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Culture - Exposition

Nathalie Rosa Bucher téléporte Tripoli dans le temps et ranime sa vie culturelle

« TripoliScope » est une exposition* qui a lieu dans la maison Khoury à Hay el-Bahr à Chekka et dévoile la culture et les habitudes de la ville de Tripoli à travers le cinéma des années 30 à 70.

Nathalie Rosa Bucher téléporte Tripoli dans le temps et ranime sa vie culturelle

Une vue du très beau cinéma Empire en 2018. Il est encore intact, mais fermé. Photo Waël Hamzé

La chercheuse et curatrice Nathalie Rosa Bucher est allée à la quête de la culture et des pratiques cinématographiques de Tripoli pour aboutir à une exposition d’essais en développement avec l’aide du centre de recherches UMAM D&R qui se félicite d’avoir l’Arab Image Foundation ainsi que l’Institut français du Liban à Tripoli comme partenaires dans cet événement. Organisée donc par Nathalie Rosa Bucher, cette exposition, qui a été préparée au cours de l’été 2019 un an après que UMAM D&R ait sauvé les archives de la Société commerciale cinématographique Tripoli Liban (SCCTL) et qui fut stoppée à cause de la révolution du 17 octobre 2019, reprend actuellement non à Tripoli mais à Chekka cette fois, à Hay el-Bahr, dans l’immeuble Khoury. À l’étage, les deux appartements comportant plusieurs pièces dévoilent une scénographie animée concoctée par Bucher. On y trouve principalement des documents et des objets rassemblés de la collection SCCTL, mais aussi des images anciennes de Tripoli qui font partie de la collection Jean-Pierre et Yasmina Zahar, laquelle est sous la garde de l’Arab Image Foundation.

Les pellicules anciennes et salies, parsemées sur le sol du cinéma Piccadilly à Bab el-Tebbané dont la salle était devenue durant la guerre un lieu favori des francs-tireurs. Photo Waël Hamzé

En quête de la flamme

En allant à la recherche des cinémas presque totalement disparus, Nathalie Rosa Bucher ne savait pas qu’elle allait à la découverte de Tripoli et faire le tracé des habitudes et de la culture d’une ville qu’on pourrait croire à tort inexistantes.

« C’était en 2013, raconte la chercheuse franco-allemande, j’avais emmené mon ami architecte voir ce qu’avait conçu Oscar Nimeyer pour la seconde ville du Liban. Et lorsque nous sommes montés à la citadelle et avons regardé en bas, nous avons réalisé que toute une ville vivante s’étalait à nos pieds. Par la suite, au cours de nos balades, nous avons découvert des bâtisses soit détruites, soit transformées en magasins, soit même abandonnées et qui rappelaient à la mémoire des lieux magiques et tout l’imaginaire qu’ils dégagent. J’ai donc commencé mes recherches sans savoir exactement ce que j’allais en faire. Lorsqu’ils ont détruit le Rivoli en 2016, je me sentais bousculée et j’ai paniqué. » Rosa Bucher s’est alors empressée de poursuivre sa démarche. Elle s’est associée d’abord à Hady Zaccak, puis elle a rencontré Lokman Slim et Monika Borgmann « qui m’ont beaucoup encouragée à foncer dans ce projet ».

L’enseigne du cinéma Hollywood à proximité du bar d’al-Mina à Tripoli. Photo Nathalie Rosa Bucher

Accompagnée du photographe Waël Hamzé, Nathalie Rosa Bucher va faire durant des années du « scouting » ou repérage, afin de documenter les cinémas de Tripoli. Un jour, elle trébuche sur une porte cassée d’un cinéma abandonné. Après avoir rampé à travers l’ouverture, elle tombe sur des piles de papiers poussiéreux, sentant mauvais. Ces papiers éparpillés dans cette grande pièce, sauvés plus tard par UMAM D&R, se sont avérés être par la suite les archives d’une entreprise « La Société commerciale cinématographique Tripoli Liban ». Ces archives mêmes se trouvent aujourd’hui au cœur de l’exposition TripoliScope. Elles fournissent un aperçu de l’importance culturelle et économique des cinémas à Tripoli entre les années 30 et 90. Contrairement à Beyrouth, la seconde ville du Liban possède encore la plupart de ses cinémas. Étant donné que ce patrimoine culturel est menacé, il s’est avéré important de reconstituer leur histoire et de capturer les souvenirs qui leur sont liés.

Circuler dans les couloirs du temps

L’exposition représente 41 cinémas, y compris les sites où se trouvaient ces salles, dans le centre de Tripoli, les quartiers environnants et le quartier portuaire de Mina. Si certains sont totalement démolis – notamment le théâtre Ingea, en 2011, qui était le fleuron des cinémas –, d’autres verrouillés dissimulent dans leur intérieur des trésors probablement enfouis. Mais ils demeurent tous présents dans la mémoire collective des Tripolitains.

Organisé par thème, TripoliScope présente un matériel qui touche à la Société commerciale cinématographique Tripoli Liban elle-même et aux films que celle-ci a projetés dans les cinémas qu’elle gérait, couvrant tous les genres populaires entre les années 40 et 70. Ceci allait des films arabes et indiens aux occidentaux. Ce mélange de genres tels que le muet, le noir et blanc, les films romantiques, les drames, le western, le kung-fu, l’érotisme et le porno, ainsi que les comédies musicales, les comédies, voire la nouvelle vague, ont diverti et transporté le public, façonné des opinions, des valeurs, des modes et modes de vie. La plupart des films qui continuaient à être projetés étaient des films d’action de qualité B ainsi que des films pornographiques qui étaient coupés avec des films occidentaux par des monteurs amateurs résidents, utilisant des lames de rasoir qu’on retrouve à l’exposition. TripoliScope révèle aussi des documents d’archives, des photographies, des objets et des témoignages collectés depuis 2013. Grâce aux archives de la SCCTL, que UMAM a nettoyées et inventoriées, des informations ont pu être obtenues sur le volume considérable de films projetés ainsi que sur leur provenance. Les dossiers financiers tels que les factures bancaires, les reçus, les billets révèlent l’impact significatif des cinémas sur l’économie locale.

Il apparaît donc dans les recherches de Nathalie Rosa Bucher que le cinéma était le principal passe-temps des Tripolitains dans les années 50 et 60. Cependant, à partir des années 70, le public a commencé à décliner en raison de la situation sécuritaire et, dans le cas de Tripoli, de la présence très oppressante de l’armée syrienne. Dans les années 80, avec l’avènement du Mouvement d’unité islamique connu sous le nom d’al-Tawhid (1982-1991), aller au cinéma est devenu interdit.

Diverses tentatives pour relancer les cinémas après la guerre ont été faites, mais elles ont échoué pour un certain nombre de raisons, allant des changements démographiques importants aux changements technologiques.

Ce travail d’archivage se poursuivra dans l’espoir que cette même maison à Chekka accueille au printemps 2022 des projections en plein air et des tables rondes autour du cinéma. En fouillant dans les cendres, Nathalie Rosa Bucher a déterré la flamme. La flamme de Tripoli la culturelle qui se ranimera de nouveau et continuera de briller.

* Du 11 décembre au 9 janvier. « TripoliScope » sera ouvert les samedis et dimanches de 11h à 17h et sur rendez-vous.

La chercheuse et curatrice Nathalie Rosa Bucher est allée à la quête de la culture et des pratiques cinématographiques de Tripoli pour aboutir à une exposition d’essais en développement avec l’aide du centre de recherches UMAM D&R qui se félicite d’avoir l’Arab Image Foundation ainsi que l’Institut français du Liban à Tripoli comme partenaires dans cet événement....

commentaires (2)

ils sont "islam."

Marie Claude

08 h 59, le 23 décembre 2021

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Commentaires (2)

  • ils sont "islam."

    Marie Claude

    08 h 59, le 23 décembre 2021

  • Pauvres tripolitains, victimes de leur surnatalité, de leur sous-éducation et de leur obscurantisme… Malgré un site magnifique, une ville millénaire, ils ont réussi à transformer le tout en poubelle. Ne sont-ils pas, après tout, les artisans de leurs propres malheurs?

    Mago1

    03 h 16, le 23 décembre 2021

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