« Dans les pays qui se respectent, il n’y a pas de ministère de l’Information ». Telle est la réponse que donne Elsie Moufarrej, coordinatrice au sein du Rassemblement du syndicat alternatif de la presse, à la question de savoir si ce ministère a lieu d’être. Car si le ministre de l’Information est le porte-parole du gouvernement, et que son ministère gère l’organisation des médias publics et privés au Liban, il est souvent perçu d’un mauvais œil. Et la récente crise diplomatique opposant le Liban d’une part, à l’Arabie saoudite et ses alliés dans le Golfe d’autre part, suite aux déclarations polémiques du ministre de l’Information, Georges Cordahi, ont ranimé le débat.
Elsie Moufarrej n’est pas la seule à militer pour l’abrogation de ce ministère. Alors qu’il détenait lui-même le portefeuille entre 2017 et 2019, Melhem Riachi avait proposé un texte de loi visant à remplacer le ministère de l’Information par celui de la « Communication et du Dialogue ». « Le Liban doit se transformer en plateforme pour le dialogue et la résolution des conflits. Que ce soit le conflit syrien, le dialogue interreligieux, ou n’importe quelle autre occasion de construire des ponts. C’est ce que nous pouvons offrir au monde et c’est que le nouveau ministère de la Communication doit pouvoir faire », explique l’ancien ministre à L’Orient-Le Jour.
L’idée d’abolir le ministère avait été reprise par son successeur au sein du troisième gouvernement de Saad Hariri, Jamal Jarrah, puis par le leader sunnite lui-même quand il était Premier ministre. M. Hariri avait alors présenté plusieurs idées visant à calmer la rue quelques jours après le déclenchement du mouvement de contestation du 17 octobre 2019, dont celle d’abolir le ministère de l’Information.
« À l’époque, Saad Hariri présentait la chose sous un angle purement budgétaire. L’idée était de réduire les dépenses publiques en supprimant certaines départements publics », suppute Elsie Moufarrej. En 2020, le ministère avait coûté au Trésor quelque 43 milliards de livres libanaises.
Une tutelle
Mais le principal argument de ceux qui souhaitent rayer le ministère de l’Information de la carte n’est pas budgétaire. L’institution est plutôt perçue comme un organe liberticide exerçant une tutelle sur les médias d’information. Le ministère est en effet responsable de l’Agence nationale de l’information (ANI), mais aussi de Télé Liban et Radio Liban. « Les journalistes dans ces établissements sont sujets à des pressions de la part du ministre, qui les oriente comme bon lui semble. Par exemple, nos déclarations ne sont jamais reprises par l’ANI », témoigne Elsie Moufarrej. Pour les partisans de l’abolition du ministère, il faut créer un organe indépendant de la presse, et octroyer la gestion des médias publics au secteur privé à travers des accords de partenariat.
Sur les médias privés aussi, le ministre de l’Information possède une influence considérable. « Aujourd’hui, le ministre de l’Information peut demander au Conseil des ministres de retirer la licence octroyée à un média en invoquant des prétextes comme le financement illicite », affirme Melhem Riachi. C’est le Conseil national de l’audiovisuel (CNA) qui soumet ses suggestions ou remarques au ministre de l’Information, lequel choisit de les porter au Conseil des ministres. « Aux mains de la mauvaise personne, cette arme peut être tournée contre les journalistes, d’où la nécessité d’abolir aussi le CNA », avance M. Riachi. Le Liban figure à la 107ème place dans le classement sur la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières, qui qualifie la situation du pays au niveau des libertés médiatiques de « problématique ».
L’État « déteste le journalisme »
Toutefois, Ayman Mhanna, directeur du centre SKeyes pour les médias et la liberté culturelle (rattaché à la Fondation Samir Kassir), se veut plus nuancé. « Le problème ne repose pas dans une seule institution ou un seul ministère. Si on abolit le ministère de l’Information, mais que l’approche de la classe politique ne change pas, tout restera comme tel. Prenez la Tunisie par exemple, où le ministère de l’Information a été remplacé par un comité indépendant. Depuis le coup de force du président Kaïs Saïed, la fragilité du comité a été révélée au grand jour », explique-t-il. Outre son caractère liberticide, le ministère de l’Information est accusé d’être une institution anachronique et incompatible avec les médias contemporains. « L’information se répand désormais de façon plus horizontale sur les réseaux sociaux et les sites web, qui peuvent difficilement être encadrés par un ministère », explique Ayman Mhanna.
Pourtant, au Liban, le ministre de l’Information tient toujours, plusieurs années après la proposition de Melhem Riachi. Pour ce dernier, c’est parce que l’État profond au Liban « déteste le journalisme ». « La classe politique veut que les journalistes soient leurs porte-paroles et c’est tout. Pour cela, il est important de maintenir la mainmise sur la presse, tout en lui donnant un air pluraliste », s’insurge l’ancien ministre.
Le ministère de l’Information s’inscrit également dans le cadre de la politique de partage confessionnel des quotes-parts au Liban, un pays où le système transforme le gouvernement en véritable miroir du Parlement. Cette logique impose en effet souvent la création de « portefeuille à la carte », sans véritable importance, pour assurer une représentativité à tous les blocs politiques.
commentaires (16)
Bien sûr que OUI il faut supprimer 2 ou 3 ministères qui ne servent à rien et les autres qui sont occupés par des nuls qui font comme si ces ministères n’existaient pas. En fin de compte il faut dissoudre le gouvernement mais aussi et surtout le parlement puisqu’ils ne servent à strictement rien à part rassembler des incompétents qui ne sont là que pour bloquer le pays. Au moins sans gouvernement on sait que des initiatives peuvent être prises par les opposants ou même former un gouvernement parallèle pour sauver le pays. Ils nous menacent de vide politique? Si on comble le vide par le néant on n’ira pas très loin.
Sissi zayyat
20 h 28, le 09 novembre 2021