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Culture - Cimaises

Suivre Aref el-Rayess au fil de ses voyages, ses pratiques et ses idées

C’est un artiste prolifique, versatile et surtout « habité » que vous invitent à (re)découvrir Andrée Sfeir-Semler et Catherine David à travers une rétrospective de son œuvre présentée à la galerie Sfeir-Semler de Beyrouth. Un préambule à la série d’expositions muséales internationales qu’a prévu de lui consacrer la très influente commissaire d’exposition française à partir de février 2022.

Suivre Aref el-Rayess au fil de ses voyages, ses pratiques et ses idées

La galerie Sfeir-Semler de Beyrouth consacre ses cimaises à une rétrospective quasi muséale des œuvres de Aref el-Rayess, élaborée sous le commissariat de Catherine David. Photo DR

En 1960, Aref el-Rayess est en Italie, où il bénéficie d’une bourse accordée par le Centre culturel italien. Il y passe 4 ans entre Florence et Rome. Tout en expérimentant l’abstraction matiériste, il peint une série de toiles extrêmement politiques sur la guerre d’Algérie. Cette première véritable incursion dans l’art engagé, réalisée en concomitance avec le travail purement informel dans lequel il est plongé alors (nourri des influences de ses contemporains Tàpies, Braque ou Burri), met en lumière l’humanisme profond de l’artiste moderne libanais ainsi que la transversalité de sa pratique.

Présentées côte à côte au sein de l’exposition Aref el-Rayess (1928-2005) qui se tient à la galerie Sfeir-Semler de Beyrouth jusqu’au 15 janvier 2022, les mixed-médias matiéristes et les peintures allégoriques inspirées par la guerre d’indépendance algérienne illustrent la fluidité avec laquelle cet artiste témoin de son temps et de son environnement pouvait aborder, simultanément, des thèmes, des techniques et des styles différents. Pour ne pas dire totalement opposés.


« Al-Halah » (Dread), huile sur toile de Aref el-Rayess réalisée durant la guerre à Beyrouth en 1978 (80 x 110 cm). Photo DR

« Parcours moderne, sans concession »

Une hétérogénéité qui atteste du regard très libre sur l’art et le monde moderne de cet autodidacte, lequel bien que s’étant largement imprégné des divers courants et mouvements artistiques (parfois avant-gardistes) occidentaux de son époque – il avait même suivi les ateliers de Fernand Léger, André Lhôte et de La Grande Chaumière entre autres – a construit une œuvre résolument non assujettie aux diktats de l’Ouest.

Une œuvre multifacette dont « l’ambiguïté du langage » fascine Catherine David depuis 8 ans. Depuis sa découverte, à l’invitation de la fille de Aref el-Rayess, Hala el-Rayess, de la fondation dédiée à l’artiste à Aley. L’ex-directrice adjointe du Centre Georges Pompidou à Paris – qui a également été à la direction artistique de la Documenta de Kassel – est aussitôt conquise par « le parcours moderne, sans concessions, de cet acteur majeur de la scène culturelle libanaise des années 1960 à 1980, dont l’éclipse relative qui a suivi son décès, tout comme son absence durable des radars internationaux tiennent autant à la complexité de l’homme et de l’œuvre qu’à ses conditions spécifiques de formation (entre le Liban, le Sénégal, la France, l’Italie et les États-Unis) », indique-t-elle dans la note d’intention de l’exposition.


« Miracle d’un vœu », une huile sur toile peinte en 1966 à la sortie de coma de l’artiste (99.1x 149.4 cm). Photo DR

« Solidaire des crises de son époque »

Particulièrement interpellée par « l’exigence intérieure » que reflète le travail de « ce sujet inquiet, attentif et solidaire des crises politiques, sociales et culturelles de son époque », ainsi que par son art « original et contrasté », l’influente commissaire française entame aussitôt des recherches dans les archives – encore en cours de classement et d’inventaire – de la fondation Aref el-Rayess. Aidée par la fille de l’artiste ainsi que par l’historienne d’art Sabine Chaaban, Catherine David – qui développe depuis plusieurs années une réflexion sur les « scènes artistiques du monde arabe et plus largement du grand Sud » – explore depuis, sans relâche, l’œuvre multidisciplinaire de ce représentant singulier de l’art moderne libanais. Avec un intérêt soutenu pour les époques anciennes de Aref el-Rayess. « Celles d’avant les abstractions des années 1990, qui ont fait sa notoriété à son retour d’Arabie saoudite, et qui ne figurent d’ailleurs pas dans cette exposition », précise Andrée Sfeir-Semler, qui représente la succession de Aref el-Rayess depuis 2019.

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Un peintre et sculpteur, également poète, écrivain et même scénographe (pour les spectacles des Rahbani à Baalbeck) dont l’ensemble du travail a été nourri de ses préoccupations existentielles, sociales et politiques –

que l’on suppose progressistes, ne serait-ce que du fait de sa proximité avec Kamal Joumblatt. Mais aussi de ses voyages, sa curiosité et sa propension à capter l’air du temps. Sans jamais s’y cantonner.


Des peintures des années 1970 quand el-Rayess peint les vies de ses compatriotes contrariées par la guerre. Photo DR

Une œuvre exempte de monotonie

Insistant sur « la vision politique critique, la force de la pratique picturale exempte de toute monotonie et d’une extrême contemporanéité avec son époque de cet artiste, né en 1928 à Aley, décédé en 2005 à Beyrouth », la galeriste libanaise précise que la rétrospective qui lui est consacrée dans son espace beyrouthin a été entièrement conçue et installée par la commissaire française. « Cette exposition est une sorte de “numéro zéro” d’une monographie qui va se traduire en une publication et une tournée muséale internationale, laquelle sera à chaque fois augmentée et enrichie. Et dont les deux premières escales déjà programmées auront lieu, respectivement, au Musée de Sharjah du 26 février au 26 juin 2022, et au Musée d’art moderne de Valencia (IVAM) en Espagne, en avril 2023 », indique-t-elle par ailleurs.

Des portraits non sectaires

C’est donc un aperçu du travail de Aref el-Rayess depuis ses premières toiles de 1948, jusqu’en 2005, l’année de sa disparition qu’offre la visite de la galerie Sfeir-Semler. À travers une scénographie déroulant, en ordre chronologique, des séquences fondamentales de son parcours.

Certes, « pour des raisons qui tiennent autant à l’espace limité qu’à l’état de certaines pièces nécessitant restauration, quelques ensembles importants manquent dans cette première présentation, où justice n’est pas rendue, entre autres, à son exceptionnel talent graphique », regrette Catherine David qui a réussi, néanmoins à dévoiler, dans cette exposition, plusieurs séries inédites.

À l’instar des portraits d’Africains réalisés au cours du séjour de l’artiste au Sénégal. Et qui remontent à ses débuts prometteurs – lorsque son talent, inné, est découvert par le peintre Georges Cyr et la journaliste Arlette Lévy. Lesquels, avec le soutien du critique d’art Victor Hakim et du directeur de l’Institut français d’archéologie Henri Seyrig, vont lui organiser sa première exposition à Beyrouth en 1948.

Ces portraits – « que peu de personnes connaissaient même dans son entourage proche », signale l’historienne Sabine Chaaban – auront une influence capitale sur sa vision de l’humain. Une vision égalitaire, fraternelle et libérée de toute référence sectaire, perceptible, avec force et sensibilité, dans ses différentes pratiques artistiques ultérieures. Autant dans ses représentations symboliques des rebellions et luttes tiers-mondistes ou afro-américaines, que dans ses peintures (aux influences constructivistes et futuristes) qui portent en écho toute la violence subie par la population libanaise au cours des événements de 1975.

Guerres, bordels et politiciens

Les visiteurs pourront en juger par eux-mêmes. Si les œuvres présentées suivent donc, plus ou moins, le fil des périodes voyageuses de l’artiste (africaine et française dans les années 1950 quand il faisait d’innombrable allers-retours entre le Sénégal et Paris ; italienne au tout début des années 1960, américaines ensuite, puis saoudienne dans les années 1980 avec de magnifiques paysages du désert), ce sont les hommes, leurs luttes, leurs idées, leurs idéaux, mais encore leurs désirs et leurs espoirs contrariés qui ressortent avec constance de l’ensemble de sa pratique artistique.

Ce regard toujours porté vers l’humain transparaît autant dans des scènes de bordels à l’érotisme grinçant – « qui évoquent surtout la prostitution des esprits, en rapport avec les partis politiques libanais », commente Sabine Chaaban – que dans ses autoreprésentations dans des toiles à « l’aura mystique » élaborées aux États-Unis à l’issue de sa sortie d’un long coma accidentel. Un regard qui se manifeste aussi dans la série des collages de figures politiques libanaises qu’il a réalisés entre 1972 et 1992 sur d’immenses panneaux, à travers lesquels il semble consigner ses commentaires d’observateur, tout à la fois inquiet et caustique, de l’impact de leurs agissements sur ses compatriotes… Une série intitulée : « Les dernières élections (d’avant-guerre) jusqu’aux premières élections d’après-guerre » offre de fortes résonances avec l’actualité. Et témoigne de l’art de Aref el-Rayess à saisir le moment politique. À (re)découvrir jusqu’au 15 janvier 2022.

Biographie express

Né en 1928 à Aley, Aref el-Rayess commence à peindre à l’âge de onze ans. En 1948, sa première exposition est organisée à Beyrouth à l’Institut français d’archéologie. De 1948 à 1957, el-Rayess voyage entre le Sénégal et Paris où il étudie à l’Académie des beaux-arts, et se joint aux ateliers libres de Fernand Léger, André Lhôte et La Grande Chaumière, entre autres. En 1957, il retourne au Liban et ouvre un studio et un atelier de tapisseries d’Aubusson avec le Canadien Roger Caron. En 1959, après une exposition au Centre culturel Italien, il reçoit une bourse pour étudier en Italie où il passe quatre années productives entre Florence et Rome ;

et en 1963, le gouvernement libanais lui demande de produire deux sculptures pour représenter le Liban à l’Exposition universelle de New York. El-Rayess passe alors deux ans aux États-Unis et se plonge dans la scène expressionniste. En 1967, il retourne au Liban, marqué par les événements dans le monde arabe. Il devient membre fondateur du département des beaux-arts de l’Université libanaise où il enseigne, et de Dar el-Fan avec Janine Rubeiz. À partir de ce moment, el-Rayess organise, assiste et participe régulièrement à des conférences et des expositions sur la politique et les arts dans le monde arabe. En 1972, il publie un manifeste intitulé Avec qui et contre qui. En 1976, il est invité en Algérie où il réalise une série de dessins illustrant la guerre civile libanaise, publiée sous le titre « Road to Peace » ; et en 1978, il participe à l’Exposition internationale d’art en solidarité avec la Palestine. Dès les années 80, il commence à travailler en Arabie saoudite où il produit environ 13 sculptures monumentales entre Djeddah, Tabouk et Riyadh. Il y reste jusqu’en 1987 et retourne au Liban définitivement en 1992 où il s’éteint en 2005.

« Aref el-Rayess (1928- 2005) », à la galerie Sfeir-Semler ; secteur la Quarantaine, imm. Tannous pour les métaux. Horaires d’ouverture : du lundi au samedi de 10h à 18h.

En 1960, Aref el-Rayess est en Italie, où il bénéficie d’une bourse accordée par le Centre culturel italien. Il y passe 4 ans entre Florence et Rome. Tout en expérimentant l’abstraction matiériste, il peint une série de toiles extrêmement politiques sur la guerre d’Algérie. Cette première véritable incursion dans l’art engagé, réalisée en concomitance avec le travail...

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