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Moyen-Orient - Éclairage

Le football au cœur de la diplomatie du sport dans le Golfe

Pour les pays de la péninsule, investir dans le ballon rond sert à diversifier leurs économies en vue de l’ère post-pétrole, à consolider leur « soft power », mais surtout à soigner leur image sur la scène internationale.

Le football au cœur de la diplomatie du sport dans le Golfe

Le président du Paris Saint-Germain, Nasser al-Khelaïfi, pose avec le joueur argentin Lionel Messi lors d’une conférence de presse à Paris, le 11 août 2021, au Parc des Princes; à Paris. Photo AFP

« Peut-être la meilleure jusque-là », s’enthousiasme le président de la FIFA, Gianni Infantino, dans un reportage de Football Now sorti jeudi, en parlant de la prochaine Coupe du monde qui doit avoir lieu au Qatar cet hiver. Le petit émirat n’était pourtant pas le favori lors du vote d’attribution en 2010. Mais le riche État gazier a depuis creusé son sillon autour du ballon rond, comme s’y attellent d’autres pays de la péninsule. Si ce n’est pas grâce aux performances de leurs équipes nationales qu’ils sont connus dans le monde du football, le Qatar, les Émirats arabes unis et plus récemment l’Arabie saoudite sont néanmoins d’importants investisseurs et sponsors. Reflétant la compétition politico-économique dans la péninsule Arabique, différents grands clubs européens ont été acquis par les poids lourds du Golfe comme le Paris Saint-Germain (Qatar), Manchester City (EAU) et Newcastle (Arabie saoudite). « Pour le Qatar, et même pour les EAU, le football sert leur réputation, augmente leur visibilité et établit leur légitimité, tout en les nichant au sein de la communauté internationale », résume Simon Chadwick, directeur du Centre for Eurasian Sport.

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S’approprier un sport internationalement très populaire s’inscrit dans le cadre d’une stratégie à plus long terme pour diversifier leur économie en préparation de l’ère post-pétrole, tout en soignant leur image à l’étranger. « En détournant l’attention de sujets polémiques tels que la guerre au Yémen ou la situation des droits de l’homme, le » sportswashing « est devenu partie intégrante de la consolidation du pouvoir des États du Golfe », explique Sebastian Sons, analyste politique et chercheur au Center for Applied Research in Partnership with the Orient (CARPO). C’est que le « soft power » passe aussi par la diplomatie du sport pour qui sait en jouer.

Et les pays du Golfe ont marqué des points ces dernières années. « Jusqu’en 2010, beaucoup de gens ne connaissaient probablement pas grand-chose d’Abou Dhabi, de Doha. Aujourd’hui, au niveau international, les gens forment leur compréhension et leur interprétation de ces pays à travers le football », affirme Simon Chadwick. Pionniers parmi les pays du Golfe, les EAU ont acheté en 2008 Manchester City, qui a gagné depuis quatre titres du championnat anglais Premier League. Cinq ans après cette acquisition, Abou Dhabi a intégré le club dans le City Football Group qu’il venait d’établir et qui possède désormais des équipes sur trois continents, des académies de football, mais aussi des sociétés de marketing spécialisées dans le ballon rond. S’affichant sur les maillots de clubs comme le Milan AC, Arsenal ou encore le Real Madrid, la compagnie aérienne dubaïote Emirates donne par ailleurs son nom à la compétition de football anglais, The Emirates FA Cup, depuis 2015. Quant au stade du club de Manchester City, il a été renommé Etihad Stadium en 2011, du nom de la compagnie aérienne appartenant à Abou Dhabi. Malgré les efforts financiers de parrainage fournis pour bénéficier de cette présence visuelle, la concurrence est rude pour occuper le devant de la scène footballistique. Notamment avec son rival qatari, qui a su avancer ses pions sur ce terrain durant le blocus que le quartette arabe, mené par Abou Dhabi et Riyad, lui a imposé pendant plus de trois ans.

Le Qatar a alors fait valoir son indépendance entre autres à travers les stades, rattrapant son retard de manière fulgurante. Après avoir déjà acheté le PSG en 2011, Doha a entamé une politique plus agressive en 2017, quelques mois après le début de l’embargo arabe, en payant des montants record pour les transferts très médiatisés de Neymar et Kylian Mbappé. Depuis l’acquisition du club, l’émirat a dépensé plus d’un milliard de dollars afin de réunir dans son équipe trois des meilleurs joueurs mondiaux, Lionel Messi ayant signé l’été dernier. Le PSG a gagné sept titres de Ligue 1 en France sous contrôle qatari, contre deux auparavant, arrivant même à se hisser en finale de la Ligue des champions en 2020, une première depuis la création du club cinquante ans plus tôt. Si le retour sur investissement déçoit certains fans, le club a néanmoins su capter l’attention internationale tout en garantissant une place importante à l’émirat gazier sur la planète football.

Personnification de ce succès, le dirigeant du PSG, Nasser al-Khelaïfi, un proche de l’émir du Qatar, siège depuis 2019 au comité exécutif de l’UEFA et il est devenu en avril dernier président de l’Association européenne des clubs. Cumulant les casquettes, il est par ailleurs à la tête du groupe qatari beIN Media, devenu incontournable pour les fans de sport, avec plus de 55 millions d’abonnés dans le monde qui profitent d’un bouquet payant de 60 chaînes dédiées. Désormais un poids lourd du football européen, le petit pays du Golfe a en partie contribué à bloquer l’acquisition de Newcastle par l’Arabie saoudite jusqu’en octobre dernier, en raison d’un différend opposant Riyad à beIN.

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Pendant l’embargo sur le Qatar, l’accès aux chaînes du groupe avait été coupé dans le royaume, alors qu’un réseau connu sous le nom de beoutQ émergeait dans le pays, diffusant illégalement les matchs pour lesquels le média qatari avait payé les droits de diffusion, notamment la Coupe du monde 2018. Soupçonné d’être à l’origine de ce piratage, Riyad a toujours démenti être lié au réseau. Cependant, la décision saoudienne de lever l’interdiction de diffuser imposée à beIN, ainsi que la main tendue de l’Arabie saoudite pour clore le dossier judiciaire du piratage auraient permis d’obtenir le feu vert pour la vente du club anglais. Un pas supplémentaire dans la réalisation de l’ambition saoudienne de rattraper son retard sur ses voisins du Golfe et de « porter le nom du royaume d’Arabie saoudite à l’affiche d’événements sportifs majeurs, régionaux et internationaux », selon le ministre des Sports. Si Riyad a réussi à obtenir l’organisation des Jeux asiatiques en 2034, le chemin semble encore long pour dépasser le Qatar, qui accueille cet hiver l’événement sportif le plus populaire, le mondial de football.

Provoquant une levée de boucliers, la Coupe du monde 2022 a été attribuée au Qatar en 2010, de manière inattendue, grâce au vote surprise de Michel Platini en faveur de l’émirat. Ce dernier a fait volte-face juste après que le président français Nicolas Sarkozy a rencontré à Paris Tamim ben Hamad al-Thani, alors prince héritier, peu avant l’achat d’une cinquantaine d’Airbus par la compagnie nationale Qatar Airways et l’acquisition du club parisien. « C’est comme si la France devenait un partenaire stratégique ou qu’elle offrait une sorte de protection paternaliste. (...) Ce que le Qatar a réussi à faire est d’obtenir des assurances du gouvernement français qu’il le soutienne, qu’il veille sur lui », indique Simon Chadwick. « Le fait est que les partenariats sportifs stratégiques avec les pays du Golfe sont devenus une source significative de revenus pour les clubs concernés, mais également pour les pays dans lesquels ils évoluent », ajoute Sebastian Sons. Abou Dhabi a ainsi investi dans la construction d’immobilier résidentiel en plein Manchester, dans le cadre d’un projet commun avec la mairie. La récente acquisition de Newcastle par le Fonds souverain saoudien (Public Investment Fund) pourrait bientôt ouvrir la voie à des investissements immobiliers dans le fief du club.

Critiques de fans

Mais les allégations de corruption entourant le vote pour l’attribution du mondial 2022 ne constituent pas les seules taches au palmarès du Qatar dans le monde du ballon rond. Tandis que le pays s’emploie à soigner son image de marque, les organisations des droits humains profitent de l’attention qui lui est accordée pour dénoncer le non-respect des principes universels de protection des travailleurs migrants, des femmes ou encore de la communauté LGBTQ. Face à la pression, le Qatar assure avoir fait des progrès, notamment sur la question de la main-d’œuvre étrangère, mais ceux-ci tardent à se concrétiser sur le terrain. Certaines équipes nationales ont ainsi menacé de boycotter la compétition, mais se sont finalement limitées à exprimer leur point de vue. Emboîtant le pas à la Norvège, la Mannschaft s’est affichée avec les lettres « droits humains » inscrites en anglais sur leurs tee-shirts lors de matchs qualificatifs pour la Coupe du monde. De nombreux fans du Bayern Munich, qui perçoit plus de 20 millions d’euros par an pour mettre le logo de Qatar Airways sur les manches de son maillot, ont exigé en novembre dernier que le club rompe ce contrat de sponsoring, en vain. « En dépit des problèmes, il n’en reste pas moins que les gens parlent du Qatar en termes beaucoup plus positifs que par le passé », assure Simon Chadwick. L’ancien joueur anglais David Beckham a ainsi accepté de devenir l’ambassadeur culturel du Qatar pendant dix ans pour plus de 200 millions de dollars, assurant avoir obtenu au préalable des garanties que les drapeaux couleurs arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBTQ, pourraient être brandis pendant la Coupe du monde.

L’investissement et le succès escompté dans le monde du football est aussi un moyen pour ces pays « d’aborder des problèmes de cohésion sociale », précise Simon Chadwick, alors que les étrangers y sont en surnombre. « Au niveau national, les sports constituent un pilier important de la politique sociétale, du fait qu’ils accordent aux populations plus de libéralisation sociale tout en promouvant une unité nationaliste », souligne Sebastian Sons. Pour ce faire, les pays du Golfe ne se limitent pas aux investissements à l’étranger ou au football. Les équipes qu’ils possèdent en Europe viennent s’entraîner hors saison sur leur sol pour attiser l’intérêt d’une population majoritairement jeune. Des athlètes sont naturalisés pour renforcer les équipes nationales lors de compétitions internationales, comme les Jeux olympiques. « La concurrence entre les pays du Golfe s’est intensifiée, donnant lieu à un intérêt croissant à accueillir des événements sportifs internationaux tels que les prix de formule 1, qui se sont tenus dans les trois pays en question l’année dernière. Une tendance qui devrait se poursuivre », analyse Sebastian Sons.

« Peut-être la meilleure jusque-là », s’enthousiasme le président de la FIFA, Gianni Infantino, dans un reportage de Football Now sorti jeudi, en parlant de la prochaine Coupe du monde qui doit avoir lieu au Qatar cet hiver. Le petit émirat n’était pourtant pas le favori lors du vote d’attribution en 2010. Mais le riche État gazier a depuis creusé son sillon autour du...

commentaires (1)

Alors que le rôle de nos ministres se borne à bloquer les réunions du gouvernement pour servir des intérêts politiques propres ("propres" dans le sens "à eux", pas le contraire de "sales")…

Gros Gnon

05 h 53, le 08 janvier 2022

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Commentaires (1)

  • Alors que le rôle de nos ministres se borne à bloquer les réunions du gouvernement pour servir des intérêts politiques propres ("propres" dans le sens "à eux", pas le contraire de "sales")…

    Gros Gnon

    05 h 53, le 08 janvier 2022

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