Le ministre libanais de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a appelé son collègue à l'Information, Georges Cordahi, à démissionner, après les propos tenus par ce dernier sur la guerre au Yémen qui ont provoqué une grave crise diplomatique avec les pays du Golfe, avec à leur tête l'Arabie saoudite. Mais jusque-là, M. Cordahi, soutenu par le Hezbollah, rival régional de Riyad, s'est abstenu de le faire. Dernièrement cependant, il a fait savoir qu'il était prêt à partir mais en échange de "garanties".
Dans un entretien au quotidien koweïtien al-Raï publié samedi, Bassam Maoulaoui s'est efforcé de tenir des propos conciliants avec les pays du Golfe, les autorités libanaises tentant de lancer un dialogue avec eux pour résoudre cette crise, mais sans succès jusque-là, en l'absence d'une démission de Georges Cordahi.
"Il est de notre devoir d'ouvrir des canaux de dialogue pour rassurer les pays du Golfe et garantir les intérêts des Libanais" qui y résident, a-t-il estimé. "Il est de notre devoir, et du droit des pays du Golfe que le Liban ne soit pas source de mal pour eux", a encore affirmé le ministre libanais. "Notre objectif est de sauvegarder les intérêts du Liban et de sa population, tout en préservant la sûreté et la sécurité des sociétés des pays frères du Golfe", a encore souligné le responsable.
La moindre des choses
Interrogé sur la démission de Georges Cordahi qui se fait attendre et que réclament les pays du Golfe, Bassam Maoulaoui a rappelé que le Premier ministre Nagib Mikati a adopté une position claire et publique en appelant le ministre Cordahi à démissionner. "J'ai fait de même en l'appelant à travers les médias à démissionner et j'ai dit que cela était nécessaire. Cette démission est la moindre des choses. Pourquoi ne l'a-t-il pas encore fait ? Cela ne dépend que d'une position et d'une volonté personnelles", a estimé le ministre de l'Intérieur. "Malheureusement, des événements qui ont eu lieu dernièrement empêchent le gouvernement de se réunir, alors qu'il doit prendre position concernant une démission de Georges Cordahi", a rappelé M. Maoulaoui. Il a ajouté "ne pas savoir si des équilibres internes empêchent une démission" du ministre de l'Information et souligné que Nagib Mikati "est celui qui sait le mieux quand mettre cette question sur la table".
"Le gouvernement n'est pas menacé et restera en place car le Liban et les Libanais n'ont pas intérêt à le voir tomber", a encore estimé M. Maoulaoui. Il a toutefois fait savoir que le Premier ministre "n'acceptera pas que des mois passent sans que le cabinet ne soit libéré, car sinon il prendra la position adéquate à ce sujet", en allusion à une possible démission du chef du gouvernement.
Fin octobre, plusieurs pays du Golfe, Arabie saoudite en tête, ont annoncé des mesures de rétorsion à l'égard du Liban, notamment le rappel de leurs ambassadeurs à Beyrouth, et l'expulsion de diplomates libanais, suite à des propos polémiques de Georges Cordahi, dans lesquels il critiquait la guerre au Yémen et l'implication de Riyad dans ce conflit, et exprimait son soutien aux rebelles houthis, soutenus par l'Iran. M. Cordahi avait tenu ces propos avant d'être nommé ministre. L'Arabie a parallèlement cessé toutes ses importations en provenance du Liban, tandis que le Koweït envisage de durcir l'octroi de visas aux Libanais. Le Hezbollah a affiché son soutien à M. Cordahi, se prononçant contre son départ. Depuis, l'affaire prend l'allure d'un bras de fer au sujet du Hezbollah, poids lourd de la politique libanaise, qui est armé et financé par l'Iran chiite, grand rival régional de l'Arabie saoudite sunnite.
Le chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane, a déclaré que "le problème allait bien au-delà des simples commentaires d'un ministre" et dénoncé "l'hégémonie du Hezbollah sur le Liban". Samedi, le ministre saoudien a réfuté les accusations lancées jeudi par le chef du parti chiite Hassan Nasrallah, selon lesquelles Riyad aurait délibérément provoqué la crise. "Il n'y a pas de crise avec le Liban. Il y a une crise au Liban", a souligné le prince saoudien, appelant les responsables libanais à "libérer" le pays de "l'emprise du Hezbollah".
Vendredi, le ministre Cordahi s'était dit prêt à démissionner s'il obtenait les garanties qu'il réclame, sans expliquer lesquelles. Mais il s'agit probablement de la levée des mesures de rétorsion des pays du Golfe contre le Liban depuis le début de la crise, à savoir le durcissement d'octroi de visas, la suspensions des importations libanaises ou encore l'expulsion de diplomates libanais en poste et le rappel d'ambassadeurs de pays du Golfe au Liban. Jusque-là, le ministre Cordahi adoptait une position ferme et persistait à refuser de démissionner, ou même de présenter des excuses à l'Arabie, affirmant n'avoir pas causé de tort à Riyad. Le ministre avait été reçu, le 31 octobre à Bkerké par le patriarche maronite Béchara Raï, qui l'aurait appelé à se récuser. M. Cordahi aurait alors réclamé des garanties pour franchir ce pas.
Jeudi, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah semblait avoir voulu ouvrir une brèche dans cette crise, jouant l'apaisement avec l'Arabie sans toutefois faire de concessions concrètes. S'adressant à l'Arabie saoudite, le dignitaire chiite a déclaré : "Si vous avez un problème avec le ministre Cordahi, limitez cette question à vous deux, au lieu de prendre des mesures qui affectent tout le Liban et les Libanais".
Formé le 10 septembre, le gouvernement de Nagib Mikati ne s'est plus réuni depuis exactement un mois. Le dernier Conseil des ministres avait alors été marqué par de fortes tensions au sujet du sort du juge Tarek Bitar, en charge de l'instruction sur l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui avait tué plus de 200 personnes. Les ministres chiites réclament le départ de M. Bitar, qu'ils accusent de politiser l'enquête et de s'en prendre exclusivement à des responsables affiliés au tandem. Ces tensions se sont aggravées avec les affrontements du 14 octobre à Tayouné, entre des manifestants du Hezbollah et du mouvement Amal, qui réclamaient la récusation du magistrat, et des habitants de quartiers chrétiens, vraisemblablement proches des Forces libanaises (FL). Ces violences ont fait sept morts, et depuis le Hezbollah accuse les FL et leur chef Samir Geagea de vouloir mener le pays vers la guerre civile.
Raï, le Hezbollah et la crise diplomatique
La crise diplomatique avec les pays du Golfe a également été abordée dimanche par le patriarche maronite Béchara Raï, et le vice-président du Conseil exécutif du Hezbollah Ali Daamouch.
Lors de son homélie dominicale, le patriarche a estimé que "faire courir au Libanais le risque d'être expulsés (des pays du Golfe) et de tomber dans le chômage, la pauvreté et l'isolement arabe est une atteinte à la dignité et à la souveraineté, dans une critique adressée au Hezbollah et à son camp qui jugent qu'une démission de M. Cordahi sur demande des pays du Golfe porterait atteinte à la souveraineté et la dignité du Liban. "La dignité dépend des bonnes relations avec les pays du Golfe. Aucun parti n'a le droit d'imposer son avis aux autres Libanais ou de porter atteinte aux relations avec le Golfe, ou même de paralyser le gouvernement et la justice (...)", a poursuivi Mgr Raï.
A l'opposé, le cheikh Ali Daamouch a affirmé, lors d'une cérémonie partisane au Liban-Sud, que le Hezbollah "ne veut pas d'un conflit avec l'Arabie et les pays du Golfe". "Nous tenons à ce que les relations du Liban avec les pays arabes restent stables et solides, mais pas aux dépens de la souveraineté et de la dignité", a-t-il dit.
commentaires (8)
Que Cordahi arrête de dire que ce qu'il avait dit était avant sa nomination. S'il n'était pas au courant de sa nomination, il n'aurait pas fait cette conerie pour plaire à ses maîtres.
Esber
19 h 39, le 15 novembre 2021