La décision du ministre du Travail, Moustapha Bayram, le 8 décembre, d’élargir la panoplie des métiers que peuvent exercer les réfugiés palestiniens au Liban a fait polémique. Le ministre du Travail reconsidère chaque année les métiers réservés aux non-Libanais pour y apporter d’éventuelles modifications et Moustapha Bayram, proche du Hezbollah, a décidé d’autoriser les Palestiniens à exercer des professions libérales qui leur étaient jusqu’à présent interdites. Cette nouvelle mesure, qui survient dans un contexte de dépression économique, a provoqué un tollé dans les milieux chrétiens de manière générale, principalement au sein du Courant patriotique libre et des Kataëb qui ont crié au scandale.
Le CPL s’est toujours opposé à l’implantation des Palestiniens et des Syriens, au nom de « la protection des droits des chrétiens ». Dans un tweet, le chef du CPL, Gebran Bassil, a stigmatisé jeudi dernier une entorse au code du travail et à la Constitution. « Il s’agit d’une implantation déguisée que nous refusons. Une telle décision ne passera pas. Nous ne permettrons pas que les Libanais soient délestés de leurs emplois en ces circonstances », a-t-il dit, avant d’inviter les Libanais et les syndicats à se rebeller contre cette mesure et à la contester devant le Conseil d’État. « Ça ne passera pas », a prévenu M. Bassil.
Le parti Kataëb a qualifié cette décision de « destructrice » et critiqué ses effets en ces temps de crise aiguë. « Cette décision est une atteinte aux droits des Libanais. Elle vient consacrer de manière définitive la présence des Palestiniens au Liban à un moment où les Libanais sont en train d’émigrer », précise un communiqué publié le même jour.
Pourquoi pareil cadeau ?
Aux yeux de nombreux chrétiens, cette mesure est d’autant plus « déplacée » qu’elle intervient au mauvais moment et ne prend pas en considération les priorités de l’heure, sachant notamment que la moitié des Libanais n’a plus d’emploi.
Ayant toujours exprimé leur hostilité à tout ce qui touche de près ou de loin à l’implantation des réfugiés au Liban, certains partis chrétiens ont trouvé dans cette décision une opportunité pour ressusciter les vieilles craintes qui datent du temps de la guerre civile, lorsque les milices chrétiennes avaient pris les armes contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Estimés à environ 180 000 personnes actuellement, les réfugiés palestiniens vivent dans une douzaine de camps aux conditions précaires, répartis sur le territoire libanais, et étaient interdits jusque-là d’exercer plus de soixante-dix métiers.
Si la réaction du CPL et des Kataëb peut être interprétée comme une façon d’exacerber les réflexes communautaires à quelques mois des élections, la décision du ministre du Travail reste pour le moins énigmatique. Pourquoi vouloir, à un moment aussi critique, faire un pareil cadeau aux partis chrétiens sachant que leur réaction était, d’emblée, attendue ? « C’est une décision en harmonie avec l’esprit des forces nationales et progressistes, ainsi que du Hezbollah et des milieux de la gauche », commente Kassem Kassir, un analyste politique proche du parti chiite.
Preuve en est l’accueil favorable que cette décision a obtenu auprès de nombreuses personnalités qui réclament que les Palestiniens du Liban bénéficient de droits plus étendus. Quant à son timing, il survient à un moment où le parti chiite « cherche à faire une fleur aux forces palestiniennes et à la communauté sunnite par extension », dit-il.
Confrontés à des politiques d’emploi discriminatoires, les Palestiniens sont à ce jour exclus de la couverture de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), bien qu’un pourcentage de leur salaire soit déduit à cet effet. Alors que les Palestiniens et leurs employeurs doivent verser 23,5 % de leur salaire à la CNSS, à l’instar des travailleurs libanais, les Palestiniens ne peuvent recevoir qu’une indemnité de fin de service équivalente à 8,5 % de leur salaire. C’est ce qui expliquerait ce geste de bonne foi esquissé par un ministre du Hezbollah, mais qui reste, aux yeux des réfugiés palestiniens, dénué de sens au vu de la complexité de cette décision et des multiples entraves juridiques qui la vident de son sens.
Réaction démesurée
Directeur du centre de développement des droits des Palestiniens et avocat, Souhail Natour estime que cette nouvelle mesure reste en effet extrêmement codifiée. « Il n’y a pas de quoi en faire un plat dans la mesure où les anciens obstacles et complications sont toujours là. En tant que palestiniens, nous ne pourrons parler de percée que le jour où la loi sera modifiée de sorte à élargir la panoplie des métiers qui nous sont véritablement accessibles », dit-il. Prise dans l’objectif proclamé de répondre à certains besoins dictés par le marché du travail, mais aussi, au nom d’une justice sociale à l’égard des Palestiniens, cette nouvelle mesure pourra, tout au plus « servir à combler l’hémorragie dans certains secteurs professionnels comme par exemple dans les métiers d’infirmières où il existe un manque au Liban », explique M. Natour.
L’ancien ministre du Travail, Camille Abousleiman, proche des Forces libanaises, va un peu dans le même sens et considère que la réaction à cette décision est « démesurée ». C’est ce qui expliquerait d’ailleurs qu’en connaissance de cause, les FL ne sont pas montées au créneau. « Cette décision, dans ses aspects se rapportant aux travailleurs palestiniens, aura peu d’effets pratiques, car les restrictions proviennent des lois et des règlements régissant les professions libérales concernées », explique l’ancien ministre. À titre d’exemple, l’ordre des médecins applique le principe de la réciprocité en matière de droit d’exercer sur le sol libanais, ce qui, de toute évidence, ne peut s’appliquer aux médecins libanais qui ne peuvent pas se rendre en Palestine.
Expert en politiques publiques, Ziad el-Sayegh considère qu’il s’agit d’une initiative « populiste » qui a eu pour effet de cliver les Libanais autour de la question des droits des Palestiniens, entre ceux qui leur sont favorables et ceux qui sont contre. « Pourquoi évoquer cette question alors que le dossier des armes des Palestiniens reste ignoré ? » s’interroge-t-il. L’explosion qui a eu lieu samedi dernier dans le camp de Bourj el-Chemali au Liban-Sud et dont la cause serait des armes et des munitions appartenant au Hamas palestinien, devrait, selon cet expert, relancer le débat sur un dossier qui doit faire l’objet d’une vision commune.
commentaires (10)
Operation de diversion au moment ou toute l'attention est sur le juge Bittar et sur les armes illegales ! C'est aussi un cadeau a son allie du CPL qui n'a pas tarde a monter au creneau pour jouer sa partition favorite, la fibre confessionnelle ! Vivement un Liban laic debarasse de tous ces criminels !
OMAIS Ziyad
19 h 45, le 14 décembre 2021