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De l’autre côté du miroir

C’est un chiffre qui ne peut qu’interpeller le commun des mortels : « En s’apprêtant à débourser la somme astronomique de 68,7 milliards de dollars pour racheter Activision Blizzard, Microsoft veut étendre encore davantage son empire sur le marché compétitif et lucratif des jeux vidéo », indique une dépêche tombée ces derniers jours. Voilà bien la plus grosse somme jamais engagée pour acheter un éditeur de jeux vidéo. Les plus terre à terre d’entre nous diront qu’il y a là de quoi nourrir l’Afrique, l’Inde, le Yémen, l’Afghanistan et le Myanmar réunis, et même, au passage, stopper l’inflation au Liban. Mais tout est relatif, et dans les milieux où ce genre d’argent se déplace, 69 milliards peuvent passer pour une bonne affaire. Après tout, les gens meurent, le jeu demeure.

Quiconque n’a jamais assisté à une séance de jeux en réalité virtuelle doit se préparer à un spectacle des plus étranges : dans une salle obscure, des gens comme vous et moi, portant un masque où se déroulent des images en relief, gesticulent de manière erratique, semblent alertés par une menace imminente, se cachent dans des recoins où ils restent cependant visibles et exposés. Tout à coup, ils s’élancent, bondissent, donnent des coups dans le vide comme si leur vie en dépendait. Et leur vie en dépend sans doute, du moins dans le jeu. En les observant de l’extérieur, on serait tenté d’appeler les urgences psychiatriques. Mais le ferait-on, on serait totalement anachronique. Vivre avec son temps – ce temps –, c’est admettre qu’il se passe quelque chose de l’autre côté du miroir, ou plutôt des écrans. Quelque chose pour lequel certains sont prêts à débourser 69 milliards de dollars parce que le potentiel de rendement d’un tel investissement est infiniment prometteur. Là, dans cet endroit où l’on est le plus souvent seul, coupé du monde extérieur, happé par quelque aventure préconçue où l’on gagne des trophées immatériels et remplit son taux de sérotonine à force de petites récompenses, on organise déjà des réunions professionnelles ou des expositions où notre avatar se promène, échange avec d’autres avatars, achète avec de la monnaie virtuelle des œuvres virtuelles dont la valeur explose dans la réalité. Il y a quelques jours, le créateur libanais Rami Kadi nous affirmait que des jetons achetés dans le métavers pourraient s’échanger dans son showroom contre des robes haute couture.

Aubaine sur notre globe où il n’existe plus de terra incognita, le métavers ouvre les portes d’un marché immobilier où des businessmen dignes de la quatrième planète du Petit Prince achètent des terrains et des immeubles, misant sur une juteuse plus-value escomptée d’un voisinage prestigieux, quand des célébrités ont acheté le même genre d’illusion dans le même « secteur ». Dans les années 1980, un plaisantin avait lancé la mode d’acheter des étoiles, achat confirmé par un parchemin portant le nom du titulaire. Ce nouveau pas vertigineux, non pas dans l’espace mais dans un lieu que l’on dit virtuel, donc possible sans être effectif, relègue encore plus loin dans le passé tous les anciens systèmes sur lesquels nous vivotons encore et qui tombent l’un après l’autre en obsolescence.

La monnaie fiduciaire dont nous subissons aujourd’hui la tyrannie et les humeurs fluctuantes vit ses derniers instants. On se demande ce que deviendront les États eux-mêmes et ces démocraties laborieusement forgées au cours des derniers siècles quand des entreprises commerciales fonctionnant avec des budgets supérieurs à certains Trésors publics auront le dernier mot sur la finance, l’emploi et la sécurité individuelle. On se prend à imaginer, par exemple, un méta-Liban où l’on projetterait le rêve d’une société idéale, encadrée par des règles saines, où la corruption serait techniquement impossible et où toutes les infrastructures seraient fonctionnelles. Mais ce serait oublier que cet autre côté, aussi virtuel soit-il, est issu de l’humain, et humain il demeure, moulé dans le chaos. Nous garderons notre vieux nôtre, avec ses souffrances et ses dysfonctionnements, ses armes illégales et ses vaines dévotions, aujourd’hui agrémentés de cette belle neige qui cachera, le temps d’une saison, de pauvres haillons que le printemps ramènera au grand jour.

C’est un chiffre qui ne peut qu’interpeller le commun des mortels : « En s’apprêtant à débourser la somme astronomique de 68,7 milliards de dollars pour racheter Activision Blizzard, Microsoft veut étendre encore davantage son empire sur le marché compétitif et lucratif des jeux vidéo », indique une dépêche tombée ces derniers jours. Voilà bien la plus grosse...

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