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Culture - Entretien

Hala Younès : « Il reste encore quelque chose à sauver au niveau de notre territoire »

Alors que l’installation The place that remains*, présentée au sein du pavillon libanais à la Biennale de Venise de 2018, a été exposée pour quelques jours à Beit Beirut (fermée temporairement pour cause de pandémie du coronavirus), sa curatrice, l’architecte Hala Younès, revient sur l’importance de présenter un tel événement à Beyrouth, aujourd’hui plus que jamais...

Une œuvre photographique de Talal Khoury datant de 2018. © Talal Khoury, 2018

Vous aviez d’abord présenté The place that remains au sein du pavillon libanais à la Biennale d’architecture de Venise en 2018, comme une sonnette d’alarme pour préserver notre territoire. C’était presque prémonitoire, puisque ces sujets sont aujourd’hui au cœur des préoccupations des Libanais…

La crise que le pays traverse aujourd’hui n’est pas née de nulle part. À la seule différence qu’avant le 17 octobre, nous avions l’impression de baigner dans une ambiance délétère avec une sorte de compte à rebours vers on ne sait quoi… Cette sensation de chuter vers quelque abîme est sans doute ce qui a incité l’idée du pavillon libanais de Venise en 2018. C’était une manière de faire porter ce message, comme une urgence, avant de le ramener aujourd’hui vers la source… D’ailleurs, avec les circonstances actuelles, reviennent les fantômes de la grande famine de 1915-1918 dont certaines sources affirment qu’elle aurait coûté la vie à un tiers de la population du Mont-Liban. Si ce souvenir remonte à la surface aujourd’hui, c’est aussi et surtout parce qu’à l’époque, les terrains étaient presque tous accaparés pour la production de la soie, chose qui avait nui à l’agriculture. Ce même scénario se répète un centenaire plus tard, mais avec l’immobilier qui vient, cette fois, remplacer toute autre activité possible.

Quitte à simplifier la chose, quel est selon vous le problème essentiel du territoire libanais ?

Sans la moindre hésitation, je dirai justement la spéculation immobilière qui a transformé nos terrains en de simples commodités. Alors que, dans l’absolu, une terre au sens large du terme est censée nourrir, protéger, dans notre cas, celle-ci est devenue un énième produit sur lequel on spécule… L’amplification sans logique des prix des terrains, doublée d’une augmentation des prêts supposés attirer ce qu’on appelle depuis peu le fresh money a fait que tout ou presque est devenu à vendre. Une surévaluation de prix qui a mené, entre autres, à un manque de protection de certains sites supposés être classés, comme on a pu le voir dernièrement à Nahr el-Kalb. Cet exemple résume bien la situation qui menace le littoral, l’agriculture naguère florissante au Liban – comme le prouve le reste de terrasses sur certaines images de l’exposition – mais aussi les ressources naturelles et toutes les activités productives…

Cela dit, en traversant cette exposition, que ce soit à travers la carte qui signale ces lieux « qui restent » ou les œuvres des photographes qui les documentent, on ressent une sorte d’espoir…

On a tendance, ici, à baisser les bras à force de batailles perdues… L’idée, avec The Place That Remains, était justement de trouver un moyen d’exprimer le fait qu’il reste quelque chose à sauver. Je parle de tous ces lieux publics qui demeurent dans le pays comme des parenthèses flottantes, en marge du privé et des espaces touchés par une certaine forme de construction. Après avoir identifié ces zones-là, à travers aussi le travail de documentation des photographes qui font partie de cette exposition, la question soulevée est celle de l’emploi à bon escient de ces espaces… Je pense que l’on ressort de ce parcours avec d’abord une meilleure connaissance de notre culture géographique, que ce soit par le biais du plan en relief ou les images des photographes, qui nous permet de nous ancrer davantage dans notre « pays » et de l’aimer un peu plus aussi…

Pourquoi, d’ailleurs, avoir eu recours uniquement à des photographes pour vous épauler dans ce projet ?

Je parlais un peu plus tôt de batailles perdues… Il me semble qu’aujourd’hui, si nous en sommes arrivés à ce gouffre-là, c’est parce qu’on ne visualise toujours pas notre territoire et ses problèmes. Voilà pourquoi l’objectif principal de cette exposition était de rendre visible notre territoire et notre géographie, en ayant recours à une cartographie du Liban, un plan en relief, de la photo aérienne et de la photo de paysage…

Aujourd’hui, que reste-t-il vraiment à sauver ?

Ce qui reste à sauver se fera au terme d’un combat qui nous est vital, aujourd’hui plus que jamais. Il faut arriver à des réglementations urbaines qui protégeront les ressources, les cours d’eau, l’agriculture et permettront par exemple d’avoir des routes qui ne sont pas nécessairement des autoroutes… La révolution joue aujourd’hui à notre avantage, car celle-ci a permis de révéler tous les problèmes dont nous étions conscients mais que nous ne connaissions pas dans leurs moindres détails… Nous sommes tous plus attentifs à ce genre de problématiques. Maintenant est le moment de poser ces questions cruciales, mais aussi de réfléchir à des solutions sur le long terme. C’est aussi pourquoi cette exposition comporte un matériel pédagogique qui, j’espère, une fois la crise sanitaire du moment dépassée, sera à la portée des étudiants libanais.

Le lieu de Beit Beirut semble être crucial pour ce deuxième volet de l’exposition…

C’est un espace qui résonnait bien avec le thème de l’exposition. D’une part, car le projet raconte un Beyrouth qui s’étend sur les deux lignes de crête qui entoure le bassin versant de Nahr Beyrouth, jusqu’à devenir une ville territoire dont il devient difficile de tracer les contours. Et, d’autre part, car le bâtiment Beit Beirut porte en lui les stigmates de la guerre, un peu comme notre territoire qui est marqué par ce qu’on en a fait. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons demandé à ce que la grande maquette de l’exposition reste dans ce lieu.

*The Place That Remains, curation de Hala Younès, provisoirement fermé, se déroule à Beit Beirut, Sodeco, jusqu’au 20 mai 2020.


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Le scandale de la vente d'un terrain appartenant à un ordre de moines maronites sur le promontoire de Nahr el-Kalb à quelques petits mètres de stèles vieilles de 23 siècles et ce, à un parti politique, est un crime contre l'Humanité. Les Libanais ne l'accepteront jamais, au grand jamais. La mégalomanie s'arrête là où commence l'Histoire de la Patrie.

Un Libanais

13 h 18, le 13 mars 2020

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Commentaires (1)

  • Le scandale de la vente d'un terrain appartenant à un ordre de moines maronites sur le promontoire de Nahr el-Kalb à quelques petits mètres de stèles vieilles de 23 siècles et ce, à un parti politique, est un crime contre l'Humanité. Les Libanais ne l'accepteront jamais, au grand jamais. La mégalomanie s'arrête là où commence l'Histoire de la Patrie.

    Un Libanais

    13 h 18, le 13 mars 2020

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