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Nos Lecteurs ont la Parole

Sur la route...

La plupart des pilotes résument tout un pays à ses premiers 5 à 10 kilomètres sur la route qui, après leur atterrissage, les emmène de l’aéroport à l’hôtel. Première impression : jugement prompt.

Que de visiteurs étrangers ou émigrés, arrivant ou quittant notre beau pays, se dégoûtent à la vue, sur ce même chemin, d’insalubrité et de dénuement perceptibles sur les devantures des magasins noircies par la pollution et le manque d’hygiène, sur les vêtements usés des habitants et sur la présence en grand nombre de marchands ambulants aux mains couvertes de crasse, vendant des produits entassés et destinés à la consommation. Configuration tiers-mondiste.

Ils s’agacent, gesticulant répulsivement devant l’insistance d’une multitude de jeunes mendiants, impécunieux, pouilleux et acteurs sinistres de la dégradation du niveau de vie et du tonneau des Danaïdes qu’est devenu notre pays, une fois leur voiture coincée dans des embouteillages. Pauvreté et dégoût vont de pair.

Quel est leur étonnement quand, assis impassibles dans leur véhicule à contempler le paysage offert à leurs yeux pétillants de touristes curieux, leur regard se heurte et se fixe sur un nombre considérable d’immeubles en béton, gardant les traces de la capacité de destruction des hommes et garnis de balcons dissimulés derrière des rideaux déchirés, sales et répugnants, toujours fermés pour se protéger d’un soleil magistral et de l’indiscrétion de certains. Rideaux sales miroitant le soleil, rideaux sales foudroyant l’indiscrétion.

Sur cette route à la force mantique, la présence foisonnante et envahissante de posters-portraits de personnalités politiques étrangères, étalés sur les murs et sur chaque réverbère, en décoration ou en propagande, les ébahit. Dans leur stupéfaction, ils constatent que, plus que dans leur pays d’origine, ce pays d’accueil voue une admiration particulière à ces personnalités inconnues de la plupart des indigènes. Plus que dans leur pays d’origine, ce pays d’accueil paie et étale leurs posters sur cette route mythique devenue muséale grâce à l’exposition de ces pièces de collection équivalentes, dans l’esprit de certains asservis, à des portraits de saints. Et ils sont vénérés. Et plus ces portraits vieillissent, plus ils gagnent en sainteté et en divinité. Une exposition distordue et pour le coup saugrenue et déconcertante.

Le panorama le plus riche et le plus coloré qui s’offre aux yeux des passagers locaux ou touristes est celui des tapis étendus sur les grilles des balcons en vue d’un nettoyage minutieux où des particules poussiéreuses, gagnant en ampleur à chaque coup de balai qui frappe ces malheureux tapis, se mélangent aux particules élémentaires et viennent se déposer sur le linge lavé séchant naturellement sur des étendoirs de fortune juste à côté. Étaler son linge propre, signe ostentatoire d’un paupérisme ravageur.

Crasseuse et grouillante, cette route est audacieuse et multiple. Des fois, elle se livre aux contestataires qui y brûlent des pneus, s’enivre quand ils déversent leur haine à l’encontre des voleurs de leur rêve, se fait complice quand ils proclament leur droit, se calfeutre et se bloque aux voyageurs, et d’autres fois elle sombre dans les accès de rage et de colère des manifestants. Route de notre ouverture au monde ; invitation au voyage dans l’enfer des Libanais.

Un mal au cœur vous prend sur cette route référence et dans ce pays de la générosité, un simple malaise vagal, et tout prend sens et toutes les idées préconçues et préfabriquées durant ces premières rencontres se réduisent comme peau de chagrin. Unis, du moins pauvre au plus pauvre, les gens accourent avec panache à votre secours, qui que vous soyez, catholique, maronite, druze, sunnite, orthodoxe, chiite… vous offrent volontiers des boissons, vous prodiguent gratuitement des conseils et s’inquiètent réellement de votre état de santé en s’enjoignant les uns aux autres de faire appel à un médecin. Pauvreté et bonté se coudoient mystérieusement. L’humain prime sur toute autre considération.

Un mal au cœur vous prend sur les routes d’autres pays, soi-disant civilisés, personne ne vous portera secours, et si personne il n’y a, aucune offre et aucune boisson ne viendra vous consoler gratuitement et relever votre moral dans votre malaise. Agonisant jusqu’à la mort, l’indifférence tue. Civilité et indifférence sont parfois complices.

Corridor palpitant de compassion, cette route façonne notre biographie. Elle raconte notre histoire. Elle nous définit sommairement. Un peuple affable mais démuni face aux cabales politiques, financières, nationales, régionales et internationales ourdies par des dévots qui s’efforcent à l’anéantir, aimable mais éreinté par un quotidien acrimonieux, dynamique mais immobilisé par les turpitudes de chefs inféodés. Mystifié par leurs calembredaines et appauvri par leur connivence contre lui, ce peuple est uni dans la misère et la miséricorde mais désuni sur tous les autres aspects de sa vie nationale.

Uni pour être ou désuni pour ne plus être ? Telle est la question.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

La plupart des pilotes résument tout un pays à ses premiers 5 à 10 kilomètres sur la route qui, après leur atterrissage, les emmène de l’aéroport à l’hôtel. Première impression : jugement prompt. Que de visiteurs étrangers ou émigrés, arrivant ou quittant notre beau pays, se dégoûtent à la vue, sur ce même chemin, d’insalubrité et de dénuement perceptibles...

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