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Monde - Commentaire

La crise migratoire met l’UE face à ses propres contradictions

Le débat ne peut être restreint à un affrontement purement géopolitique entre Bruxelles et Minsk. Car cela reviendrait à faire l’impasse sur deux aspects centraux du dossier, à savoir les raisons qui ont poussé des milliers de personnes à choisir de tout perdre, à commencer par leur vie, pour entrer en Europe, et le rôle joué par les Européens, entre autres, dans les crises qui secouent aujourd’hui le Moyen-Orient.

La crise migratoire met l’UE face à ses propres contradictions

Des migrants rassemblés hier dans un centre de transport et de logistique près du poste-frontière de Bruzgi, à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Leonif Shcheglov/Belta/AFP

« Des pions », « une arme », « une agression migratoire », « une guerre moderne hybride ». Depuis plusieurs semaines, les Européens ne manquent pas d’inspiration et de vocabulaire pour qualifier la présence de migrants à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Les expressions diffèrent mais leur essence, elle, est commune : la déshumanisation de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants amassés le long des barbelés qui traversent la forêt de Podlachie. Ils sont afghans, irakiens, yéménites, syriens, libanais. Appâtés par les facilités mises en place par la Biélorussie pour la délivrance de visas de courte durée et la multiplication des vols pour Minsk, ils sont quelques milliers à être venus légalement, portant avec eux l’espoir ne serait-ce que de survivre en Europe. Quitte à braver le froid glacial qui enveloppe cette forêt humide, à traverser des rivières gelées, à endurer le manque de nourriture et la répression des forces biélorusses et polonaises. Quitte à y laisser leur vie. C’est le cas tragique d’Ahmad, un Syrien de 19 ans, mort en traversant le Boug, le cours d’eau qui marque la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Au moins onze personnes sont décédées jusqu’à présent, notamment d’hypothermie.

Sans avoir conscience du piège tendu par Minsk, ils sont devenus les figurants d’un bras de fer qui les dépasse. Les acteurs principaux se trouvent, eux, de part et d’autre de cette même frontière : le président biélorusse Alexandre Loukachenko, qui tire les ficelles de ce jeu mortifère sous le parrainage de son homologue russe Vladimir Poutine, face aux dirigeants de l’Union européenne. « Un drame humanitaire mais, surtout, un drame géopolitique », tendent à résumer les observateurs européens. Une analyse qui dégouline de cynisme. La détestable politique menée depuis cet été par Loukachenko en représailles aux sanctions européennes – conséquences de la répression de Minsk contre l’opposition biélorusse – a bel et bien créé cette crise migratoire pour l’utiliser comme vulgaire monnaie d’échange et a fait monter d’un cran les tensions préexistantes avec Bruxelles. Mais les réactions du côté européen sont également empreintes d’hypocrisie.

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Sur les plateaux télévisés et dans les déclarations officielles, on dénonce l’instrumentalisation des migrants par Minsk tout en brandissant haut et fort la menace sécuritaire que représente l’« attaque hybride » lancée par Loukachenko, selon le terme utilisé par le gouvernement polonais puis repris par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Et on s’évertue à balayer d’un revers de main toute similitude entre les événements actuels et la crise migratoire de 2015, lorsque des millions de réfugiés, notamment syriens, ont afflué dans l’espace Schengen depuis la Turquie et les eaux méditerranéennes. Si la comparaison est effectivement disproportionnée, l’Europe reste l’ultime bouée de sauvetage pour beaucoup, qui fuient une région minée par les crises et sous la coupe d’autocrates. En Syrie, au Yémen ou encore en Afghanistan, Bruxelles alerte quant à l’urgence humanitaire. Au Liban et en Turquie, les Occidentaux ne cessent de s’offusquer des mauvais traitements dont les réfugiés font l’objet.

Solution-pansement

Mais l’Europe, en pleine crise identitaire, ne veut pas de ce fardeau chez elle, à un moment où les narratifs recentrés autour d’une conception étroite de la nation ont le vent en poupe, notamment à des fins électoralistes. Protection des frontières, préservation de l’identité nationale et des us et coutumes, défi économique et démographique... Profondément complexe, ce dossier vient finalement raviver un certain malaise qui règne dans une Europe dénuée de vision commune sur la migration, voulant à la fois se positionner comme héraut du respect des droits humains et appliquer une politique de fermeté. « Déléguer » le dossier des réfugiés aux pays de la région à l’instar de la Jordanie ou du Liban, eux-mêmes en proie à des crises internes, à coup d’aides financières n’est qu’une solution-pansement qui ne peut ni suffire à régler le problème à la source ni s’inscrire dans la durée. Du pain béni pour une extrême droite décomplexée qui ne cesse de gagner du terrain, agitant frénétiquement la menace du « grand remplacement » dans le sillage de la venue de ces migrants issus de pays à majorité musulmane. Quitte à laisser la voie libre aux discours les plus choquants. « Donc on les laisse mourir de froid ? », demandait la semaine dernière le journaliste Olivier Truchot, sur BFMTV. « Mais bien sûr que oui », répondait sans ciller le porte-parole du Rassemblement national, Julien Odoul, avant de se reprendre, mais un peu tard...

Pourtant ratifiée par l’ensemble des pays de l’Union européenne, la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés consacre le principe de non-refoulement. Il a été quotidiennement bafoué par les autorités polonaises. Systématiquement, les quelque 10 000 troupes déployées par Varsovie – qui ont refusé toute intervention à l’échelle européenne – ont forcé les migrants ayant réussi à franchir la frontière à faire marche arrière à coup de grenades assourdissantes, de gaz lacrymogènes, de canons à eau, voire en s’en prenant directement et physiquement à certains d’entre eux. L’accès aux zones concernées a été interdit aux humanitaires et aux journalistes. Le silence de la Commission européenne n’en est que plus assourdissant.

Problème structurel

Restreindre le débat à un affrontement purement géopolitique entre l’UE et Minsk revient cependant à faire l’impasse sur deux autres pans de ce dossier : les raisons qui ont poussé des milliers de personnes à choisir de prendre le risque de mourir pour entrer en Europe plutôt que de rester dans leur pays et le rôle joué par les Européens, entre autres, dans les crises qui secouent aujourd’hui le Moyen-Orient. En Irak, plusieurs pays européens ont participé à la guerre déclenchée par l’administration de George W. Bush contre Saddam Hussein en 2003, sans considération aucune pour « l’après » dont les Irakiens pâtissent toujours aujourd’hui. En Syrie, ils brillent par leur manque d’initiative concrète depuis 2011 face aux massacres perpétrés par Bachar el-Assad contre son peuple. En Afghanistan, leur retrait précipité a laissé le champ libre à une reconquête de Kaboul par les talibans, mettant en danger la vie de milliers d’Afghans, à l’instar des femmes ou de ceux ayant travaillé avec les Occidentaux. Les Européens doivent en prendre conscience : qu’ils le veuillent ou non, qu’ils interviennent ou non, ils sont, par la force des choses, acteurs de ces crises qui se déroulent à leurs portes.

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Si les principaux camps de migrants à la frontière biélorusse ont fini par être évacués jeudi soir, que l’Irak a commencé à rapatrier ses ressortissants « volontaires » et que Minsk s’est dit prêt à également rapatrier 5 000 migrants, ces initiatives ne sont que des réponses conjoncturelles à un problème structurel. Hier encore, ils étaient des centaines à tenter de nouveau de traverser la frontière en direction de la Pologne. Car pour la plupart de ces migrants aujourd’hui, rentrer chez eux n’est pas une option. Ils ont emprunté de l’argent, vendu tous leurs biens. Surtout, pour nombre d’entre eux, ce sont la répression, le risque d’emprisonnement et de torture qui les attendent.

« Des pions », « une arme », « une agression migratoire », « une guerre moderne hybride ». Depuis plusieurs semaines, les Européens ne manquent pas d’inspiration et de vocabulaire pour qualifier la présence de migrants à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Les expressions diffèrent mais leur essence, elle, est commune : la...

commentaires (5)

On ne peut que plaindre ces personnes qui rêvent encore d'une Europe qui n'a rien à leur offrir. Et d'ailleurs quels pays d'Europe visent ces migrants? On les compte sur les doigts d'une main... Pourquoi leurs regards et leurs espoirs ne se tournent-ils pas vers leurs "frères" d'Iran, du Qatar, de Bahreïn etc...tous ces pays riches qui ont besoin de main d'œuvre dont ils comprennent la langue et qui, surtout, sont leurs coreligionnaires ? En France ce sont les Églises et non les mosquées qui leur offrent l'asile. Arrêtez donc de toujours tendre la main vers l'Europe tout en la critiquant.

Lilou BOISSÉ

18 h 44, le 22 novembre 2021

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Commentaires (5)

  • On ne peut que plaindre ces personnes qui rêvent encore d'une Europe qui n'a rien à leur offrir. Et d'ailleurs quels pays d'Europe visent ces migrants? On les compte sur les doigts d'une main... Pourquoi leurs regards et leurs espoirs ne se tournent-ils pas vers leurs "frères" d'Iran, du Qatar, de Bahreïn etc...tous ces pays riches qui ont besoin de main d'œuvre dont ils comprennent la langue et qui, surtout, sont leurs coreligionnaires ? En France ce sont les Églises et non les mosquées qui leur offrent l'asile. Arrêtez donc de toujours tendre la main vers l'Europe tout en la critiquant.

    Lilou BOISSÉ

    18 h 44, le 22 novembre 2021

  • Qu’est-ce que les pays Arabes ont fait pour les migrants ? combien de migrants ont-ils accueilli chez eux ? dans quelles conditions sont-ils reçus ? 35 pays ont participé à la guerre du Golfe le 2 Août 1989 au 28 février 1991 Y compris la France avec l’accord de l’ONU. Jacques Chirac a refusé d’y participer en 2003 à l’anéantissement de l’Irak, avec la suite que l’on sait aujourd’hui. Prétendre que le résultat de la guerre Amérique vs L’Irak ainsi que la fuite des migrants soit la faute de l’Europe est une mystification. Vouloir défendre à tout prix la veuve et l’orphelin pour faire du sentimentalisme à pas cher, et se faire un nom telle Madame Hayek avec son prix, on peut le comprendre mais sans l’approuver. C’est trop facile de donner des leçons, surtout lorsqu’on ne fait rien pour aider des gens dans la misère. Franco-Libanais, je suis contre toutes sensibleries gratuites en se servant de causes perdues d’avance, ça me rappelle la Russie Soviétique qui défendait les travailleurs, mais son goulag était le cimetière des politiciens et intellectuels indésirables. L’auteure n’a pas eu une seule pensée, aux pays dont l’élite fuyait. Le chacun chez soi et la meilleure façon d’être heureux. J’ai quitté mon Liban j’avais 17ans, me suis installé mariés avec des enfants, dans des conditions saines avec l’assentiment du pays d’accueil, et pour reprendre votre remarque, dès le premier instant j’ai respecté les us et coutumes, les lois du pays sans chercher d’excuse pour m’y soustraire

    Le Point du Jour.

    23 h 34, le 21 novembre 2021

  • L,U.E. ILS AMASSENT ET CONCENTRENT CHEZ EUX LES SPORES DE FUTURS TROUBLES ET SOULEVEMENTS

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 48, le 21 novembre 2021

  • Un autre facteur,oublié par l'auteure, est que les sanctions imposées par l'Europe pénalisent indirectement et injustement le peuple et le poussent à fuire la misère et la famine. MZ

    ZEDANE Mounir

    13 h 19, le 21 novembre 2021

  • Pourquoi ils ne vont pas dans les pays du golf ?

    camel

    17 h 48, le 20 novembre 2021

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