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Lifestyle - Gastronomie

Édouard Massih et sa « dekkéné », un peu du Liban à Brooklyn

Le jeune chef cuisinier et propriétaire d’Edy’s Grocer, qui a grandi à Enfé, dans le Liban-Nord, a été nommé dans la liste du magazine « Forbes » parmi les 30 jeunes de moins de 30 ans les plus influents et les plus prometteurs de l’année.

Édouard Massih et sa « dekkéné », un peu du Liban à Brooklyn

Edy’s Grocer fait le coin de l’avenue Meserole et de la rue Eckford, à Brooklyn. Photo Sean Fagan

Dans le quartier polonais de Brooklyn baptisé Greenpoint, Edy’s Grocer fait le coin. L’enseigne sur fond vert interpelle le passant, de même que la vitrine sur laquelle on peut lire Lebanese Deli en lettres blanches accompagné du drapeau libanais. À New York, on appelle ce lieu un Grocer ou un Deli, la version américaine de notre dekkéné de quartier. C’est ainsi que l’a voulu son propriétaire, Édouard Massih, 27 ans – nommé dans la liste de Forbes des « 30 under 30 » (catégorie alimentation) – en mettant sur pied sa boutique-épicerie fine en août 2020.

Il suffit de pénétrer à l’intérieur d’Edy’s Grocer, pour se sentir un peu au Liban. Sur des étagères peintes en rose, une gamme de produits importés du Moyen-Orient et plus spécialement du Liban est alignée soigneusement, du thé à l’anis, des biscuits Unica, des boîtes de conserve et autres produits Made in Lebanon, ainsi que de la labné, ou encore sa propre huile d’olive et gamme de noix, fruits secs, céréales, farines, épices et goûters. …Dans un réfrigérateur, il propose une variété de petits plats faits maison : de la soupe aux lentilles, des mezzés, des feuilles de vigne farcies, du hommos ou encore du baba ghannouj… Ce lieu est dépaysant, gai, lumineux, à l’image de son propriétaire.

Le jeune homme, vêtu d’un tee-shirt gris avec son nom brodé en rose, est tout le temps souriant, et ses yeux s’éclairent lorsqu’il parle de sa dekkéné. Inspiré de celles de son enfance au Liban, il a toujours rêvé d’avoir un mini-Sahadi, avoue-t-il en référence à l’épicerie libanaise établie à New York depuis 1895.

Édouard Massih, 27 ans, chef et propriétaire de Edy’s Grocer présentant son rez aadjej. Photo tirée de son compte Instagram edysgrocer

Douce enfance

Pour se présenter, Édouard Massih aime rappeler qu’il a grandi « au sein d’une famille grecque-orthodoxe » à Enfé, au Liban-Nord, « en bord de mer, précise-t-il. Je nageais tous les jours ». Lui était scolarisé au Collège des Frères, à Deddé, ses parents, eux, « travaillaient dur ». « Mon père était propriétaire d’une station d’essence et ma mère d’un salon de beauté ». C’est ainsi qu’il commence à « découvrir l’univers des petits business ». Et c’est grâce à ses grands-parents que la nourriture commence à occuper une place importante dans sa vie. Après un malheureux incident d’électrocution, son grand-père, concessionnaire d’automobile, décide de dédier sa vie à son terrain d’oliviers et d’orangers à Zakroun. « Je passais énormément de temps avec lui et ma grand-mère, qui cuisinait à longueur de journée », se souvient-il. Ce train de vie, dans ce cadre-là, Édouard Massih le chérissait énormément.

Édouard Massih sélectionne les produits qu’il veut vendre comme s’il « faisait son supermarché du dimanche » au Liban. Photo Sean Fagan

Horrible départ

Mais peu avant ses 10 ans, son père décide que le moment est venu de tourner la page. « Il sentait que les choses ne s’amélioraient pas au Liban. Je pense qu’il en a eu marre de vivre dans une petite ville, d’attendre les fins de mois, avec son petit cahier dans lequel il consignait les crédits des clients. » Le jeune homme interrompt un instant son récit pour saluer quelques clients qui sortent de sa boutique les bras chargés de sac. « Ça m’a fait plaisir de vous voir, passez une bonne journée ! » En 2004, quelques mois après l’installation de son père à Boston, Édouard Massih, sa sœur et sa mère le rejoignent. « Horrible », le mot résume à lui tout seul le sentiment provoqué par ce départ. « J’adorais mon bord de mer, ma famille, mes amis. On m’arrachait à tous mes bonheurs. J’ai beaucoup pleuré. » S’adapter à la vie américaine s’avère extrêmement dur pour lui. Il ne parle pas l’anglais, alors qu’il « adore communiquer avec les autres ». Et il n’est plus dans une ville à taille humaine. « Il n’y avait plus la dekkéné du coin pour acheter un Bonjus, un paquet de chips, ou une man’ouché. Il fallait prendre la voiture pour faire le moindre petit achat. » Pour se consoler de ces manques, Édouard Massih se réfugie dans la cuisine. « Mes parents travaillaient dur, nous n’avions pas de gros moyens. Je préparais le dîner pour la famille en suivant les recettes de ma grand-mère, de la kebbé, de la kafta, du chawarma. » Alors, quand vient le moment de choisir son université, il opte pour l’Institut culinaire d’Amérique.

« Un Libanais fou ! »

Ses études achevées, Édouard lance à 22 ans son entreprise de service traiteur avec l’argent économisé grâce à de petits jobs d’été. Et ça marche, le bouche-à-oreille agissant bien… Il fait « tout, tout seul », prépare ses plats dans la petite cuisine de son appartement new-yorkais et les livre en taxi. « Je l’ai même fait pour un mariage de 180 personnes. » « Oui. Je suis un Libanais fou ! » lance-t-il. En décembre 2019, juste avant le début de la pandémie, Édouard Massih avait dans son planning une vingtaine d’événements par semaine. Lorsque le Covid-19 frappe et que les annulations s’enchaînent l’une après l’autre, le jeune homme décide de vendre des petits plats, toujours préparés depuis sa cuisine. Il le fera durant huit semaines. Jusqu’à ce que le New York Post le mentionne dans un article, ce qui poussera le New York Health Department à lui demander de fermer boutique, sa cuisine n’ayant pas de licence. « Martha Stewart a lancé sa petite entreprise de restauration depuis son sous-sol », rappelle-t-il pour sa défense.

En souvenir de Enfé

Même Maria’s Deli, le Deli que fréquente Edy depuis qu’il est installé dans le quartier de Greenpoint, ferme à son tour ses portes en raison des restrictions sanitaires imposées par la pandémie. Maria Puk, la propriétaire et gérante des lieux, pense que c’est une décision temporaire. Par le passé, elle et Édouard ont souvent discuté – sans être très sérieux – de l’éventualité que le jeune homme prenne sa relève un jour. Mais elle ignorait que ça arriverait si vite. « Maria, c’est ma grand-mère polonaise », assure Édouard Massih. L’histoire de cette immigrée l’inspire et lui rappelle la sienne. « Nous sommes tous les deux arrivés aux États-Unis à l’âge de 10 ans. Elle avait 24 ans lorsqu’elle a ouvert son Deli », poursuit-il.

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Après un temps de réflexion, ce dernier lui demande si elle veut fermer boutique et lui louer son espace. Maria Puk refuse d’abord, avant de changer d’avis quelques jours plus tard. Nous sommes le 1er juin 2020 et le chef veut absolument lancer sa nouvelle entreprise le 15 août, date de la fête de l’Assomption. « En hommage à Enfé, au Liban et à ma grand-mère. »

Il n’a que quelques semaines pour réussir ce pari. « J’ai mis tout mon cœur et mon amour pour que ça marche. » Il choisit la sélection de produits qu’il veut vendre, un peu comme s’il faisait son « supermarché du dimanche à Jounieh ».

Dix jours avant l’ouverture, le jeune homme, affairé dans sa future boutique à réceptionner les premières caisses de boîtes de conserve, apprend qu’une énorme explosion a lieu au port de Beyrouth. « Et même si, souligne-t-il, j’étais extrêmement triste et c’était très dur de rester positif », il tient quand même à ouvrir sa dekkéné à temps. « J’ai senti que je devais ça aux Libanais », dit-il, avant de saluer un couple de compatriotes qui lui lance un Marhaba ! « Nous venons te féliciter, nous avons lu dans L’Orient-Le Jour le mois dernier que tu as été nommé dans la liste de Forbes ! » Édouard sourit... L’histoire de Edy’s Grocer et celle d’Édouard Massih, c’est l’histoire d’une belle réussite et un peu du Liban (re)planté dans ce coin de Brooklyn…

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commentaires (1)

J'ai eu le plaisir de manger ici plusieurs fois donné que j'habite à New York. C'est vraiment un petit coin du paradis. La nourriture est succulente et me rappelle du "tabikh" de ma mère, et on y trouve aussi les Unica et les Bonjus de notre enfance. Merci pour l'article, je devrais rendre Mr. Massih une visite ce week-end.

Michael Nasrallah

21 h 58, le 28 janvier 2022

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Commentaires (1)

  • J'ai eu le plaisir de manger ici plusieurs fois donné que j'habite à New York. C'est vraiment un petit coin du paradis. La nourriture est succulente et me rappelle du "tabikh" de ma mère, et on y trouve aussi les Unica et les Bonjus de notre enfance. Merci pour l'article, je devrais rendre Mr. Massih une visite ce week-end.

    Michael Nasrallah

    21 h 58, le 28 janvier 2022

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