«Les innocents ne craignent pas le système judiciaire », a tweeté le président Michel Aoun le 10 novembre dernier, en référence à la campagne menée par le Hezbollah pour mettre fin à l’enquête du juge Tarek Bitar, qui tente depuis des mois de découvrir les responsabilités dans l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth le 4 août 2020. Étant donné son alliance vieille de quinze ans avec le Hezbollah, une telle critique publique de la part du président d la République est sans précédent.
Les commentaires de M. Aoun reflètent une tendance plus large de désenchantement envers le Hezbollah au sein de la classe politique libanaise, alors que le parti a imposé une autorité parallèle dans la gestion de l’État, empêchant les sessions du cabinet jusqu’à ce que le juge Bitar soit démis de ses fonctions. Le Hezbollah a également soutenu le refus du ministre de l’Information Georges Cordahi de démissionner, alors que des propos antérieurs à sa prise de fonction sur la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen ont créé une crise diplomatique avec les États du Golfe, et que sa démission est considérée par la plupart des observateurs comme une condition préalable à la détente.
Tensions
Un jour avant le tweet de Aoun, le leader du PSP Walid Joumblatt a déclaré que sa patience avec la politique du Hezbollah était à bout. Il a critiqué le rôle du parti de Dieu dans le conflit avec Riyad et ses alliés, affirmant qu’il menaçait les moyens de subsistance de centaines de milliers de Libanais vivant et travaillant dans le Golfe. Les chefs politico-confessionnels comme Walid Joumblatt, et dans une certaine mesure les alliés du Hezbollah comme Michel Aoun et le président du Parlement Nabih Berry aimeraient voir le gouvernement du Premier ministre Nagib Mikati rétablir une certaine stabilité économique et négocier une voie à suivre avec le Fonds monétaire international. Cela leur permettrait de contenir le mécontentement de la population avant les élections législatives prévues en mars 2022. Pour M. Joumblatt, qui prépare sa succession par son fils, Teymour, il s’agit d’un sujet hautement sensible.
Et que dire de Nagib Mikati et de son gouvernement, formé en septembre dernier ? Le mandat du Premier ministre a débuté par la décision controversée du Hezbollah d’importer du carburant iranien, ce qui aurait pu entraîner des sanctions américaines. La réponse du parti de Dieu à l’enquête sur l’affaire Bitar et la crise avec les pays du Golfe n’ont fait qu’empirer les choses. L’objectif principal du Hezbollah est désormais de mettre le juge sur la touche et de faire dérailler son enquête. La question est de savoir pourquoi le parti a adopté une position aussi agressive, et s’est placé au centre de la controverse sur l’enquête, alors qu’il aurait pu se cacher derrière ses alliés pour l’affaiblir ? Ceci est d’autant plus surprenant que M. Bitar n’a pas accusé le Hezbollah ou l’un de ses membres d’être impliqués.
L’affaire Cordahi a également suscité la perplexité. En insistant pour que le ministre reste à son poste, le Hezbollah a empêché le gouvernement de contenir le désaccord avec les États du Golfe. Si aucune résolution n’est trouvée, et que l’Arabie saoudite et ses partenaires du Golfe continuent de s’intensifier, il est concevable que Mikati choisisse de démissionner, ce qui plongerait le Liban dans une profonde crise politique et sécuritaire. Pourquoi le Hezbollah risquerait-il son capital politique en provoquant une telle issue à un moment critique pour le pays ?
Incertitude
Depuis les manifestations d’octobre 2019, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est devenu un défenseur du statu quo politique. Après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005, et le retrait des forces syriennes du pays, le Hezbollah a cherché à s’assurer que l’ordre politique ne porterait pas atteinte aux intérêts du parti. Les élections de 2005 et 2009 ont amené des majorités anti-Hezbollah au Parlement, sans toutefois parvenir à réduire le pouvoir du parti. Lors des élections de 2018, le parti chiite a pu inverser la situation, en obtenant une majorité avec ses alliés.
« J’ai le sentiment qu’une erreur historique a été corrigée », avait alors déclaré Élie Ferzli, une figure-clé prosyrienne, reflétant l’état d’esprit de cette nouvelle majorité. Avec un allié à la présidence et une majorité parlementaire, le Hezbollah pensait que cela permettrait de redéfinir les relations du Liban avec Damas grâce à des liens économiques et politiques plus forts. Lorsque ce plan a échoué, le parti a considéré les manifestations de 2019 comme « un coup d’État contre les élections de 2018. » Selon son récit, l’ambassade des États-Unis à Beyrouth et ses alliés politiques ont orchestré les manifestations pour atteindre des objectifs politiques, notamment l’affaiblissement du parti chiite.
Les États-Unis, un certain nombre d’États européens et de nombreux membres de la communauté internationale soutiennent la tenue des prochaines élections à la date prévue. Jusqu’à présent, le Hezbollah ne s’y est pas opposé, même si le parti risque de perdre sa majorité, étant donné que le CPL devrait perdre des sièges dans les circonscriptions à majorité chrétienne. En outre, l’humeur dégagiste qui règne dans une partie du pays, alors que le Liban connaît la pire crise économique de son histoire, pourrait amener de nouvelles figures anti-Hezbollah au Parlement. Cela représente une grande incertitude pour le Hezbollah, surtout après qu’il fut intervenu dans le conflit syrien précisément pour éviter l’émergence d’un environnement régional qui pourrait menacer ses intérêts et ceux de l’Iran.
Toutefois, le report des élections n’est pas encore à l’ordre du jour. Si le Hezbollah ou ses alliés décident de le faire, les États-Unis pourraient imposer des sanctions aux personnes impliquées dans cette décision. Cela pourrait dissuader les blocs parlementaires d’accepter un report, du moins publiquement. C’est pourquoi le Hezbollah a peut-être opté pour une autre stratégie, qui consiste à créer des crises à effet boule de neige, à paralyser le gouvernement, à aggraver la douleur économique et à exacerber la polarisation politique, autant de facteurs qui rendraient les élections presque impossibles.
En effet, les récentes élections en Irak peuvent constituer un avertissement pour le Hezbollah. Là-bas, les alliés de l’Iran ont perdu des sièges, ce que M. Nasrallah ne veut certainement pas voir se reproduire au Liban. Cela pourrait bien pousser le Hezbollah à faire en sorte que le pays remette à plus tard la tenue de son processus démocratique, ou du moins de ce qu’il en reste.
par Mohanad HAGE ALI
Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « Nationalism, Transnationalism, and Political Islam » (Palgrave, 2017).
Pour rien au monde HB ne veut prendre le risque de voir ses alliés vendus écartés du pouvoir. Il se tâte et en fait ne sait pas s’il devrait laisser faire ou saboter ces élections. Tout va dépendre des nouveaux candidats de tout bord. Il attend et agira en conséquence. Les opposants n’ont aucun intérêt à se diviser car c’est le cadeau qu’attend HN pour pouvoir installer ses sbires pour perpétuer le massacre. Ont ils appris quelque chose tous ces leaders de partis qui se disent opposants ou vont ils tomber dans le même piège mainte fois posé et dans lequel ils se sont faits prendre à cause de leur ego démesuré et leur de lâcheté? Il n’y a qu’une union sacrée qui pourra nous sauver, mais qui de tous ces protagonistes est disposé à mettre l’intérêt du pays en priorité en faisant des concessions qui sauveraient notre patrie?
11 h 20, le 14 janvier 2022