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Société - Reportage

Ils ne peuvent ni entrer dans l’UE ni revenir au Liban : le calvaire de réfugiés syriens bloqués en Biélorussie

Ils ne peuvent ni entrer dans l’UE ni revenir au Liban : le calvaire de réfugiés syriens bloqués en Biélorussie

Un demandeur d’asile syrien dans un camion des gardes-frontières polonais après avoir traversé la Biélorussie. Photo Dominika Ozynska, Grupa Granica

Avec la fermeture, de fait, des passages frontaliers illégaux entre la Biélorussie et l’Union européenne, certains des milliers de demandeurs d’asile qui ont afflué vers ce pays d’Europe de l’Est ces derniers mois ont commencé à rentrer chez eux. Des centaines d’Irakiens bloqués ont, ainsi, embarqué sur des vols de rapatriement lors de la deuxième quinzaine de novembre. Parmi eux, nombreux sont ceux qui étaient restés bloqués des semaines durant dans les forêts de l’arrière-pays à la frontière désormais sous haute surveillance entre la Biélorussie et la Pologne. En date du 1er décembre, au moins 13 personnes étaient décédées à la frontière, selon Human Rights Watch. Mais de nombreux réfugiés syriens ayant rejoint Minsk depuis Beyrouth, ces derniers mois, sont dans une situation plus précaire encore. Lorsqu’ils ont quitté le Liban, leur passeport a été estampillé d’une interdiction de retour, et les visas touristiques facilement accordés par la Biélorussie sont désormais expirés. En l’absence de perspective claire pour l’obtention d’un droit d’asile au sein de l’UE ou en Biélorussie, c’est au risque de déportation vers la Syrie qu’ils font face. « J’ai entendu dire que la route était facile, et il y a des gens que je connais qui ont réussi », explique Mahmoud, père de cinq enfants qui a vendu son lopin de terre en Syrie où il avait espéré reconstruire un jour sa maison. Fin octobre, laissant sa femme et ses enfants au Liban, il a embarqué sur un vol pour Minsk, avec une réservation d’hôtel et une invitation pour un visa touristique en poche. Comme d’autres Syriens qui se sont confiés à L’Orient Today, il demande que son nom complet ne soit pas publié pour des raisons de sécurité. « Certains d’entre eux sont aux Pays-Bas, d’autres en Allemagne et en Belgique », dit-il.

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Depuis qu’il a fui la Syrie, en 2015, avec sa famille pour le Liban, Mahmoud ne s’est jamais senti en sécurité. « Je suis recherché par les services syriens pour le service militaire et ma femme est issue d’une famille d’opposition connue. Donc si elle revient en Syrie, elle sera arrêtée à la frontière juste à cause de son nom de famille », dit-il à L’Orient Today, depuis une maison à Minsk qu’il partage avec une douzaine d’autres demandeurs d’asile bloqués. « Ma vie serait en danger si je revenais dans mon pays », ajoute-t-il.

« Nous avons essayé plusieurs moyens pour partir, via l’ONU, via les ambassades. En vain », avait-il déclaré à L’Orient Today avant de se lancer dans le voyage vers la Biélorussie.Depuis que la crise sévit au Liban, un nombre croissant de Syriens ont tenté de fuir le pays vers Chypre par la mer. Mais après avoir entendu des histoires de Syriens renvoyés par les autorités chypriotes au Liban puis expulsés vers la Syrie, Mahmoud n’a pas osé tenter cette option. Un temps, il a envisagé de passer par l’une des autres voies vers l’Europe, via la Libye ou la Turquie, mais elles supposent également un dangereux voyage en mer. L’option biélorusse semblait dès lors plus sûre.

Comme de nombreux Syriens qui ont quitté le Liban dans des circonstances similaires, son passeport a été tamponné d’une interdiction de retour lorsqu’il a quitté l’aéroport de Beyrouth. De nombreux réfugiés ont laissé expirer leur permis de séjour libanais en raison du coût de leur renouvellement. Dans le cas de Mahmoud, son permis de séjour avait été révoqué par la Sûreté générale peu de temps avant qu’il ne quitte le Liban pour des questions de procédure. Quoi qu’il en soit, Mahmoud n’envisageait en aucun cas de revenir au Liban.

Au début, la chance semblait lui sourire. Contrairement à d’autres, qui sont restés coincés pendant des jours à l’aéroport de Minsk à faire la queue pour obtenir leur visa, son passage fut facile. Et il est rapidement arrivé à l’hôtel où un groupe d’amis l’attendait pour entreprendre le voyage jusqu’à la frontière. Ce fut la fin de sa bonne fortune.

Au moment où ils sont arrivés, la frontière entre la Pologne et la Biélorussie s’était transformée en zone fortement militarisée, où des centaines de demandeurs d’asile étaient coincés dans la forêt entre les deux pays, dans de nombreux cas sans eau ni nourriture et à des températures glaciales, ballottés entre les gardes-frontières biélorusses et polonais pendant des semaines.

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« Nous sommes entrés plusieurs fois en Pologne, mais les gardes-frontières polonais nous ont interceptés et nous ont renvoyés », raconte Mahmoud. « Nous sommes entrés en Lituanie aussi, mais, là encore, les gardes-frontières lituaniens nous ont attrapés et renvoyés en Biélorussie. Nous avons essayé six fois », poursuit-il. Découragé, il a regagné Minsk, où il a retrouvé de nombreux Syriens dans une situation similaire.


Des demandeurs d’asile, coincés à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, recevant de l’aide de la part de bénévoles. Photo Dominika Ozynska, Grupa Granica

Mahmoud a envoyé une capture d’écran d’un sondage en ligne réalisé sur un groupe, établi sur un réseau social, dédié aux Syriens en Biélorussie. Sur les quelque 470 personnes ayant répondu, un tiers explique ne pas pouvoir revenir dans leur pays de départ, en raison d’une interdiction de retour.Mohammad, un autre Syrien établi au Liban depuis 2012, s’est rendu en Biélorussie à la mi-novembre avec quatre autres jeunes hommes. Chacun d’entre eux a déboursé environ 4 000 dollars pour le voyage. Quelques jours après leur départ, les autorités libanaises ont ordonné, le 17 novembre, aux compagnies aériennes de ne pas autoriser tout citoyen non biélorusse à embarquer sur des vols à destination de Minsk, à moins qu’il n’y soit résident. Le ministère libanais du Tourisme a par la suite publié une circulaire appelant les agences de voyages à ne pas proposer la Biélorussie comme destination.

« Des gens ont vendu leurs vêtements et les meubles de leur maison pour financer ce voyage, d’autres ont vendu l’or de leur épouse, certains ont même vendu leur maison », raconte Mohammad. « Nous avons laissé nos familles au Liban. Nous nous attendions à une meilleure situation. » Au lieu de cela, ils se retrouvent « coincés dans la forêt pendant une semaine, sans eau ni nourriture ni quoi que ce soit ». « Nous buvions l’eau des mares », précise-t-il.

Certains membres du groupe ont été battus par les forces de sécurité biélorusses, ajoute Mohammad en montrant une série de photographies des jambes gravement contusionnées d’un homme pour étayer ses propos. D’autres Syriens qui ont répondu aux questions de L’Orient Today déclarent avoir été brutalisés par les gardes-frontières polonais et lituaniens ainsi que par les forces biélorusses.

Au moment où il était interviewé par L’Orient Today, Mohammad et ses amis se cachaient dans une maison louée à Brest, une ville proche de la frontière biélorusse-polonaise. Ils n’en sortaient quasiment pas, de peur d’être arrêtés par la police biélorusse avec des visas expirés. « Si nous retournons au Liban, nous serons expulsés de force en Syrie. Et en Syrie, le régime nous imposera de rejoindre les rangs de l’armée, et nous devrons nous battre », souligne-t-il, avant d’ajouter : « Nous ne voulons pas aller mourir en Syrie. Nous avons quitté la Syrie pour échapper à la guerre. » Depuis cette conversation, L’Orient Today a appris que Mohammad a finalement réussi à entrer en Allemagne.


Un activiste prend soin d’un réfugié syrien secouru par une ONG polonaise à la frontière avec le Bélarus. Photo Reuters/Marko Djurica

Des routes extrêmement risquées

Selon Mahmoud, certains Syriens à Minsk ont tenté de contacter le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés pour demander l’asile en Biélorussie après que leur route vers l’Union européenne a été bloquée. On leur a répondu, précise-t-il, qu’ils devaient d’abord postuler via un centre d’immigration biélorusse. Ce qu’ils ont fait. Mais, au centre d’immigration, dit-il, on leur a signifié qu’ils ne pouvaient pas demander l’asile. Le bureau des médias du ministère biélorusse des Affaires étrangères n’a pas répondu à une demande de commentaire ; un porte-parole de la Sûreté générale libanaise non plus.

Lisa Abou Khaled, porte-parole du HCR au Liban, déclarait, fin novembre, que l’agence n’avait jusque-là pas eu vent d’expulsion de Syriens de Biélorussie vers le Liban. « Nous avons fourni des conseils et un soutien au gouvernement biélorusse afin d’améliorer et de renforcer le système national d’asile et créer un environnement favorable à l’intégration des réfugiés en Biélorussie », précisait-elle. Quant aux réfugiés qui pourraient souhaiter rentrer au Liban mais dont le retour est interdit, elle disait : « Le HCR exhorte le Liban à veiller à ce que toutes les personnes qui souhaitent rentrer dans leur pays de résidence précédent et qui peuvent avoir peur de retourner dans leur pays d’origine soient réadmises afin que leur besoin de protection puisse être correctement évalué. » Un représentant de l’Union européenne n’a pas répondu à une demande de commentaires.

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Selon Nadine Kheshen, coordinatrice de projet pour les droits et la protection des réfugiés à l’ALEF, une ONG libanaise de défense des droits humains membre de la coalition Refugee Protection Watch, l’aggravation de la situation au Liban, ainsi que les craintes d’expulsion vers la Syrie et les possibilités réduites de réinstallation dans les pays européens ont poussé un nombre croissant de réfugiés à parier sur des routes migratoires comme celle qui traverse la Biélorussie. « Les gens empruntent ces routes extrêmement risquées, à travers Chypre, la Libye, la Turquie et la Biélorussie parce que la situation ici au Liban est devenue désespérée », poursuit-elle. « Dans de nombreux cas, dit-elle encore, il existe un risque très élevé que ceux qui reviennent de Biélorussie au Liban soient expulsés vers la Syrie » où, selon des rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et d’autres ONG, les rapatriés « sont détenus, potentiellement torturés voire même portés disparus ».

Ainsi, ajoute-t-elle, « nous continuons d’appeler les États européens à accroître leur partage des responsabilités, à augmenter les espaces de protection pour les réfugiés au Liban et dans les pays voisins accueillant des réfugiés et, surtout, à augmenter les opportunités de réinstallation ou d’autres possibilités de résidence dans d’autres pays ».

En attendant, même les informations dramatiques quant aux morts et aux conditions difficiles aux frontières biélorusses n’ont pas dissuadé certaines personnes de tenter le voyage. Un réfugié au Akkar rapporte ainsi à L’Orient Today qu’étant donné que les personnes sans permis de résidence sont désormais interdites de vol vers la Biélorussie depuis le Liban, un passeur lui a proposé, moyennant des frais supplémentaires, de lui obtenir un permis de séjour qui lui permettrait de faire le périple. Lui et les autres personnes avec qui il prévoyait de voyager ont accepté de payer 8 000 dollars chacun pour se rendre en Biélorussie, puis en Allemagne. Sur ce montant, ils ont déjà réglé 4 500 dollars.

Malgré les informations relayant la situation désastreuse aux frontières et son permis de résidence au Liban expiré, ce qui signifie qu’il lui sera interdit de rentrer, ce Syrien se dit prêt à faire le voyage. « Avant, la situation était meilleure qu’aujourd’hui », dit-il. « Après avoir payé la première partie du montant demandé, nous avons appris qu’il y avait nombre de dangers, des vols et ainsi de suite. Mais maintenant, nous attendons ces permis de séjour qu’on nous a promis. Si nous les obtenons, nous partirons. Cela reste mieux que de perdre tout notre argent. » À la mi décembre, ce réfugié du Akkar n’avait toujours pas obtenu son permis.

Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de « L’Orient Today » le 1er décembre 2021.

Avec la fermeture, de fait, des passages frontaliers illégaux entre la Biélorussie et l’Union européenne, certains des milliers de demandeurs d’asile qui ont afflué vers ce pays d’Europe de l’Est ces derniers mois ont commencé à rentrer chez eux. Des centaines d’Irakiens bloqués ont, ainsi, embarqué sur des vols de rapatriement lors de la deuxième quinzaine de novembre. Parmi...

commentaires (7)

Ces syriens sont devenus des mendiants planetaires. Qu'ils retournent chez eux vivrent dans la dignité au lieu de se victimiser constamment . Ils ne quittent pas la Syrie pour des raisons politiques mais plutot mercantile . D'un ils fuient le service militaire obligatoire pour eviter de se battre contre Daesh , de deux ils veulent juste gagner plus d'argent ailleurs alors qu'ils ont été instruit et formés au frais de l'état Syrien . C'est juste un opportunisme economique qui se drape de raisons humanitaires qui fait l'affaire de certains pays opposés au régime syrien .

nabil zorkot

18 h 05, le 14 décembre 2021

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Commentaires (7)

  • Ces syriens sont devenus des mendiants planetaires. Qu'ils retournent chez eux vivrent dans la dignité au lieu de se victimiser constamment . Ils ne quittent pas la Syrie pour des raisons politiques mais plutot mercantile . D'un ils fuient le service militaire obligatoire pour eviter de se battre contre Daesh , de deux ils veulent juste gagner plus d'argent ailleurs alors qu'ils ont été instruit et formés au frais de l'état Syrien . C'est juste un opportunisme economique qui se drape de raisons humanitaires qui fait l'affaire de certains pays opposés au régime syrien .

    nabil zorkot

    18 h 05, le 14 décembre 2021

  • Beaucoup avouent franchement qu'ils ne veulent pas faire leur service militaire en Syrie . En quoi les Français qui ont été assujettis au service jusqu'à la Présidence de Jacques Chirac , devraient accueillir des insoumis de l'Armée Syrienne ???

    yves gautron

    16 h 42, le 14 décembre 2021

  • “Ils ne peuvent ni entrer dans l’UE ni revenir au Liban : le calvaire de réfugiés syriens bloqués en Biélorussie“ ?? Ni revenir au Liban? Ceci devrait lire "Ni revenir dans les bras du zéro bashar" le Liban a déjà trop fait pour eux.

    Wlek Sanferlou

    12 h 44, le 14 décembre 2021

  • BIEN DIT, "censuré par l OLJ" ! Enough is Enough of "Syriens invading countries".

    Marie Claude

    10 h 58, le 14 décembre 2021

  • Leur pays est la Syrie. Et le pays est pacifié et le régime reprend des couleurs doucement mais sûrement. Alors qu’ils rentrent en Syrie participer à la reconstruction de leur pays, ce sont généralement d’assez bons artisans du bâtiment

    Lecteur excédé par la censure

    07 h 43, le 14 décembre 2021

  • C'est dur pour eux, mais la Biélorussie qui les a laissés entrer sur son territoire, est désormais responsable d'eux. L'UE ne les a jamais invités. Tous les pays occidentaux font , depuis quelques décennies, face à une vague d'immigrants venus d'Afrique ou des pays dits "arabes". Pour éviter. d'une part le déracinement de ces malheureux, et, d'autre part les problèmes posés par cette invasion dans les pays d'accueil, il serait remps que l'ONI se penche sur la question et intervienne, sous le chapitre 7 s'il le faut, pour créer dans les pays d'origine des conditions qui permettent aux gens de rester chez eux et d;y vivre en paix.

    Yves Prevost

    07 h 15, le 14 décembre 2021

  • M. Mahmoud devrait rentrer dans son pays pour y remplir, avec une certaine fierté, ses obligations militaires normales, comme tout citoyen syrien qui se respecte. Se soustraire aux obligations militaires ne confère pas une qualité de réfugié, mais une qualité de renégat.

    Mago1

    01 h 23, le 14 décembre 2021

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