Critiques littéraires Roman

Visiter le Liban des années 30

Voici un grand roman qu’il faut lire sans tarder, parce qu’il ravira les amoureux du Liban.

Visiter le Liban des années 30

D.R.

Hélène ou la solitude de Jean Gaulmier, éditions de la Belle Étoile, 2021, 552 p.

Paru en 1986 chez Lattès, il est réédité aujourd’hui par les éditions de la Belle Étoile. Son auteur, Jean Gaulmier (1905-1997), l’a écrit dans les années 30 lors de son séjour en Orient, avant de le laisser dormir dans ses tiroirs.

Arrivé au Liban en 1928 en tant que soldat dans un régiment de tirailleurs sénégalais, Gaulmier est resté en Orient pendant près d’un quart de siècle, à Alep, à Damas, puis à Beyrouth où il a enseigné les lettres à l’Université Saint-Joseph de 45 à 51, non sans avoir auparavant rejoint le général De Gaulle au début des années 40. Ce n’est qu’à l’âge de 81 ans qu’il s’est décidé à publier enfin Hélène ou la solitude, sa merveilleuse histoire tragique d’une jeune femme libanaise désenchantée, peut-être inspirée par des événements de sa vie.

Hélène appartient à la famille Deirani, qui vit à Baabda sous la férule du patriarche, le « vieux » Georges, qui a fait fortune dans le commerce, après moult aventures qui nous font revisiter l’occupation turque au Liban pendant la Première Guerre mondiale. Par malheur pour lui, ses deux fils sont incapables de reprendre le flambeau. Fouad est gentil mais inadapté. Joseph, le cadet, est un noceur. Après avoir épousé une pauvre femme à la suite d’un pari ridicule (et qu’il rendra malheureuse), il devient le père de quatre filles, dont Hélène, pour laquelle il n’éprouve aucun sentiment. Délaissée, maltraitée parfois, la jeune fille se convainc rapidement qu’elle est condamnée au malheur et à la solitude, comme l’est sa mère. « Ainsi, écrit Gaulmier, l’enfant contient en lui déjà tout l’avenir qui sera le sien : comme si la vie était un tissu plié que les jours lentement déploient. »

À la mort de son père, elle se retrouve dans la maison de son oncle Émile qui n’a qu’une envie, qu’elle se marie au plus vite. Parce qu’elle est gentille, sans force, elle accepte de convoler avec un sergent alsacien, Karl Schögel, stationné à Beyrouth dans le cadre du mandat français. Et ce faisant, elle signe son destin déjà mal engagé.

Elle quitte le Liban et suit son mari à Strasbourg où elle vit misérablement, maltraitée à son tour, répétant ainsi à son insu le destin de sa mère. Mais la force du texte c’est de montrer aussi qu’Hélène n’est pas seulement une victime. Il y a en elle une force, une espérance ; elle veut briser sa solitude. Ce qu’elle espère de tout son cœur, c’est repartir vers l’Orient qu’elle se dépeint avec des couleurs enchanteresses, les mêmes dont elle revêtait la France quand elle était encore à Beyrouth.

Karl retourne en Orient, cette fois ce sera dans un bled de Syrie puis à Damas où la vie semble enfin sourire à Hélène, la petite Libanaise toujours soumise et qui tout à coup croit en l’avenir. Elle connaîtra l’amour, la maternité, mais toujours sous la menace de la solitude et de la cruauté de son mari. N’en disons pas plus.

Tout en suivant Hélène dans ses voyages, on apprend beaucoup de choses sur le Liban et la France des années 30. Surtout, on est bercé par une poésie toujours présente, notamment dans les descriptions des paysages de ce beau Liban.

Dans sa préface écrite en 1986, Gaulmier déclare : « Voici que, relisant ce roman si longtemps délaissé, je lui découvre un autre sens, qui rejoint ma tristesse et mes colères de 1934-1939. Alors que depuis dix ans le Liban se débat dans d’interminables horreurs (…) la petite fille de Baabda, vulnérable et tendre, perdue dans le banal réseau de ses misères, se dresse aujourd’hui devant moi, symbole de son pays aliéné, piétiné, abandonné de tous et de partout. »

Trente-cinq ans ont passé depuis ses lignes, mais comment ne pas voir qu’elles ont gardé toute leur actualité ?


Hélène ou la solitude de Jean Gaulmier, éditions de la Belle Étoile, 2021, 552 p.Paru en 1986 chez Lattès, il est réédité aujourd’hui par les éditions de la Belle Étoile. Son auteur, Jean Gaulmier (1905-1997), l’a écrit dans les années 30 lors de son séjour en Orient, avant de le laisser dormir dans ses tiroirs. Arrivé au Liban en 1928 en tant que soldat dans un régiment de...

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