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Bien vu, monsieur ONU ?


Occupation de grand prestige, couronnement d’une carrière diplomatique exceptionnellement brillante, la fonction de secrétaire général des Nations unies n’est pas pour autant une sinécure. Non content de s’assurer de la bonne marche des nombreuses agences onusiennes, ce personnage est également censé mobiliser les grandes puissances, membres du Conseil de sécurité, face aux urgences du moment. L’administrateur se double donc d’une vigie politique en alerte permanente : une sorte de commis-voyageur de la paix fréquemment appelé à se rendre partout où sévissent guerres déclarées ou larvées, conflits politiques ou catastrophes sociales et humanitaires.


Dans quelle catégorie ranger le Liban, où Antonio Guterres clôture aujourd’hui une visite de quatre jours ? Comme l’ont fait, avant lui, tant d’autres visiteurs de marque étrangers, c’est la même recommandation que n’a cessé de formuler monsieur ONU à l’adresse des dirigeants locaux : Plus sûrement que toute aide internationale, seule votre unité, vos efforts communs de réforme, pourront sauver votre pays. On peut toutefois parier son dernier billet qu’en guise de réponse, il a été abreuvé de promesses qui sonnaient faux. De l’un de ses éminents interlocuteurs, il a entendu son ferme engagement quant à la tenue de prochaines élections législatives, augurant d’un renouveau du personnel politique failli (dont lui-même est pourtant un des symboles!). Un autre lui a assuré, sans sourciller, la stricte observation, par le Liban, des résolutions de l’ONU, en contraste avec les fréquentes et insolentes violations israéliennes. Et contre toute évidence, un troisième a protesté de sa détermination à aller de l’avant sur le chantier des réformes, alors qu’il n’est même pas en mesure de réunir son gouvernement…


C’est sur ce terrain précis d’ailleurs que l’on aura repoussé, au-delà de toute imagination, les limites du surréel. Car les gens au pouvoir ont choisi le moment où un Guterres débordant de compassion et de prévenance était parmi nous pour lui faire une démonstration de cette filouterie politicienne où ils sont passés maîtres. Il s’agit, on l’aura deviné, de ce scandaleux marché entre le clan présidentiel et le tandem chiite que les cuistres des deux bords mitonnaient depuis quelques jours. Les premiers, en forte baisse de popularité, escomptaient en retirer un précieux avantage électoral en matière de timing des législatives et de vote des émigrés et expatriés ; les seconds obtenaient que les responsables politiques (dont leurs propres parlementaires et anciens ministres) échappent, au profit d’une juridiction spéciale, aux interrogatoires et poursuites menés par le magistrat Tarek Bitar enquêtant sur la meurtrière explosion de 2020 dans le port de Beyrouth. Au Premier ministre qui, sortant de ses gonds, s’est dit non concerné par l’infâme cuisine, était enfin accordée, en guise de consolation, la réactivation de son gouvernement.


La crapuleuse transaction tenait, comme on sait, à une simple formalité, un tour de passe-passe juridique : l’invalidation des précédentes dispositions électorales votées par l’Assemblée, sur fond de controverse quant à la fixation du quorum requis. Réclamé à cor et à cri par le parti aouniste, ce coup de torchon à effacer était de l’unique ressort du Conseil constitutionnel. Hier, et après avoir planché sur la question, cette instance finissait par s’en laver les mains en déclarant forfait.


Alors, on vous le demande, faut-il se réjouir sans réserve de l’impuissance à statuer, du stupéfiant mutisme dans lequel s’est enfermée cette honorable institution, attitude on ne peut plus bizarre certes, mais qui a le mérite de porter un coup fatal à la machination en cours ? Faut-il au contraire s’offusquer et s’alarmer de cette incroyable première qu’offre à notre appréciation – et à celle d’Antonio Guterres ! – la plus haute autorité juridique du pays, cette sorte de Cour suprême chargée d’assurer une saine interprétation de la Loi fondamentale ?


À vous de juger, c’est bien le cas de le dire. Mais que l’on partage ou non les véhémentes protestations d’un courant présidentiel fort oublieux de ses propres et nombreuses atteintes à la Constitution, on devra bien s’accorder sur le point qui suit. C’est par des incapables patentés, ne pouvant régner autrement que par le vide, le blocage, la paralysie, que nous sommes – et restons, jusqu’à nouvel ordre – gouvernés.


Le pire, c’est que dans notre pays, l’incapacité s’avère encore plus contagieuse que le coronavirus. Toutes variantes confondues.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Occupation de grand prestige, couronnement d’une carrière diplomatique exceptionnellement brillante, la fonction de secrétaire général des Nations unies n’est pas pour autant une sinécure. Non content de s’assurer de la bonne marche des nombreuses agences onusiennes, ce personnage est également censé mobiliser les grandes puissances, membres du Conseil de sécurité, face aux...