Rien de nouveau sous le ciel libanais… Le pays a beau s’enfoncer dans sa crise, le sauvetage financier apparaître de plus en plus flou et lointain, la pauvreté s’installer dans la durée, la perspective de réforme politique se gripper davantage, le désespoir gagner de larges couches de la population, tout cela n’empêchera pas les pouvoirs publics de continuer, par-dessus le marché, à gaspiller les rares opportunités d’ouverture diplomatique.
Le Liban devait donner dimanche sa réponse à la feuille de route que lui avaient soumise les monarchies arabes du Golfe, par l’intermédiaire du Koweït, dans le but déclaré de le ramener dans leur giron, condition incontournable pour qu’il puisse à nouveau bénéficier de leur soutien politique et surtout financier, lui-même incontournable dans n’importe quel scénario de sortie de crise. La teneur de cette réponse, élaborée par le ministère des Affaires étrangères avant d’être revue et corrigée par les trois principaux dirigeants de l’État, tout autant que les propos tenus la veille à ce sujet par le chef de la diplomatie, affirmant aller au Koweït non pas pour y livrer les armes du Hezbollah mais pour « dialoguer », résume toute l’étendue du drame que vit le pays du Cèdre, depuis si longtemps pris en otage.
Il est vrai que cette fois-ci, un soin particulier a été apporté à la rédaction du texte, avec notamment la multiplication de formules lénifiantes sur la volonté de l’État libanais d’entretenir les meilleures relations possibles avec ses traditionnels bailleurs de fonds arabes. Mais cet effort formel est lui-même révélateur du pathétique de la situation, dans la mesure où il ne peut dissimuler la fin de non-recevoir opposée par Beyrouth à la principale demande contenue dans la feuille de route arabe, à savoir la mise en œuvre de la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies, ce texte de 2004 qui prévoit le désarmement des milices au Liban. Le patriarche maronite, Béchara Raï, ne s’y est pas trompé dans son homélie hier, en appelant le pouvoir politique à « prendre des décisions courageuses et ne pas occulter certaines vérités pour protéger la prolifération des armes et justifier les violations ». Car, précisément, selon tous les dictionnaires du monde, la persistance de milices échappant au contrôle d’un État et d’un système démocratique – quelles que soient les appellations pontifiantes dont elles s’affublent –, cela s’appelle et s’appellera toujours une violation…
À ce stade, la 1559 ne constitue plus seulement un enjeu diplomatique, majeur ou pas. Elle devient une affaire existentielle proprement libanaise. Parce que la question ne se limite pas à savoir si le Liban doit, en appliquant cette résolution, satisfaire ou pas les exigences de telle ou telle puissance étrangère – en l’occurrence celles des pays du Golfe –, elle est d’abord une démarche réformatrice en vue d’un sauvetage intérieur. C’est sur ce point précis qu’une grande confusion est entretenue, non seulement par le pouvoir et une grande partie de la classe politique, mais aussi dans l’opinion et jusqu’au sein de certains partis et groupes de l’opposition issus du mouvement de contestation. N’y répète-t-on pas quelquefois les mêmes paroles qu’on entend auprès de l’establishment politicien, pourtant exécré, à savoir que le dossier des armes du Hezbollah ne peut être réglé que dans le cadre d’un accord régional ? Autrement dit, que le sort d’un pays et de son peuple, si impacté par cet enjeu-là, dépendra toujours, inévitablement, de l’entente ou de la mésentente entre deux capitales étrangères…
Que cache cette affirmation sinon la terrible incapacité à sortir de la logique de l’odieux chantage à la guerre civile dont est nourri quotidiennement le peuple libanais ? Accepter le fait accompli sous la pression ou aller vers le conflit… Ne peut-on donc pas les rejeter, et l’un et l’autre ? À quelques mois des élections législatives, voilà un credo qui mérite d’animer la démarche de tout candidat, de toute formation qui a envie de changer le cours des choses dans ce pays. Le succès n’est peut-être pas pour tout de suite, mais il faut bien commencer un jour, il faut engager le combat.
Un combat pour la 1559 ? Pourquoi pas ? Ce n’est pas qu’un texte diplomatique froid. C’est une des clés du salut de ce pays. Une clé que trop de monde a trop longtemps cherché à égarer…
"Un combat pour la 1559" ? L'auteur ne dit pas comment. La seule voie est la voie pacifique d'un dialogue national qui traite,sans exceptions, tous les aspects de ce problème. M.Z
11 h 55, le 03 février 2022