Peu de gens le savent et pourtant le Cocodi, dans sa forme finale, est né du coup de foudre de Bhisham Varma, un pilote de ligne indien, devenu plus tard « fournisseur ès-gastronomie “d’Air India, de la PanAm et de British Airways pour le pays du Cèdre. Son fils, Raji Varma, se souvient.” À Beyrouth, en ces temps-là, aux yeux des enfants, le Cocodi était aussi magique que Disneyland aux États-Unis ou en Europe ». La cinquantaine, installé au soleil dans un café de Ras Beyrouth, le copropriétaire du restaurant Makan et propriétaire du restaurant Sirena est le fils de Bhisham Varma, l’un des hommes qui ont inventé le Cocodi. Ses souvenirs d’enfance, comme ceux des enfants des années 60, imprégnés de nostalgie et de regrets, sont reliés à ce lieu devenu mythique. « J’étais le fils du patron. Quand j’arrivais, les enfants défavorisés du quartier de Bourj el-Brajné se mettaient à courir en s’écriant : « Le fils du Monsieur est là ! Le fils du Monsieur est là ! » Ils savaient qu’en ma présence, ils pourraient avoir accès gratuitement aux auto-tamponneuses. Moi, j’étais fier de ma voiture blanche, qui portait le numéro quatre et était traficotée pour devenir la plus puissante du circuit. « Le tout fonctionnait avec un système de fiches, poursuit-il, mais moi, j’avais un jeu de clés pour toutes les attractions ! Il y avait même des canaux avec des minibarques, et j’avais ma propre barque aussi ! J’étais le fils du patron. J’avais la chance d’être le roi de ce grand espace qui abritait des restaurants, tous ces jeux pour enfants, un manège, un trampoline, un immense circuit de voitures téléguidées, des barques, des flippers et un bowling, et j’en profitais… »
Pour les plus jeunes, le Cocodi n’est aujourd’hui que le nom d’un quartier de la banlieue sud de Beyrouth dont il ne reste plus rien… Grandeur et décadence, car le Cocodi était le premier parc d’attractions au Liban, créé en 1967 sur un terrain appartenant à Bank Audi et que deux hommes, Farès el-Achkar, d'abord, un Libanais ayant fait fortune en Afrique, rejoint par un Indien de Delhi, Bhisham Varma, ancien pilote de ligne indien établi au Liban, ont décidé d’exploiter. Le contrat devait durer cinquante ans, mais le Cocodi s’est éteint avec le déclenchement de la guerre en 1975. « Farès el-Achkar, qui l’avait construit, y avait déjà aménagé un restaurant et un jardin qui lui rappelaient l’Afrique, et mon père est venu avec l’idée du parc d’attractions. De plus, il cherchait un espace pour empaqueter les repas d’Air India dont les avions atterrissaient plusieurs fois par semaine à Beyrouth. À l’époque, le hub aérien du Golfe n’existait pas et c’est l’aéroport de Beyrouth qui était utilisé pour les liaisons aériennes entre l’Europe et l’Asie. C’étaient d’autres temps », regrette Raji Varma.
À cette époque bel et bien révolue de l’histoire du Liban, le Cocodi, destiné à la classe aisée du pays, était une destination très prisée. Les parents y emmenaient leurs enfants en journée pour profiter du parc d’attractions, de l’immense jardin, et eux du restaurant. Une station d’essence à proximité permettait à ceux qui y passaient un moment de faire laver leur voiture. Le soir, le restaurant Le Montmartre était réservé aux soirées raffinées des adultes, au son du célèbre orchestre John John et les Mauvais Garçons et réunissait la crème de la société libanaise. « Les enfants pouvaient aussi y organiser leur anniversaire. Je me souviens vaguement des miens, mais j’ai encore dans la bouche le goût des Banana Splits et des Sundaes, des desserts alors très nouveaux et très à la mode, que je dégustais au restaurant. »
Georgina Rizk et le premier Boeing 747
Situé à proximité de l’aéroport de Beyrouth, le Cocodi tout comme les magnifiques Saint-Simon et Saint-Michel tout proches ont arrêté de fonctionner dès le début des combats, désertés par leurs propriétaires et leurs habitués. Une page se tournait déjà… « C’est cette proximité qui a provoqué son succès puis sa chute », note Raji Varma. Et de poursuivre son récit des jours heureux : « Mon père était champion olympique de natation et pilote de ligne en Inde. Durant trois ans, il a effectué le vol Delhi-Beyrouth et durant ces incessants allers-retours, il est tombé amoureux du Liban. À la fin des années cinquante, il décide de rester et épouse ma mère, une grecque-orthodoxe de Ras Beyrouth, très ouverte et très cultivée. Il ouvre le restaurant Sirena en 1959, à la fin de la rue Bliss, et prend en charge le catering d’Air India. Ne pouvant pas tout préparer au restaurant, il cherchait une plus grande cuisine et un espace pour empaqueter les repas. Et qu’il soit, de préférence et pour des raisons de commodité, à proximité de l’aéroport. C’est pour cette raison qu’il a initialement décidé d’exploiter le Cocodi. En plus des espaces de loisir et du parc d’attractions, il y a fait construire d’immenses salles frigorifiées. Après Air India, il a pris en charge, au début des années 70, le service repas de la British Airways. » Le premier avion jumbo, un Boeing 747 qui a atterri à Beyrouth, était un avion d’Air India, selon Raji. « J’avais une photo où l’on reconnaît, près de l’engin, sur le tarmac et entourant mon père, la Miss Univers de l’année, Georgina Rizk, ainsi que de nombreux officiels », ajoute-t-il. Mais en 1975, Bhisham Varma voit l’espace qu’il a construit saccagé par des miliciens.
Il a essayé de le préserver et de le défendre, en vain. En 1978, alors qu’il était en visite à Delhi, le cœur sans doute trop meurtri, il est terrassé par une crise cardiaque. Un brin d’amertume dans la voix, Raji Varma confie encore : « Mon père était un homme très respecté à Beyrouth. Connu de tous, il a œuvré pour le développement touristique et économique du Liban. Malgré tout le travail accompli, la nationalité libanaise ne lui a jamais été accordée. Ma mère est libanaise, je suis né, j’ai grandi et je travaille à Beyrouth, je ne peux pas vivre loin de cette ville et même si je me plais à dire que je suis un grec-orthodoxe de Ras Beyrouth, malgré toutes les démarches effectuées, je n’ai pas, moi non plus, obtenu la nationalité. Je vis encore ici avec un permis de séjour. » Depuis 1975, il s’est rendu à deux reprises au Cocodi. « La première fois, durant les années 80. L’espace était alors occupé par l’armée syrienne. Des squatteurs avaient déjà commencé à construire des immeubles. Les chambres frigorifiées avaient été transformées en W-C. J’ai pris mes jambes à mon cou et je suis reparti très vite. La seconde fois, c’était il y a une dizaine d’années, avec ma fille qui en a fait un sujet de recherche lors de ses études à l’université. »
Du Cocodi, ses collines et vallons, sa fraîcheur des sous-bois, ses petits ponts arc-boutés entre des massifs de gazon fleuri, ses monts et merveilles, ses pistes de danse bordées de rosiers, de jacinthes, d’anémones, et pas un bruit d’avions, comme le signalaient les annonces publicitaires, il ne reste plus aujourd’hui que la station d’essence, rouillée et agonisante, et l’enseigne du lieu ou des bâtiments illégaux, habités par des squatteurs et qui ne seront sans doute jamais démantelés.
Nostalgie .... quand tu nous tiens !!!!! et l'Eden roc , on en entend pas parler, ou l'ai-je raté? Magnifique endroit avec ses pelouses, une piscine et son plongeoir!! quel bonheur certains dimanches à y flâner en famille ... quelqu'un aurait il des photos ? ce Liban qu'on aime démesurément ....
19 h 17, le 12 mars 2022