Si la plupart des réactions à la visite du chef de l’État au Qatar se sont concentrées sur les propos qu’il a tenus dans ses entretiens avec les médias de cet émirat, celle-ci n’en reste pas moins un événement dans le paysage politique libanais. Ce déplacement intervient en effet à un moment particulièrement délicat dans les relations du Liban avec les États du Golfe et alors que les Libanais vivent une crise économique, financière et sociale sans précédent. La visite de Michel Aoun à Doha constitue donc une brèche ouverte dans le mur qui s’est dressé entre le Liban et les monarchies du Golfe depuis la décision de Riyad de prendre des mesures de rétorsion contre le pays du Cèdre suite aux propos du ministre de l’Information, Georges Cordahi, sur la guerre au Yémen, faits avant son accession à cette fonction. Cette visite a donc brisé le quasi-blocus imposé par les États du Golfe au Liban et permis au chef de l’État d’adresser des messages clairs de bonnes intentions à l’égard des Saoudiens et des autres pays du Golfe.
Le Qatar a donc en quelque sorte permis au Liban officiel de lancer des signaux positifs aux pays du Golfe, en prélude à toute tentative ultérieure de dialogue direct entre eux. Même si l’occasion de la visite était en principe sportive – la cérémonie d’ouverture de la Coupe arabe de football –, le président Aoun et l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, étaient déterminés à lui donner un caractère politique. Ainsi, sur le plan de la forme, l’accueil réservé par l’émir du Qatar au chef de l’État libanais était particulièrement chaleureux. De plus, les médias qataris, la chaîne al-Jazeera en tête, lui ont assuré une large couverture. Ce qui constitue des indices clairs sur la volonté du Qatar d’aider le Liban et en même temps de ne pas le montrer comme abandonné par les monarchies du Golfe, malgré la crise diplomatique aiguë. Sur le fond, les discussions de la délégation libanaise avec les dirigeants du Qatar ont été centrées sur deux volets : les relations bilatérales et la brouille avec les États du Golfe, Arabie en tête. En ce qui concerne le premier volet, les discussions entre le président Aoun et le prince Tamim ont été axées sur l’intérêt que porte Doha au Liban, et ses dispositions à y investir, notamment dans la reconstruction du port de Beyrouth, et dans les domaines du gaz et de l’électricité. L’intention existe donc, mais le processus devrait prendre du temps et exige des réunions bilatérales. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le ministre de l’Énergie a mené des discussions parallèles avec son homologue qatari, alors que le ministre qatari des Affaires étrangères devrait arriver à Beyrouth prochainement pour suivre certains dossiers qui concernent les deux pays.
Concernant le second volet qui porte sur la crise entre les pays du Golfe et le Liban, la situation est un peu plus complexe. Selon des sources proches de la délégation libanaise, il serait irréaliste de croire que cette visite et les messages adressés par Michel Aoun aux dirigeants du Golfe suffiront à briser la glace avec les dirigeants saoudiens et à paver la voie à un règlement de cette nouvelle crise qui frappe durement les Libanais. Selon les sources précitées, l’émir du Qatar aurait encouragé le Liban à faire de son mieux pour rétablir les ponts avec les dirigeants saoudiens, tout en promettant de faire lui aussi ce qu’il peut dans ce sens. Mais passés maîtres dans ce qu’on appelle « la diplomatie silencieuse », les dirigeants qataris préfèrent ne pas parler des initiatives qu’ils comptent prendre.
Toutefois, indique une source diplomatique arabe, la visite du chef de l’État au Qatar n’aurait pas été possible sans un feu vert américain accordé à Doha. Selon cette même source, l’émir du Qatar n’aurait pas invité le chef de l’État libanais s’il n’avait pas auparavant tâté le terrain auprès des Américains. En réalité, ces derniers suivent attentivement les développements au Liban, et ils craignent que ce pays ne s’effondre complètement si rien n’est fait pour arrêter le processus d’effritement des institutions publiques et des piliers du système qui lui avaient permis de tenir au fil des années en dépit des crises, sans risquer la banqueroute totale. Tout comme les Américains avaient rapidement réagi lorsqu’en plein mois d’août, le secrétaire général du Hezbollah avait annoncé l’arrivée des premiers bateaux iraniens chargés de mazout en poussant l’Égypte et la Jordanie à conclure des accords avec le Liban pour lui vendre du gaz et du courant électrique via la Syrie, ils ont réagi cette fois-ci encore en poussant le Qatar à dynamiser ses relations avec le Liban en essayant autant que possible d’aider ce pays au moment où la plupart des États du Golfe ont pratiquement décidé de le boycotter. Certes, il ne s’agit pas de régler toutes les crises dont souffre actuellement le Liban, mais de lui donner une bouffée d’oxygène pour lui permettre de tenir... jusqu’aux élections législatives.
commentaires (14)
Je trouve les articles de Scarlett Haddad bien informés et plutôt objectifs. Ils nous forcent à raisonner tout en gardant nos propres opinions.
Morabito Giuseppe / ORDRE DE MALTE
18 h 59, le 02 décembre 2021