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Société - Médias

« The Daily Star », près de 70 ans d’une histoire tourmentée

La publication vient de fermer ses portes pour la quatrième fois de son histoire... peut-être pas définitivement.

« The Daily Star », près de 70 ans d’une histoire tourmentée

Le premier numéro du « Daily Star » imprimé le 3 juin 1952 à Dar al-Hayat, avec l’éditeur Kamel Mroué (premier à partir de la droite). Photo publiée avec l’autorisation de la Fondation Kamel Mroué

Le 1er novembre, les quelques employés restants du journal de longue date en langue anglaise du Liban, The Daily Star, ont été informés qu’ils avaient été licenciés la veille et que l’institution fermait ses portes.

Avec le Daily Star, le Liban a perdu l’un de ses derniers journaux papier. Le paysage médiatique clairsemé de 2021 contraste fortement avec les 56 quotidiens et hebdomadaires qui étaient en circulation lors du lancement du journal en 1952.

Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il disparaît de la circulation, mais pour beaucoup, cela sonne le glas d’une époque. Certains ont fait le deuil des jours de gloire du quotidien via les médias sociaux. D’autres ont exprimé l’espoir qu’il puisse revoir le jour, comme il l’a déjà fait par le passé. D’autres encore se sont demandé s’il valait la peine de regretter sa disparition.

Comme l’exprime Habib Battah, ancien journaliste et rédacteur en chef de la publication, aujourd’hui professeur de journalisme à l’Université américaine de Beyrouth et directeur du site web Beirut Report, « le Daily Star représentait beaucoup de choses différentes pour toutes sortes de gens. Aucune publication n’existe en vase clos ».

La genèse du quotidien

Le Daily Star a été fondé par l’éditeur Kamel Mroué en tant que publication jumelle en anglais du journal panarabe al-Hayat. À l’époque, il n’était pas rare que les journaux aient une publication annexe. Le journal francophone L’Orient avait la publication arabophone al-Jarida, et son rival Le Jour avait sa publication anglophone The Eastern Times. Le Daily Star lance également en 1956 une édition en français, Beyrouth Matin, qui fusionne avec Le Jour en 1964. Le plus jeune fils de Kamel Mroué, Malek, explique à L’Orient Today que la fusion résultait d’un accord entre son père et l’éditeur d’an-Nahar Ghassan Tuéni, qui stipulait que ce dernier ne toucherait pas à la presse anglophone tant que Kamel ferait de même avec la presse francophone.

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Le premier rédacteur en chef du Daily Star, C.B. Squire, expliquait au New York Times que le but du journal était de présenter les informations à la façon américaine. Son lectorat se composait essentiellement de journalistes étrangers, de la jet-set et, à l’occasion, de services de renseignements dont les agents citaient des articles qu’ils avaient parcourus en prenant leur café du matin, comme le montrent des documents déclassifiés.

C’est grâce à ce public largement branché que les articles étaient repris dans des quotidiens internationaux, tels que le Times de Londres, et souvent cités dans le New York Times et le Chicago Tribune, ainsi que dans les agences de presse Associated Press et Reuters. De plus, des reportages du Daily Star étaient traduits en arabe pour al-Hayat trois fois par mois.

Politiquement, nombreux sont ceux qui ont affirmé que la position éditoriale de Kamel Mroué était « prosaoudienne et anti-Nasser », comme la décrit l’universitaire Caroline Attié. Mais la famille de Kamel Mroué le conteste. Son fils Malek explique à L’Orient Today que son père était « un ami des Saoudiens, mais qu’il était davantage un arabisant ». Il ajoute que dans le contexte politique des années 50 et 60, « beaucoup de journaux étaient pro-Nasser ou avec les mouvements de gauche, ce qui n’était pas le cas de mon père ».

« Montrez-moi un article où mon père était contre Nasser », déclare de son côté Jamil Mroué, fils aîné de Kamel. Il explique que les articles de ce dernier déploraient principalement le militarisme croissant de Nasser et « son adoption d’un agenda socialiste ».

Cependant, la position politique du Daily Star et de Kamel Mroué devait les exposer à des attaques. La première a eu lieu en 1957, lorsqu’une bombe a explosé dans les bureaux du journal secteur Ghalghoul, dans le centre de Beyrouth. Elle a été suivie d’une autre en 1960, lorsqu’un bâton de dynamite a traversé les fenêtres du bureau. Dans les deux cas, personne n’en a revendiqué la responsabilité. Enfin, en décembre 1966, Kamel Mroué est assassiné à l’âge de 51 ans. Le lendemain, les journaux locaux se mettaient en grève en signe de protestation.

L’assassin de Mroué, Adnane Sultani, un coursier de banque de 28 ans, est condamné à mort mais s’échappe pendant la guerre civile de 1975-1990, avant de décéder en 2001 dans un lieu tenu secret. Ce n’est que plus tard qu’on a révélé qu’il travaillait pour les services de renseignements égyptiens.

Après l’assassinat de Kamel Mroué, sa veuve Salma Bissar et leur fils Jamil maintiennent le journal en vie. Mais les attaques se poursuivent, et une autre explosion secoue les bureaux du quotidien quelques mois après la disparition de Kamel, suivie d’un nouvel attentat à la bombe en 1970.

Les années de guerre

Lorsque la guerre civile éclate en 1975, Jamil Mroué, qui n’avait alors que 24 ans, essaye de maintenir la publication à flot, mais il doit faire face à une nouvelle série de défis. De nombreux journalistes et photographes sont attaqués ou tués ; des tirs de francs-tireurs coûtent la vie au rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour, Édouard Saab, alors qu’il tente de franchir la ligne de démarcation séparant l’est et l’ouest de Beyrouth en 1976.

Parce que les bureaux du Daily Star étaient proches du front, se rendre au travail « équivalait à rédiger son testament », se souvient Jamil. Le journal a donc été maintenu avec un personnel réduit, et il était impossible d’imprimer chez un autre imprimeur parce qu’aucun n’avait de typographie anglaise. C’est donc en mai 1976 que The Daily Star disparaît pour la première fois, et al-Hayat lui emboîte le pas deux mois plus tard.

Après une absence de sept ans, le Daily Star refait surface en 1983, à un moment où il semblait que la paix allait s’installer. Grâce à un prêt bancaire, Jamil et Malek Mroué emménagent leurs bureaux à Hamra derrière l’hôtel Commodore. Or, le jour de la réouverture, des combats éclatent, brisant les vitres de l’immeuble : un présage que cette résurrection du Daily Star serait de courte durée.

Des rédacteurs américains sont cependant recrutés parmi le nouveau personnel, notamment Anne Friedman, dont le mari Thomas était à l’époque chef du bureau de Beyrouth du New York Times. Mais cela devait par la suite devenir un handicap, car la détérioration de la situation sécuritaire mettait en danger la vie des reporters étrangers. Malek Mroué se souvient que « beaucoup d’entre eux ont été kidnappés, et nous avons dû les récupérer » auprès de leurs ravisseurs.

La situation sécuritaire rend le maintien de la publication difficile. L’imprimerie est toujours à Ghalghoul à côté du front. Pour s’y rendre, le personnel doit parfois traverser des tunnels creusés dans des maisons abandonnées pour éviter les francs-tireurs. « Vous alliez là-bas à deux heures du matin les feux éteints et vous traversiez le tunnel composé de trois à cinq maisons », se souvient Malek.

De plus, le lectorat commençait à décliner : diplomates, professeurs et ce qui restait de la communauté expatriée fuyaient en masse le pays.

Comme s’en rappelle l’ancien rédacteur en chef Peter Grimesditch dans un entretien au journal The Guardian datant de 1996 : « Je me souviens avoir observé la plupart de nos lecteurs partir en hélicoptère. Il y avait tellement d’enlèvements, c’était idiot de rester. »

En 1985, le Daily Star passe d’une publication quotidienne à hebdomadaire, avant de tirer sa révérence une fois de plus en 1986.

Renaissance

Toutefois, les jalons de la troisième ère du Daily Star sont posés. Peter Grimsditch maintient de bonnes relations avec Jamil Mroué et, après la guerre, retourne à Beyrouth pour aider à rouvrir le journal. L’objectif est de capitaliser sur l’optimisme qui règne après la fin de la guerre civile. Le Daily Star est donc relancé pour la troisième fois le 18 juin 1996, cette fois sous la forme d’un journal grand format de 16 pages, avec une équipe de six journalistes britanniques et un tirage à 4 000 exemplaires.

À ce moment-là, le lectorat du journal n’est plus composé que de lecteurs expatriés, déclare Malek Mroué. Il se constitue désormais de Libanais qui rentrent au bercail ou qui sont nés à l’étranger.

Le journal devient rapidement une publication régionale beaucoup plus vaste travaillant depuis un bureau de deux étages à Gemmayzé avec 40 journalistes. Une publication conjointe avec l’International Herald Tribune en 2001 confère au Daily Star une présence régionale avec un réseau de distribution dans le Golfe.

Jamil Mroué explique : « Suivant le concept adopté, l’International Herald Tribune assurait la section internationale, le Daily Star la section régionale, qui profitait d’accords de coédition avec divers journaux de la région : al-Watan au Koweït, The Peninsula au Qatar, al-Ahram en Égypte... » Les opérations comprennent l’impression simultanée quotidienne dans quatre villes arabes ainsi que la livraison spéciale en voiture de Beyrouth à Damas et Amman.

Pour toutes ces raisons, le Daily Star devient une plaque tournante pour les jeunes professionnels des médias, venus du monde entier. Habib Battah est l’un d’entre eux. « C’était une bonne période pour être journaliste, déclare-t-il. La plupart d’entre eux et les rédacteurs en chef avaient la vingtaine. Le journal ressemblait à un laboratoire informatique universitaire très décontracté. » Il affirme qu’avec le travail que ces journalistes ont alors produit, « ils ont pu mettre en lumière la vie des gens ordinaires ».

Néanmoins, Habib Battah ajoute qu’il y avait des lignes rouges à ne pas franchir. « Nous devions garder de bonnes relations avec les entreprises pour des raisons liées à la publicité, dit-il. Nous avons parfois été refoulés. » Puis il ajoute : « Le Daily Star n’a jamais critiqué le pouvoir tel qu’il le prétend aujourd’hui, mais nous avons quand même fait la lumière sur la beauté et la culture du pays. »

Nouveaux défis, nouvelle propriété

Mais de nouveaux défis apparaissent dans le sillage de l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 et de la guerre de 2006 avec Israël. Malgré la profusion de nouvelles à traiter, le Daily Star connaît une « période de crise », comme le dit Jamil Mroué, les revenus publicitaires ayant plongé en raison de la situation sécuritaire. Le rayonnement régional du journal commence à pâlir car les propriétaires ne peuvent plus continuer à y investir, mais aussi parce que leurs partenaires arabes commencent à créer leurs propres quotidiens en anglais.

Pire encore, un prêt contracté auprès de la Standard Chartered Bank, datant d’au moins 1999, est réclamé au journal en pleine tourmente. Celui-ci ferme ses portes pour la troisième fois et sans préavis le 21 janvier 2009, quand son créancier dépose une plainte pour le déclarer en faillite. Finalement, après deux semaines de fermeture, Jamil Mroué obtient gain de cause.

C’est à ce moment-là qu’il cherche de nouveaux partenaires et, après l’échec de pourparlers avec un éditeur qatari, il aborde le Premier ministre Saad Hariri. Le journal est alors vendu à une société appartenant à la famille Hariri. Un porte-parole de cette dernière a refusé de commenter, priant L’Orient Today d’en référer au rédacteur en chef du Daily Star, Nadim Ladki, qui n’a finalement pas donné suite.

À cette époque, on propose à Malek Mroué d’assumer les fonctions de président afin qu’il ne soit pas nécessaire de changer le nom de la société. « J’y suis resté à titre gracieux, ma présence n’était que symbolique. Je n’ai rien signé. Ils ne m’ont même pas prévenu quand ils ont fermé le journal », précise-t-il. Quant à sa participation à hauteur de 0,007 % des parts, il explique qu’en tant que président, il doit légalement posséder au moins une action de la société.

La nouvelle direction a pris le relais en octobre 2010 et les bureaux du journal ont tôt fait d’être déplacés de Gemmayzé au centre-ville. Cependant, la stabilité offerte par la vente a été de courte durée.

Wassim Mroué, qui y a travaillé en tant que journaliste et rédacteur en chef de 2010 à 2016, se souvient : « Le journal a bien fonctionné de l’automne 2010 jusqu’au printemps ou à l’été 2015, lorsque nous avons commencé à constater des retards dans les versements de salaires. »

Ces problèmes devenaient récurrents. Karim Chehayeb, journaliste au Daily Star en 2018 et maintenant correspondant à Beyrouth pour al-Jazeera English, se souvient : « Après avoir été payé les deux premiers mois, j’ai dû attendre de nombreux mois pour être à nouveau rémunéré. Parfois, on recevait une moitié de salaire au lieu d’un salaire complet, juste de quoi nous permettre de payer le loyer. »

Habib Battah rapporte qu’à son époque, au début des années 2000, il y avait également des problèmes de salaire, les journalistes étrangers gagnant souvent jusqu’à 50 % de plus que le personnel local. Malgré ces tensions, le Daily Star a continué à produire un journalisme de grande qualité car « les rédacteurs étaient passionnés et travaillaient très dur », ajoute Karim Chehayeb.

Comme de nombreux médias libanais, le Daily Star était lié à une personnalité politique : à cette époque, il s’agissait de Saad Hariri. Néanmoins, d’anciens salariés affirment qu’ils étaient largement en mesure de traiter l’information sans censure. « Il y avait des lignes rouges, mais elles étaient très implicites, contrairement à d’autres publications appartenant à Hariri », explique Karim Chehayeb. En dépit de la tendance du journal à diffuser les bonnes nouvelles relatives à l’ancien Premier ministre et « à ne jamais amplifier les accusations portées contre lui », il note que lorsqu’il s’agissait de rapporter les informations, « la publication conservait une politique éditoriale rigoureuse ».

Un nouveau départ possible ?

Fin 2019, alors que le mouvement massif de contestation prenait son élan le 17 octobre, après six mois de salaires impayés et suite au limogeage du rédacteur en chef Benjamin Redd (qui devait devenir plus tard rédacteur en chef de L’Orient Today) après une grève qu’il avait organisée avec un groupe d’employés, le journal a vu une grande partie de son personnel partir. L’année suivante, il a cessé la publication de l’édition imprimée, mais a continué à publier des informations en ligne.

Enfin, à six mois de son 70e anniversaire, le Daily Star vient de fermer ses portes pour la quatrième fois, mais peut-être pas la dernière. Dans un e-mail, l’ancien rédacteur en chef Peter Grimesditch révèle à L’Orient Today qu’il est à la recherche d’investisseurs pour aider à relancer le journal pour la cinquième fois, affirmant que « même dans les circonstances désastreuses actuelles, il doit certainement se trouver un nombre suffisant de richissimes libanais » qui pourraient permettre au journal de survivre, même temporairement en tant qu’hebdomadaire.

Il ajoute qu’il s’agirait probablement d’une publication en ligne car « le coût de production est relativement faible si l’on soustrait les dépenses liées au papier et aux frais d’impression ».

Nora Boustany, ancienne journaliste au Washington Post et professeure de journalisme à l’AUB, trouve la perspective attrayante. « Le Liban a vraiment besoin d’un bon journal en anglais avec des articles et des commentaires profonds, minutieux et réfléchis », déclare-t-elle. Elle ajoute que le lancement d’une nouvelle version du journal serait un défi, mais « si quelqu’un peut intervenir avec un financement substantiel et indépendant, peut-être qu’un jour, le Daily Star − ou sa réplique − pourrait être relancé ».


(Cet article a été originellement publié en anglais par L'Orient Today le 10 novembre 2021)

Le 1er novembre, les quelques employés restants du journal de longue date en langue anglaise du Liban, The Daily Star, ont été informés qu’ils avaient été licenciés la veille et que l’institution fermait ses portes.Avec le Daily Star, le Liban a perdu l’un de ses derniers journaux papier. Le paysage médiatique clairsemé de 2021 contraste fortement avec les 56 quotidiens et...

commentaires (1)

Pour que "le libanais" retrouve sa place dans les pays du gulf ET qu'il procure une "plus value" au sein des entreprises qui pourraient le recruter? ( dans le futur, une fois la crise actuelle terminée). Il faut remettre à niveau la langue Française aussi. Les chaines TV, programmes pour enfants en langue françaises comme à l'époque de Mme Monique Haddad sur le CANAL 9 et par la suite les émissions de C33 des FL. C'est le "plus" que d'autres pays ne peuvent pas assurer. Anglais / FRANCAIS et ARABE !! En réactivant la langue FR, les autres médias de lanque FR et Anglophones pourront survivre AUSSI. Cet article concerne un média anglosaxon mais j'en profite pour rétablir la liaison entre les médias Francophones et Anglophones. Encourager l'un , c'est aussi encourager l'autre: Sortir du cercle empoisonné arabo- arabe imposé (sournoisement) par les milices de tous poils notamment les intégristes où seul l'arabe coranique compte. Les autres langues sont pour les Kouffar, selon ces intégristes.

LE FRANCOPHONE

12 h 48, le 15 novembre 2021

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Commentaires (1)

  • Pour que "le libanais" retrouve sa place dans les pays du gulf ET qu'il procure une "plus value" au sein des entreprises qui pourraient le recruter? ( dans le futur, une fois la crise actuelle terminée). Il faut remettre à niveau la langue Française aussi. Les chaines TV, programmes pour enfants en langue françaises comme à l'époque de Mme Monique Haddad sur le CANAL 9 et par la suite les émissions de C33 des FL. C'est le "plus" que d'autres pays ne peuvent pas assurer. Anglais / FRANCAIS et ARABE !! En réactivant la langue FR, les autres médias de lanque FR et Anglophones pourront survivre AUSSI. Cet article concerne un média anglosaxon mais j'en profite pour rétablir la liaison entre les médias Francophones et Anglophones. Encourager l'un , c'est aussi encourager l'autre: Sortir du cercle empoisonné arabo- arabe imposé (sournoisement) par les milices de tous poils notamment les intégristes où seul l'arabe coranique compte. Les autres langues sont pour les Kouffar, selon ces intégristes.

    LE FRANCOPHONE

    12 h 48, le 15 novembre 2021

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