Le chef de l'Etat, Michel Aoun, a affirmé jeudi au corps diplomatique accrédité au Liban qu'il restait déterminé, en fin de mandat, à "œuvrer pour les réformes" réclamées par la communauté internationale pour aider le pays à sortir de sa grave crise. Le président a profité de son discours donné traditionnellement en début d'année pour critiquer certains pays qui ont envoyé des aides à des ONG et non au gouvernement libanais, dans la foulée de la double explosion meurtrière au port de Beyrouth le 4 août 2020. M. Aoun a en outre formulé une nouvelle critique implicite à son allié chiite, le Hezbollah, qui bloquait avec le mouvement Amal le gouvernement de Nagib Mikati depuis le 12 octobre, avant de décider de revenir, sous certaines conditions, au sein du cabinet.
M. Aoun a également assuré que les élections législatives, programmées pour le 15 mai, se tiendront en temps voulu, afin que les Libanais s'expriment de façon "libre et transparente" sur leurs choix nationaux, à l'heure où la communauté internationale presse pour que le scrutin ait lieu, dans la mesure où il s'agirait d'un premier pas sur la voie du changement. Il a enfin assuré que le Liban ne souhaitait pas s'ingérer dans les affaires internes des pays arabes, alors qu'une grave crise diplomatique se poursuit entre Beyrouth et plusieurs monarchies du Golfe, à leur tête l'Arabie saoudite, au sujet du Hezbollah. Il a toutefois appelé ces pays à ne pas s'ingérer en retour dans les affaires libanaises.
"La période qui reste de mon mandat"
"Je suis déterminé, en coopération avec le Parlement et le gouvernement, pour la période qui reste de mon mandat, à continuer d'œuvrer malgré tous les obstacles, pour aboutir aux réformes auxquelles je me suis engagé et que vos pays respectifs ont proposé, notamment l'adoption d’un plan de redressement financier et économique que le gouvernement libanais approuvera dans les semaines à venir lors du prochain Conseil des ministres", a promis le président Aoun. Ce Conseil des ministres doit se tenir en principe la semaine prochaine.
Critique au Hezbollah
Le gouvernement, censé enclencher le processus de réformes structurelles, a été bloqué pendant trois mois par le Hezbollah et le mouvement Amal, sur fond de divergences autour de l'enquête menée par le juge Tarek Bitar, sur la double explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth (que M. Aoun n'a évoqué à aucun moment de son discours, alors qu'elle piétine à cause de nombreuses interférences politiques). Samedi dernier, le duo chiite a créé la surprise en annonçant qu'il accepte de revenir à la table du gouvernement, à condition que les réunions soient consacrées à l'approbation du projet de budget et aux discussions sur le plan de redressement économique ainsi que d'autres questions à caractère social. Une position qui met dans l'embarras aussi bien le chef de l’État que le Premier ministre, qui y ont vu un empiétement sur leurs prérogatives, notamment pour ce qui est de l'ordre du jour des séances gouvernementales. M. Mikati a déclaré dans une interview accordée à L'Orient-Le Jour qu'il lui revient d'établir l'agenda du Conseil des ministres, dans une critique cinglante au Hezbollah et à Amal.
En attendant, le chef de l’État a lancé une pique au tandem chiite, dont son allié de longue date le Hezbollah, qualifiant d'"injustifiable" le "long blocage" de l'action du gouvernement.
Les législatives
Sur un autre registre, Michel Aoun a rappelé que "parallèlement à la mise en place des réformes souhaitées, se tiendront au printemps prochain des élections législatives qui auront lieu en temps voulu" (soit en mai) . "Ce droit constitutionnel et démocratique permet aux Libanais de s'exprimer librement pour choisir leurs représentants", a estimé le président libanais.
Critiques aux pays donateurs
Mais c'est au sujet de certains pays donateurs venus à la rescousse du Liban au lendemain du 4 août 2020 que des critiques notables du président Aoun ont été formulées. "Je voudrais attirer votre attention sur le fait que certains ont outrepassé le devoir de coordination avec les institutions de l'État libanais pour traiter directement avec des associations et des groupements, qui se sont multipliés après l'explosion au port et qui utilisent ces soutiens matériel et humanitaire à des fins politiques, employant des slogans ambigus, alors que le Liban est aux portes des élections législatives. Ceci m'incite à rappeler que la prudence doit rester de mise et qu’il est important de privilégier les institutions étatiques et les organisations de l'Onu", a estimé M. Aoun.
Face à une classe politique accusée de corruption depuis des décennies, la communauté internationale a favorisé le transfert d'aides à des ONG et à des groupes issus de la société civile plutôt qu'aux institutions étatiques libanaises en qui elles ont perdu confiance.
Messages aux pays arabes
Sur le plan diplomatique, M. Aoun a pris le soin d'adresser des messages positifs aux pays arabes, notamment les monarchies du Golfe - et en particulier à l'Arabie Saoudite, après la récente brouille diplomatique avec ces pays suscitée par des propos polémiques de l'ex-ministre de l'Information, Georges Cordahi, sur le rôle de Riyad dans le conflit du Yémen. A ce sujet, Michel Aoun a déclaré: " Le Liban n’a nullement la vocation ni le désir d’être utilisé pour nuire à la souveraineté, à la sécurité et à la stabilité de vos pays. Il ne souhaite aucune ingérence dans vos affaires intérieures, en particulier celles des pays arabes frères qui l'ont toujours soutenu, notamment dans les circonstances difficiles qu’il traverse aujourd’hui". "Nous espérons que certains pays adoptent ce même principe, s’abstenant d’utiliser la scène libanaise pour régler les différends et les conflits régionaux (...)", a-t-il toutefois souligné.
S'attardant enfin sur le dossier des négociations portant sur le tracé de la frontière maritime avec Israël sur fond d'exploitation d'hydrocarbures offshores, Michel Aoun a "renouvelé la volonté du Liban de négocier la délimitation de cette frontière "de manière à préserver ses droits dans la zone économique exclusive, conformément aux dispositions des lois et traités internationaux pertinents". Pour le moment, la poursuite des négociations - un processus parrainé par l'Onu et les États-Unis, attendrait la visite à Beyrouth du négociateur américain Amos Hochstein. Début octobre, Israël avait affirmé être prêt à faire de nouveaux efforts pour résoudre son différend avec le Liban sur la délimitation de leurs eaux territoriales en Méditerranée, tout en soulignant ne pas accepter que Beyrouth "dicte" les termes des pourparlers.
L'appel du nonce apostolique
Au début de la réunion, le doyen des ambassadeurs au Liban, le nonce apostolique Mgr Joseph Spiteri, a prononcé une allocution dans laquelle il s'est joint à l'appel de la communauté internationale en faveur de réformes dans la perspective de la relance du pays. "Nous savons tous que la communauté internationale continue d’adjurer les autorités libanaises de mettre en œuvre de nombreuses réformes (...). La paralysie des réunions du cabinet de l’actuel gouvernement nous préoccupe fortement. Nous félicitons Son Excellence Nagib Mikati d’avoir relevé le défi que représente cette mission et lui souhaitons de reprendre avec succès l’indispensable activité du gouvernement", a-t-il dit. "La communauté internationale insiste également sur la nécessité d’organiser des élections libres, équitables et transparentes. Aucun parti politique ne devrait craindre de présenter son programme et ses candidats aux citoyens, lesquels sont appelés à exprimer leur verdict souverain. En effet, il est du devoir et du droit des citoyens de se prononcer librement en votant pour choisir ceux qui siégeront au Parlement", a conclu Mgr Spiteri.
commentaires (23)
Lui et son poulain sont sur une autre planète
DJACK
17 h 39, le 22 janvier 2022