Ceci « n’est pas une crise ». Ce n’est pas seulement par goût pour la provocation que le chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane, a tenu à faire passer ce message ce week-end dans une interview accordée à la chaîne de télévision américaine CNBC. Comment en effet ne pas qualifier de crise l’annonce par l’Arabie saoudite du retrait de son ambassadeur, du renvoi de son homologue libanais en poste dans le royaume et de l’arrêt des importations en provenance du pays du Cèdre ? Si ce n’est pas une crise, c’est que c’est en fait beaucoup plus que cela. Et Riyad tenait à mettre rapidement les points sur les i. « Nous sommes parvenus à la conclusion que traiter avec le Liban et son gouvernement actuel n’est ni productif ni utile, en raison de la domination continue du Hezbollah sur la scène politique », a expliqué Fayçal ben Farhane lors de l’interview. Autrement dit, aux yeux du royaume, le Liban, à moins de changer de trajectoire, n’existe plus.
Les propos du ministre de l’Information, Georges Cordahi, qui a critiqué l’offensive saoudienne au Yémen dans une interview à al-Jazeera, ne sont qu’une goutte d’eau dans cette histoire. Et son éventuelle démission serait loin de régler le problème. « Nous voulons créer une onde de choc au Liban », explique un responsable saoudien sous couvert d’anonymat. C’est le paradoxe de cette approche, qui rappelle la mise en place par l’axe saoudo-émirati du blocus contre le Qatar en 2017. D’une part, l’Arabie se désengage encore plus du terrain libanais, de l’autre, et sans que cela soit nécessairement contradictoire, elle redevient un acteur central du jeu politique local, après son coup de force. « L’Arabie saoudite a décidé d’exploiter le problème Cordahi pour matraquer son message : le Liban doit agir vite et se démarquer du Hezbollah sous peine de ne plus pouvoir compter sur les pays arabes », décrypte un diplomate de la région ayant requis l’anonymat.
L’Arabie saoudite est en retrait de la scène libanaise depuis 2017, après la démission forcée de Saad Hariri depuis Riyad. En 2015 déjà, interrogé par un journaliste sur sa vision du pays du Cèdre, le jeune Mohammad ben Salmane, à l’époque vice-prince héritier, expliquait : « Le rôle du Liban a été artificiellement gonflé, et aucun objectif n’y a été atteint. » Cela résumait la nouvelle politique saoudienne vis-à-vis du Liban, qui ne considère plus le pays comme une priorité justifiant de faire des compromis avec les Iraniens. Avec cette escalade, le royaume consolide cette stratégie, mais impose dans le même temps une nouvelle équation : soit les responsables libanais prennent leurs distances avec le Hezbollah, soit le pays du Cèdre sera coupé de la péninsule Arabique.
« L’Arabie ne veut pas éliminer le Hezbollah »
Comme pour indiquer la voie à suivre, l’ambassadeur saoudien au Liban, Walid Boukhari, s’est rendu chez le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, quelques heures avant de quitter le pays vendredi. Le royaume invite ainsi les autres dirigeants libanais à se tenir aux côtés des FL, son principal allié au Liban, afin de constituer un front anti-Hezbollah. Le fait que cette décision intervienne après les événements de Tayouné, où des combats ont opposé des forces du tandem chiite à des éléments armés appartenant probablement aux Forces libanaises, ne semble pas être un hasard. Le Hezbollah est de nouveau le principal objet de polarisation dans le pays, et le royaume donne l’impression de vouloir en profiter.
« L’Arabie ne veut pas éliminer le Hezbollah de l’équation, mais plutôt que les officiels libanais se dissocient de sa politique étrangère et se conforment aux décisions de la Ligue arabe et aux résolutions internationales », fait savoir un autre responsable saoudien, qui a également requis l’anonymat. Riyad considère aujourd’hui que tout le pays est sous la coupe du Hezbollah, qui impose, selon lui, sa politique aux institutions libanaises. « L’Arabie n’a pas demandé la démission de Cordahi. Mais l’absence de mesures officielles du gouvernement, suite à ses propos, a été perçue comme une preuve supplémentaire que le Hezbollah décide de tout dans ce pays », poursuit le responsable précité.
L’escalade saoudienne intervient paradoxalement à un moment où Riyad et Téhéran sont en pleine négociation dans l’objectif de restaurer leurs liens diplomatiques. « Ce n’est pas la première fois que nous entamons un dialogue avec l’Iran », rappelle le responsable saoudien comme pour minimiser l’importance de celui-ci, avant de confirmer qu’« aucune avancée n’avait pu être constatée pour le moment sur tous les dossiers sensibles », dont le Liban ne fait pour l’instant pas partie. Les officiels saoudiens interrogés par L’Orient-Le Jour affirment que les deux dossiers ne sont pas liés. En résumé : l’Arabie ne veut plus entendre parler du Liban, mais cela ne l’empêche pas de dialoguer avec l’Iran.
« Ils ne nous le pardonneront pas »
Alors qu’il avait cessé de cibler l’Arabie saoudite dans ses discours, sûrement pour donner une chance au dialogue irano-saoudien, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’en est pris directement à Riyad après les affrontements de Tayouné. « C’était le signal que les pourparlers entre Riyad et Téhéran ne se passaient pas bien », décrypte le diplomate arabe cité plus haut. Mais le Hezbollah semble lui aussi faire une distinction entre les dossiers. C’est ce que rapporte une personnalité politique de premier plan qui s’est récemment entretenue avec un haut responsable du parti à ce sujet. « Il m’a affirmé que le Hezbollah avait conscience que même si les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite s’améliorent et que la réconciliation a lieu, Riyad ne changera pas la façon dont il traite avec lui », raconte-t-il à L’Orient-Le Jour. « Nous leur avons porté préjudice plus que l’Iran, que ce soit au niveau militaire, politique ou dans les médias, et ils ne nous le pardonneront pas », aurait aussi ajouté le haut responsable du Hezbollah lors de cette conversation.
Dans sa stratégie, l’Arabie saoudite peut miser sur tous les pays du Golfe à l’exception du Qatar et de Oman. Mais elle aura du mal à recevoir l’appui de l’Égypte et de la Jordanie qui tentent, pour leur part, d’avoir une autre approche pour remettre le Liban dans le giron arabe. Pour Riyad, soit le Liban s’effondre complètement, et sera alors contraint d’accepter ses conditions s’il veut se redresser, soit il modifie dès maintenant sa trajectoire politique, ce qui se traduit concrètement par un recul de l’Iran. « En agissant de la sorte, l’Arabie fait un cadeau à l’Iran. Nous ne pouvons pas combattre le Hezbollah sans un appui extérieur. Et finalement tout ce que veut le Hezbollah, c’est acter le divorce entre le Liban et les pays arabes du Golfe », affirme un homme politique ouvertement hostile à l’Iran.
Imaginons que les cieux s'ouvrent, qu'un rayon en sorte pour illuminer le soupirail de Hassan Nasrallah, qu'une colombe glissant sur ce rayon lui porte un message lui expliquant combien il s'est trompé et que le soir même il batte sa coulpe à la télévision en promettant de désarmer et en annonçant sa demande d'immigration au Danemark. Admettons même que le Hezbollah suive. Que se passera t-il à J+1? La plus belle campagne de déstabilisation avec voitures piégées et compagnie que vous ayez jamais vue. Car, comme dans toute organisation qui se respecte, les patrons contrôlent leurs employés et je vous garantis au moins deux contrôles sur le Hezbollah: le premier c'est l'Iran (Pasdarans ou autre structure) et, surprise surprise, le deuxième c'est la Syrie qui dispose de suffisamment de relais ici pour nous pourrir la vie, Hezbollah ou pas. Anti Hezbollahs de tous les quartiers (et ça me concerne), pensez à autre chose, barrez vous si vous n'en êtes pas capables mais comprenez que ce pays a changé, durablement, et pas pour le mieux
21 h 56, le 02 novembre 2021