thématique : le terrain géologique, le réseau de l’eau et celui des routes (réseaux publics), la forêt et l’activité agricole, l’urbanisme, etc. Et surtout la place qui reste, ce qui nous amène à la dernière carte que l’on juge être (avec un peu d’optimisme) la ville de demain. C’est grâce à la collaboration de l’armée libanaise (qui nous a fourni un modèle numérique du terrain) que nous avons réussi à graver la topographie. C’est avec Ali Dhainy, mon assistant, que j’ai réalisé ce travail. L’armée a aussi fourni des photographies aériennes allant de 1957 jusqu’en 2008. La prolifération de la nature atteste d’une agriculture abandonnée et de terrains désormais en friche, ce qui favorise les incendies. On ne coupe plus le bois, on élève moins de chèvres et de moutons. C’est donc une transformation plutôt négative.

The « National Park and Reserve of Nahr Beirut », 2018. © Ieva Saudargaitė Douaihi,

Quel était l’apport des architectes libanais et qu’avaient-ils de plus précieux à présenter à la Biennale d’architecture de Venise ?

Notre préoccupation est notre territoire, son devenir et les conditions qui nous permettront encore de construire pour l’habiter sans se laisser uniquement entraîner dans la spéculation foncière. Miser sur la spéculation foncière et sur la plus-value nous éloigne de l’essentiel, à savoir mettre en avant notre terre et ses qualités, afin de préserver ce qui reste. La terre est un bien culturel et non une valeur foncière. Avec la crise financière et la dévaluation de notre monnaie, nous avons réalisé que notre terre est un bien plus précieux que l’or et tous les comptes en banque. Éviter que le patrimoine ne soit sacrifié pour redresser l’économie est la démarche salvatrice. Le territoire se doit d’être la raison pour créer une économie productive. Préserver ses qualités, c’est donner envie au peuple d’y rester ou d’y revenir. Voilà pourquoi ce qui nous accueille à l’entrée de l’exposition, ce sont les photographies de Gilbert Hage. Elles sont les gens qui restent.

« Fragments from the Ridgeline », 2018. © Gregory Buchakjian

Si l’exposition a pour titre « The Place That remains », de quelle manière, par leurs réalisations, les artistes ont-ils répondu à la question : que représente pour vous la place qui reste ?

Pour Gilbert Hage, ce sont les hommes qui restent ! Dans une série de portraits réalisés dans les villages de Hammana et de Ras el-Metn, le photographe a demandé aux habitants de poser avec ce qui représente pour eux leur attachement à la terre. Voilà pourquoi une petite fille tient une branche d’amandiers, un poète son cahier d’écriture, le berger son bâton, un bûcheron sa hache et une vielle dame son pot de miel. Vingt portraits défilent à la manière des saints ou des dieux qui portent sur eux leurs attributs. Mais ce qui reste aussi pour l’artiste, c’est le territoire vertical, celui qu’on ne pourra jamais modifier. Une photographie de la montagne de Baabdate en atteste. Talal Khoury (vidéaste) a filmé à l’aide de drones le bassin versant de Hammana jusqu’à Bourj Hammoud et a comparé le citoyen libanais au sort de cette rivière qui prend sa source dans la pureté, et se jette dans la pourriture et la corruption.

Catherine Cattaruzza (photographe) présente son projet « The Thin Line Between the River and Me », où elle aborde le sujet de l’histoire du paysage à travers celle de l’agriculture et réalise des photos sur l’activité agricole où, entre les oliviers, les pins, les mûriers et les terrasses cultivées, 2 000 ans d’histoire défilent. Pour l’artiste, ces sont les traces de ce paysage qui restent.

Ieva Saudargaite Douaihi a réfléchi pour sa part sur le principe de consommer du paysage plutôt que d’en jouir. Elle a photographié toutes les activités sportives réalisées dans des espaces en coupant la falaise ou en détruisant les montagnes.

Pour mémoire

Hala Younès : « Il reste encore quelque chose à sauver au niveau de notre territoire »

Gregory Buchakjian a choisi comme titre pour son œuvre Fragments de la ligne de crête. Il a sillonné en voiture la ligne de crête du bassin versant qui s’est révélée être, pour une grande part, des lignes de front, mais en même temps des lieux de villégiature.

Pour terminer, Houda Kassatly (anthropologue) a travaillé sur la manière de s’approprier le paysage à travers les figures religieuses et les jardins privés. Pour la photographe, placer des figures religieuses, c’est marquer le terrain et valoriser la beauté de ce territoire ou forcer le regard du passant. Quant aux jardins, c’est faire pénétrer la nature chez soi et s’approprier le territoire.

Cette exposition, visant à fournir une réflexion sur la terre décrite comme notre « dernier monument », est une magnifique preuve que notre histoire s’inscrit d’abord dans notre géographie, ensuite par la détermination du peuple à faire fructifier le terrain, celui qui reste…

« The Place That Remains »

À Beit Beirut, du 10 février au 20 mars.À partir du 24 février, des visites guidées sont organisées les jeudis et samedis à 17h.Réservations : theplacethatremains@gmail.com

Curatrice : Hala Younès.

Artistes : Gregory Buchakjian, Catherine Cattaruzza, Gilbert Hage, Houda Kassatly, Ieva Saudargaite Douaihi et Talal Khoury.

L’exposition « The Place That Remains », présentée à la Biennale de Venise en 2018, revient à Beit Beirut du 10 février au 20 mars 2022, après une brève ouverture interrompue par la pandémie en 2020. Le sujet, à l’époque à caractère revendicatif, s’est révélé d’actualité avec la crise que traverse le Liban aujourd’hui. Conçue par Hala Younès, elle constitue...

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