Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Éclairage

Le candidat émirati à la présidence d’Interpol sous le feu des critiques

Accusé de faits de torture et d’arrestations arbitraires, le général Ahmed Nasser el-Raisi aurait peu de chances d’accéder à la présidence de l’organisation internationale de police criminelle.

Le candidat émirati à la présidence d’Interpol sous le feu des critiques

Le général émirati Ahmed Nasser el-Raisi, visé par plusieurs plaintes pour tortures, est candidat à la présidence d’Interpol. Photo d’archives AFP

Sa voie semblait toute tracée pour prendre la tête de l’institution internationale lors de l’assemblée générale d’Interpol prévue du 23 au 25 novembre à Istanbul. Le major général Ahmed Nasser el-Raisi est inspecteur général du ministère de l’Intérieur avec plus de 40 ans de carrière dans les forces de police communales et nationales. Depuis 2018, il est membre délégué du comité exécutif d’Interpol. Seul hic, les Émirats arabes unis, dont il est le candidat, sont souvent critiqués pour leurs violations des droits humains et leur répression contre les opposants politiques. Faisant partie de l’appareil sécuritaire d’État, le général Raisi est personnellement visé par plusieurs plaintes, notamment en Europe. À l’approche de l’échéance électorale, la campagne contre l’accession du général émirati à la présidence de l’organisation internationale de police criminelle fait du bruit et pourrait bien atteindre son objectif.

Selon le principe de la compétence universelle, des procédures judiciaires ont été lancées en France contre le général émirati pour torture et détention illégale de l’opposant politique Ahmed Mansoor, et de deux citoyens britanniques, Matthew Hedges et Ali Issa Ahmad, désormais relâchés. L’activiste émirati Ahmed Mansoor est détenu depuis mars 2017 dans une geôle émiratie pour « atteinte à la réputation de l’État », dans des conditions qui « violent les normes internationales fondamentales des droits humains », selon Human Rights Watch. Accusé d’espionnage alors qu’il faisait des recherches pour sa thèse, Matthew Hedges avait, quant à lui, été arrêté en mai 2018, maintenu en isolement, torturé et forcé de faire des aveux. Il a été gracié en novembre de la même année après avoir été condamné. Ali Issa Ahmad dit pour sa part avoir été battu et arrêté en janvier 2019 pour avoir porté un maillot de l’équipe de football qatarie, alors que les EAU imposaient un blocus à l’émirat voisin. Il a été relâché au bout de plusieurs semaines, suite à l’intervention de la Grande-Bretagne et après avoir payé une amende. Des plaintes ont été déposées dans d’autres pays européens contre Raisi, ce qui restreint « sa marge de manœuvre et sa liberté de mouvement, qui n’est pas ce que l’on souhaite d’un candidat représentant Interpol », souligne Andreas Krieg, professeur associé au King’s College de Londres. Son élection « représenterait l’abandon d’un Interpol plus libéral au profit d’un Interpol autoritaire dans les domaines du maintien de l’ordre, de l’application de la loi et de la sécurité », prévient-il.

Des voix s’élèvent

Pour appuyer les efforts de la société civile et des organisations des droits de l’homme, certaines voix s’élèvent de l’arène politique. Une lettre a été adressée au président Emmanuel Macron jeudi dernier de la part de 35 députés et sénateurs français pour demander que la France s’oppose à la candidature de l’Émirati, le déclarant « directement responsable des agissements des services de police qui sévissent dans son pays dans la plus grande impunité », et dénonçant son « rôle central dans la détention arbitraire et les abus subis par nombre de militants des droits humains ». Au niveau européen, un texte a été adopté en septembre dernier pour « appeler les membres de l’assemblée générale d’Interpol, en particulier les pays membres de l’Union européenne, à examiner dûment les allégations de violations des droits de l’homme concernant le major général Ahmed Nasser el-Raisi ».

Lire aussi

De plus en plus d’élus s’indignent de la probable arrivée d’un haut responsable émirati à la tête d’Interpol

L’élection du président d’Interpol ainsi que du reste du comité exécutif doit se tenir durant l’assemblée générale qui rassemblera les représentants des 194 pays membres à Istanbul la semaine prochaine – une visite du prince héritier émirati Mohammad ben Zayed en Turquie pour rencontrer le président Erdogan a été planifiée pour le 24 novembre, en plein milieu de cette rencontre. Le général Raisi a reçu « beaucoup de soutiens des EAU qui utilisent leur réseau pour pousser sa candidature, sachant qu’ils siégeront au Conseil de sécurité de l’ONU l’année prochaine », rappelle Andreas Krieg. En contraste avec la tradition d’opacité régnant autour des candidatures à la présidence d’Interpol, Raisi a annoncé la sienne en novembre 2020 et a mené campagne pendant près d’un an, suite au report de l’élection en raison de la pandémie du Covid-19. « Il aurait également fait appel à une compagnie de relations publiques britannique pour soutenir sa candidature », affirme Inès Osman, avocate des droits humains, cofondatrice et directrice de l’organisation MENA Rights. C’est que « les Émirats sont intéressés par Interpol depuis de nombreuses années, ayant notamment créé la Fondation Interpol à Genève qui est utilisée pour transférer des fonds gouvernementaux émiratis à l’organisation », ajoute-t-elle.

Cependant, il est peu probable que les États membres prennent le risque d’élire le général Raisi à la tête de l’institution dont « la réputation avait déjà été considérablement entachée suite à la démission forcée de son ancien président Meng Hongwei », rappelle Inès Osman, faisant référence au premier dirigeant chinois d’Interpol qui avait disparu en septembre 2018 alors qu’il venait de rentrer de France. Il s’est avéré qu’il était en fait détenu pour corruption, charge pour laquelle il a ensuite été condamné en 2020 à 13 ans et demi de prison. Plus récemment, l’organisation internationale a soulevé des inquiétudes après avoir autorisé la Syrie à reprendre ses communications avec les autres pays membres concernant des mandats d’arrêt internationaux et à accéder à ses bases de données, alors que le pays était sous le coup de mesures correctives depuis le début du conflit en 2011. Bachar el-Assad a désormais de nouveau accès au système de notices rouges permettant aux États membres de « demander aux services chargés de l’application de la loi du monde entier de localiser et de procéder à l’arrestation provisoire d’une personne dans l’attente de son extradition, de sa remise ou de toute autre procédure judiciaire », selon Interpol. Malgré des mécanismes de contrôle en place, les organisations de défense des droits de l’homme craignent, en cas de présidence émiratie, « une recrudescence d’abus liés à l’émission de notices rouges émises contre des personnes sur la base de motifs politiques », conclut Inès Osman.

Sa voie semblait toute tracée pour prendre la tête de l’institution internationale lors de l’assemblée générale d’Interpol prévue du 23 au 25 novembre à Istanbul. Le major général Ahmed Nasser el-Raisi est inspecteur général du ministère de l’Intérieur avec plus de 40 ans de carrière dans les forces de police communales et nationales. Depuis 2018, il est membre délégué du...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut