Depuis quelques jours, le président de la République, Michel Aoun, s’efforce de réduire l’impact de ses propos rapportés par le quotidien al-Akhbar. « À la fin de mon mandat, je laisserai certainement la place, au palais de Baabda, à un président qui me succédera. Je ne remettrai pas le pouvoir au vide », avait-il déclaré. Des propos qui sonnaient comme une menace d’une réédition du scénario de la fin des années 80. Alors chef d’un gouvernement militaire de transition, le général Michel Aoun s’était accroché au pouvoir et s’était abstenu d’organiser la présidentielle visant à élire un successeur à Amine Gemayel et avait dû quitter le palais de Baabda par la force après l’offensive menée par l’armée syrienne le 13 octobre 1990. Cependant, les tentatives de la présidence de calmer les appréhensions, tant sur la scène locale que régionale, semblent loin de mener aux résultats escomptés.
Lors de son déplacement hier au Qatar, Michel Aoun a tenu des propos entretenant le flou autour de la phase post-31 octobre 2022. Dans une interview au journal qatari al-Raya, le président libanais a répondu sans détour à une question portant sur la fin de son sexennat. « Pour moi, la prorogation du mandat n’est pas une option », a-t-il affirmé. Interrogé au sujet du profil de son successeur, M. Aoun a estimé qu’il devrait « avoir une bonne représentativité et être un élément d’entente et non de séparation ». Sauf que, quelques heures plus tard, dans une autre interview accordée à la chaîne qatarie al-Jazeera, le président a nuancé ses propos, affirmant qu’il quittera le palais de Baabda à la fin de son mandat « sauf si le Parlement en décide autrement ». Tenant à souligner qu’il s’opposerait à toute prorogation de l’actuelle législature, il a toutefois précisé que le cas échéant il reviendrait au Parlement de décider s’il devrait rester au palais de Baabda. Et M. Aoun de rappeler que les mandats de deux ex-présidents (Élias Hraoui et Émile Lahoud) avaient été prorogés. « J’exclus une telle hypothèse et je quitterai Baabda à la fin du sexennat, sauf si la Chambre en décide autrement. Cela est possible, mais ce n’est ni voulu ni planifié », a souligné Michel Aoun. Cette démarche requiert un amendement de l’article 49 de la Constitution, qui stipule que le président est élu pour une période de six ans non renouvelable. Quelques jours auparavant, des sources proches de Baabda citées par le quotidien al-Charq al-Awsat avaient déjà tenté de rectifier le tir, précisant que Michel Aoun « ne restera pas au palais de Baabda une minute après la fin du sexennat ».
« Contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, les propos de Michel Aoun sont une façon d’assurer que les législatives auront bien lieu et que la nouvelle Assemblée sera chargée d’élire le futur président », assure un proche de M. Aoun à L’Orient-Le Jour. Des explications qui ne convainquent pas les détracteurs du président. C’est le cas de Fouad Siniora, farouche opposant au compromis présidentiel de 2016. « Nous remercions le président de nous avoir rassurés quant à sa volonté de ne pas proroger son mandat », lance, non sans ironie, l’ex-Premier ministre dans un entretien accordé à L’OLJ. « Les expériences du passé ne sont pas encourageantes avec l’intéressé », ajoute M. Siniora. « Nous ne voulons rien d’autre que de voir ce mandat arriver à sa fin », poursuit-il.
« Nous ne demandons pas de médiation »
Le rare déplacement de Michel Aoun au Qatar intervient dans un contexte d’une crise diplomatique aiguë entre Beyrouth et les monarchies du Golfe, après les propos polémiques du ministre de l’Information, Georges Cordahi, sur l’implication saoudienne dans la guerre du Yémen. C’est donc dans une claire volonté de renouer avec les monarchies arabes que le chef de l’État a pris le chemin du Qatar. Il faut rappeler dans ce contexte que lors de la conférence sur le climat tenue en Écosse début novembre, le bureau du Premier ministre Nagib Mikati avait annoncé une visite imminente du chef de la diplomatie qatarie à Beyrouth. Mais Doha n’a jamais confirmé une telle visite, suscitant des interrogations quant à sa volonté, ou sa capacité, d’intercéder pour le Liban auprès de l’Arabie saoudite. Le président Aoun se serait-il rendu au Qatar pour essayer d’ouvrir cette porte ? « Nous ne demandons pas de médiation. Le président est allé au Qatar en réponse à une invitation officielle », répond un proche du palais de Baabda. L’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a invité M. Aoun à Doha pour assister à la cérémonie d’ouverture de la Coupe arabe du football, qui doit avoir lieu aujourd’hui. Selon un communiqué publié par la présidence de la République, l’émir du Qatar a annoncé qu’il enverrait « prochainement » son chef de la diplomatie, Mohammad ben Abdel Rahman al-Thani, à Beyrouth afin de suivre les derniers développements, espérant par ailleurs que la crise avec les pays du Golfe sera rapidement résolue. L’émir a, en outre, affirmé que Doha est prêt à aider Beyrouth, dans tous les domaines liés au redressement du Liban. Il a ajouté que le Qatar pourra « contribuer aux investissements au Liban, après adoption des lois » relatives aux aides financières, réclamées depuis des années par la communauté internationale, notamment en matière de gestion des marchés publics, de transparence et de lutte contre la corruption. De son côté, M. Aoun a remercié l’émir du Qatar pour les aides envoyées dernièrement au Liban et à l’armée, affirmant « accueillir favorablement tout investissement fait par Doha dans des projets de développement, notamment dans les domaines énergétiques, de l’électricité, dans le secteur bancaire et autres ».
Selon les informations rapportées par notre chroniqueur politique Mounir Rabih, M. Aoun a bel et bien discuté avec l’émir du Qatar de la crise entre Beyrouth et les pays du Golfe, et des moyens de la résoudre. L’émir aurait fait savoir à son interlocuteur que le retour à la normale entre Beyrouth et le Golfe ne peut avoir lieu tant que le Liban n’a pas fait des gestes inspirant confiance à ces pays, à savoir les réformes exigées par la communauté internationale. Mais cela requiert la redynamisation du cabinet Mikati, paralysé depuis plus d’un mois en raison du boycott des ministres chiites qui réclament que le cabinet limoge Tarek Bitar, le juge en charge de l’enquête sur la double explosion meurtrière au port de Beyrouth. Une crise politique que les contacts en cours n’arrivent toujours pas à régler. « Rien de nouveau sous le soleil », commente un proche du Premier ministre. Ce dernier s’est entretenu hier avec le président de la Chambre, Nabih Berry, à Aïn el-Tiné. « Il était normal que les deux hommes se réunissent après le déplacement de M. Mikati au Vatican », explique le proche du leader sunnite. De son côté, le mouvement Amal de M. Berry a démenti hier les informations portant sur un compromis qui serait conclu entre le tandem chiite et le Courant patriotique libre pour relancer les réunions du cabinet. Le package deal en gestation, rapporté dimanche par des sources concordantes, consisterait en un troc : la redynamisation de la Haute Cour chargée de juger les présidents et ministres contre l’acceptation par le Conseil constitutionnel du recours en invalidation de la loi électorale présentée par la formation aouniste.
"...le général Michel Aoun s’était accroché au pouvoir et s’était abstenu d’organiser la présidentielle visant à élire un successeur à Amine Gemayel et avait dû quitter le palais de Baabda par la force après l’offensive menée par l’armée syrienne le 13 octobre 1990. " Sauf que, en 1990, il n'avait rien à foutre à Baabda, car il n'était pas Président! En plus, il avait déclaré, quelques jours avant le 13 octobre, qu'il ne quitterait jamais le Liban, et qu'il mourrait à son PC, avec ses officiers...Peut-être aurait-il l'intention de réaliser maintenant ce qu'il n'a pas pu faire la première fois?
10 h 34, le 02 décembre 2021