Mardi noir au Liban, où la journée a été marquée par de mauvaises nouvelles en cascade qui ont provoqué la colère dans la rue à travers le pays. Prix des carburants en forte hausse, la livre qui bat un nouveau record de dépréciation face au dollar sur le marché parallèle, et des informations sur une rupture des stocks de pain dans les boulangeries : la crise socio-économique continue de s'aggraver.
Face à cette situation, des manifestants dans le Nord, le Sud et la Békaa ont exprimé leur colère dans la rue, alors que 74% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté.
Forte hausse des prix des carburants
Selon les nouveaux tarifs publiés mardi en matinée par le ministère de l'Energie, les 20 litres d'essence à 95 octane, qui coûtaient 351.400 LL, se vendent dorénavant à 374.800 livres, soit une hausse de 23.400 LL. Le prix du bidon d'essence à 98 octane a augmenté de 24.200 livres, passant de 363.400 LL à 387.600 LL. La bonbonne de gaz, elle, se vend dès aujourd'hui à 345.500 LL contre 319.300 livres mardi dernier, soit une hausse de 26.200 LL. Les 20 litres de diesel (utilisé pour les véhicules, et non celui consommé par les générateurs électriques, qui est lui facturé en dollars) qui coûtaient 360.400 LL se vendent dorénavant à 393.400 livres, après une majoration de 33.000 LL.
Selon nos calculs, le prix de l'essence a ainsi augmenté de 6,6%, celui du gaz de 8,2% alors que le diesel a connu une majoration de 9,1%. Ces chiffres pèsent lourd sur le portefeuille des Libanais, dans un pays où le salaire minimum demeure fixé à 675.000 LL.
Commentant le nouveau barème, le porte-parole du syndicat des propriétaires des stations-service, Georges Brax, a déclaré à l'Agence nationale d'information (Ani, officielle) que "comme la semaine dernière, l'augmentation du prix du baril de pétrole au niveau mondial, ainsi que la forte augmentation du taux de change du dollar contre la livre sur le marché parallèle, ont engendré la hausse des prix des carburants". Il a également noté que les prix continueront d'augmenter au vu de la dépréciation de la monnaie nationale.
Lundi, le représentant des distributeurs de carburant, Fadi Abou Chacra, avait laissé entendre qu'une telle hausse des prix du carburants serait annoncée, ce qui avait provoqué des files d'automobilistes devant les stations-service à travers le pays, les automobilistes voulant faire le plein avant la publication des nouveaux tarifs.
Nouveau record de dépréciation
Parallèlement, la dépréciation de la livre libanaise atteignait de nouveaux abîmes en début de journée, un facteur qui pèse lourd sur l'économie du pays en pleine crise socio-économique et financière depuis près de deux ans et demi. Les factures de certaines importations sont, en effet, partiellement ou entièrement payées en dollars selon le taux du marché parallèle, ce qui engendre une hausse continue des prix.
La livre libanaise a franchi, mardi matin, le seuil record de 33.000 LL contre le dollar sur le marché parallèle. Ce taux est quelque peu retombé en fin de journée, le billet vert s'achetant à 32.750 LL et se vendant à 32.700 LL peu avant 17h.
Pain en rupture de stock
Pour ne rien arranger, le risque d'une crise de pain planait également sur le pays. Le président du syndicat des boulangeries au Mont-Liban, Antoine Seif, a annoncé mardi en journée que le pain risque de ne plus être disponible en quantités suffisantes dans la plupart des boulangeries, en raison d'une rupture de stock du blé et de la farine. Réagissant à cette annonce, le ministre de l'Economie, Amine Salam, a toutefois assuré à la chaîne Al-Jadeed qu'"il n'y a ni de crise de pain ni de farine". Il a précisé que de "nouveaux tarifs équitables qui prennent en considération le taux de change du dollar sur le marché parallèle seront publiés aujourd'hui par le ministère de l'Economie". Amine Salam a plus tard affirmé que cette nouvelle tarification sera publiée mercredi au lieu de mardi.
Colère dans la rue
Accablés par ces mauvaises nouvelles, des Libanais n'ont pas tardé à exprimer leur colère dans la rue. Dans le Nord, des protestataires ont coupé durant quelques heures la circulation au niveau du rond-point de Abda-Bebnine, afin de dénoncer la détérioration de leurs conditions de vie, rapporte notre correspondant dans la région, Michel Hallak. Dans la même zone, des groupes issus de la révolte populaire d'octobre 2019 ont organisé à un sit-in devant le sérail gouvernemental de Halba, dénonçant "la corruption des dirigeants qui a poussé les Libanais dans la pauvreté et les humilie devant les hôpitaux, les pharmacies et les stations-service". Des manifestants se sont également pris, dans l'après-midi, à des bureaux de change à Tripoli, pour dénoncer la chute de la livre libanaise.
Dans le Sud, des chauffeurs de taxi ont bloqué les voies menant à la place de l'Etoile à Saïda, rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah. "Nous ne pouvons plus supporter cette situation, ils veulent que nous mourions", a confié un protestataire à L'Orient-Le Jour. "Ils nous poussent à tuer et à voler pour donner à manger à nos enfants", a-t-il regretté. En début d'après-midi, des protestataires ont coupé la route menant à la place de l'étoile à l'aide de pneus brûlés.
Des manifestants ont également exprimé leur colère dans les rues de Baalbeck, dans la Békaa, répétant des slogans de la révolte, rapporte notre correspondante Sarah Abdallah.