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Culture - Exposition

Et si vous embarquiez à bord du bus de Ahmad Ghaddar ?

Pour sa première exposition solo qui se tient chez Artlab sous la férule du British Council, le jeune artiste a choisi de présenter des œuvres narratives. Des dessins et des toiles qui déroulent, comme en plans séquences, une trajectoire Tyr-Beyrouth révélatrice de souvenirs oubliés.

Et si vous embarquiez à bord du bus de Ahmad Ghaddar ?

« Mirror Mirror in the Van » (150 x 200 cm, 2020), peinture en technique mixte de la série « Lawen wasel » d’Ahmad Ghaddar.

Lawen wasel ? (« Jusqu’où vas-tu ? »). Cette question que se posent mutuellement au Liban chauffeurs des transports en commun et passagers, Ahmad Ghaddar l’a lui-même prononcée et/ou entendue un nombre incalculable de fois entre 2014 et 2020. À l’époque, étudiant aux beaux-arts à l’Université libanaise, le jeune homme faisait régulièrement la navette en minibus de Tyr, dont il est originaire, vers Beyrouth. Et vice versa.

« Lawen wasel » (180 x 195cm, 2020), la toile titre de l'exposition d'Ahmad Ghaddar à la galerie Artlab.

Un trajet d’une cinquantaine de minutes environ que l’apprenti-artiste mettait à profit pour exercer son coup de crayon, en croquant sur de petits cahiers tout ce qui se trouvait dans son champ de vision à l’intérieur du véhicule. Il avait ainsi commencé par reproduire les silhouettes des passagers assis devant lui. Puis il s’était attaqué au tableau de bord du chauffeur et à son bric-à-brac d’objets personnels : images de stars de la chanson découpées de magazines, peluches, porte-clés, ouvre-bouteilles… Avant de s’attarder, plus en détail et en gros plan, sur les inévitables grigris, médailles et chapelets de patience accrochés au rétroviseur.

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C’est en y captant, un jour, le regard de l’un d’eux, que le jeune garçon fait l’analogie entre l’homme au volant, censé le mener en toute sécurité à bonne destination, et la figure paternelle qui conduit normalement sa progéniture sur la bonne voie.

En quête du père

Une analogie avec la figure du père qui se manifeste d’abord de manière totalement subconsciente dans les dessins de Ahmad Ghaddar. Lui qui a grandi séparé du sien focalise de manière répétitive sur la représentation de ces rétroviseurs à breloques dans lesquels s’inscrit parfois le regard du conducteur. Un intérêt qu’il met sur le compte d’une certaine curiosité psychologique envers ce que reflètent ces babioles de la personnalité, des idées, des croyances ou encore de la morale du conducteur. Avant que ne finissent par remonter à la surface de sa mémoire les souvenirs oubliés de lui, enfant, installé à l’arrière de la fourgonnette de son père, cherchant à croiser son regard dans le rétroviseur.

« Champions » (technique mixte sur toile, 80 x 100 cm, 2020), de la série « Lawen wasel » d'Ahmad Ghaddar.

Nous tous, où allons-nous vraiment ?

« Ce qui m’avait semblé naître d’un intérêt un peu inhabituel pour un espace visuel ordinaire s’est révélé être une quête introspective. Cela m’a fait penser à toutes les histoires que d’autres personnes ont pu vivre comme moi. C’est pourquoi j’ai voulu consacrer ma première exposition solo à retracer ce voyage », indique dans sa note d’intention le jeune peintre. Sélectionné par le British Council pour bénéficier de son programme Catapult de soutien aux talents émergents libanais, Ahmad Ghaddar replonge dans ses carnets de dessins pour en sélectionner quelques sketches qu’il reproduira en techniques mixtes sur toiles, de moyen et grand format. Sauf que dans ses peintures, l’hyperréalisme et le surréalisme se conjuguent pour mettre l’accent sur la dimension quasi onirique de ce voyage.

L’ensemble d’œuvres aujourd’hui exposées à la galerie Artlab – après maints reports dus à la pandémie et à l’explosion au port de Beyrouth – dégage une atmosphère forte. Quelque chose de l’ordre à la fois de l’intime et de l’universel qui parle aux visiteurs de l’exposition à la manière d’un film. Narration visuelle d’un état de quête du chemin adéquat qui, finalement, nous concerne tous. Lawen wasel ?

Une question soulevée par une fourgonnette qui approche. Et qui dans ses interstices condense toutes les incertitudes du monde. Celles de nos vies aussi. Car, nous tous, où allons-nous vraiment ?

Artlab, Gemmayzé, jusqu’au 10 février. Horaires d’ouverture du mardi au samedi, de 11h à 19h.

Ahmad Ghaddar, alias Renozoner

Né à Tyr en 1994, Ahmad Ghaddar a rejoint la capitale en 2014 pour y poursuivre ses études aux beaux-arts de l’Université libanaise. Il y a depuis laissé ses traces d’artiste urbain sous le pseudo Renozoner sur les façades de deux bâtiments du secteur Hamra. Dont une murale intitulée Tell me About Friendship (Parle-moi de l’amitié) réalisée, à l’initiative de Art of Change, en collaboration avec le duo de muralistes brésiliens Acidum Project. Concerné par la situation du pays, ses œuvres murales mais aussi ses dessins ou encore ses découpages de billets de banque (présentés dans le cadre des expositions collectives d’artistes de la révolution à la galerie Janine Rubeiz) reflètent ses engagements humains et écologiques… Un talent à suivre.

Lawen wasel ? (« Jusqu’où vas-tu ? »). Cette question que se posent mutuellement au Liban chauffeurs des transports en commun et passagers, Ahmad Ghaddar l’a lui-même prononcée et/ou entendue un nombre incalculable de fois entre 2014 et 2020. À l’époque, étudiant aux beaux-arts à l’Université libanaise, le jeune homme faisait régulièrement la navette en minibus de...

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