Rechercher
Rechercher

Au doigt mouillé

Il y a sous nos pieds quelque chose d’un vieux monde qui bascule. Trop occupés à se chamailler, qui pour davantage de privilèges ou d’autorité, qui pour un peu plus de contrats et de commissions, qui pour les deux avec l’apparent consentement de leurs administrés – ces démons muets–, les gens au pouvoir n’ont jamais pris la peine de négocier le tournant du siècle. Dans notre république d’au-jour-le-jour et du chacun pour soi, pas d’anticipation, pas de plan, pas de budget, zéro réflexion sur les moyens d’améliorer le potentiel et la qualité de vie des gens au sens large, environnement compris, ou la valeur ajoutée d’un pays qui a tout pour lui, à commencer par une irrigation exceptionnelle et un climat idéal de plus en plus menacés. Bien au contraire, ce sont les mêmes, depuis des décennies qui brûlent la terre et les hommes, entretiennent le chaos et assassinent l’avenir. Que savons-nous de ces gens qui se sont emparés de nos destins, qu’ils soient sortis des urnes comme des génies d’une lampe ou qu’ils se soient imposés par les armes et la fraude ? Ils nous donnent l’impression de gouverner au doigt mouillé, selon l’humeur et la météo du jour, à coup de déclarations puériles et revanchardes. Le paysage politique libanais est un feuilleton de série B, un spectacle lassant de répliques boiteuses, écrites par un scénariste inculte, dictées par des souffleurs malveillants à de vulgaires cabotins. Nous sommes un peuple en danger et la double explosion au port de Beyrouth n’en est qu’une preuve parmi d’autres, les coups portés au pouvoir judiciaire achevant d’enterrer les derniers espoirs de voir les crimes punis et les droits protégés.

Ce serait donner trop d’importance aux vipères crachées par cette engeance que de les citer ici ou ailleurs. Elles n’ont que trop alimenté de débats stériles. Mais comment ne pas se souvenir en écoutant, par exemple, des responsables saoudiens citer tour à tour Gramsci et Montesquieu, qu’un chef de la diplomatie de chez nous les a un jour traités de « bédouins » avec une navrante condescendance. Savent-ils seulement dans quel siècle ils vivent, ces malheureux caciques libanais persuadés d’appartenir à une race supérieure (on ne sait pour quelle raison) ? Qu’ont-ils accompli qui leur permette de mépriser ainsi des personnes ou des nations qui n’ont pas le triste privilège d’embrasser leur mouvance? Qu’ont-ils lu, eux-mêmes ? Quel auteur, même enseigné en classe de 6e, sont-ils capables de citer ? De quelle œuvre d’art, quel film, quel haut fait de civilisation sont-ils seulement à même de discuter ? Quel est le contenu des conversations de ces gens qui, à l’évidence, n’ont lu tout au plus qu’un seul livre (ce qui les rendrait d’autant plus à craindre, si l’on en croit St Thomas d’Aquin) ? Quelle réalisation majeure ont-ils apporté à leur pays, quelle contribution au progrès de ce monde, alors que partout ailleurs de jeunes Libanais prêtent leurs bras, leurs talents et leurs connaissances dans tous les domaines ?

Il n’y a qu’à observer le résultat de ce désert mental et intellectuel. Un ministère de la Culture en friche, privé de budget et d’actions depuis le fond des temps, alors que la culture, sur la Terre entière, est considérée comme le moteur du développement et accessoirement l’aimant du tourisme. Un ministère de l’Éducation dont le rôle se limite à annoncer les ouvertures et les fermetures des écoles. Qu’est-ce qui a été réalisé en termes de transition énergétique dans un pays qui a tous les atouts pour y accéder ? Et tout à l’avenant, sans compter, reflet de ces mentalités viles et creuses, la scandaleuse loi de la kafala qui livre tout travailleur étranger aux abus d’un intouchable sponsor. Qu’avons-nous fait de mieux que les pays de la région, dans ce domaine, avant de les regarder de haut ? Même en plein effondrement économique, il suffit d’un peu d’intelligence et de bonne volonté pour retrouver quelque panache. Hélas, livré à la médiocrité, à des tiraillements de bas étage et des politiques de cour de récréation, le Liban n’est pas près de « devenir ce qu’il est ».

À moins de trouver les personnes capables de s’extraire elles-mêmes de cette gadoue pour le propulser ne serait-ce que dans le présent, avant de songer à l’avenir.

Il y a sous nos pieds quelque chose d’un vieux monde qui bascule. Trop occupés à se chamailler, qui pour davantage de privilèges ou d’autorité, qui pour un peu plus de contrats et de commissions, qui pour les deux avec l’apparent consentement de leurs administrés – ces démons muets–, les gens au pouvoir n’ont jamais pris la peine de négocier le tournant du siècle. Dans notre...

commentaires (9)

Les médiocres n’ont pas de miroir

Sidaoui Paul

06 h 28, le 12 novembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Les médiocres n’ont pas de miroir

    Sidaoui Paul

    06 h 28, le 12 novembre 2021

  • A force d'assassinats et d'immigration on se trouve avec une camelote résiduelle et usagée de responsables dirigés par un Fagin télévisé local. Quelle décadence...

    Wlek Sanferlou

    19 h 13, le 11 novembre 2021

  • Excellent et tout à fait vrai.

    Achkar Carlos

    19 h 02, le 11 novembre 2021

  • Le jour de la distribution de l'intelligence, certains ne sont pas venus. En revanche, le jour de la distribution de la connerie et de la corruption, certains, les mêmes, sont passés plusieurs fois. Ô mores, ô tempora

    Joseph ADJADJ

    12 h 34, le 11 novembre 2021

  • Très bonne déscription, habillés pour l'hiver, ce sera leur dernier....

    Christine KHALIL

    09 h 58, le 11 novembre 2021

  • le plus navrant ? c'est que ces personnes la ,ont ete aux memes ecoles et universites de prestiges qui ont pignon sur rue au liban, dont sont issus ""jeunes Libanais prêtent leurs bras, leurs talents et leurs connaissances dans tous les domaines "" comment se fait il qu'ils y ont appris la meme culture & specialites mais dont l'immoralite a prime chez eux ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 31, le 11 novembre 2021

  • Excellent analyse ? Mais malheureusement ils ne savent pas lire nos politicien.

    Hind Faddoul FAUCON

    05 h 29, le 11 novembre 2021

  • Quelle elegante plume tu as!!!

    Chaya Caline

    05 h 15, le 11 novembre 2021

  • Quelle elegance dans ton ecriture!

    Chaya Caline

    05 h 14, le 11 novembre 2021

Retour en haut