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Société - Éclairage

Le « faux pas » du patriarche Raï divise l’opinion chrétienne

Destinée à calmer la rue et à mettre un terme à la paralysie des institutions, la démarche du prélat maronite a fini par échauffer les esprits et susciter une large contestation.

Le « faux pas » du patriarche Raï divise l’opinion chrétienne

Le président du Parlement libanais Nabih Berry recevant le patriarche maronite Béchara Raï à Aïn el-Tiné le 26 octobre 2021. Photo fournie par le bureau de presse de M. Berry

C’est probablement l’une des rares fois où un compromis dit « à la libanaise » suscite une telle levée de boucliers donnant l’effet contraire des objectifs attendus. Le « troc » auquel le patriarche maronite, Béchara Raï, a consenti mardi, pour trouver une issue à la crise provoquée par la convocation du chef des Forces libanaises Sami Geagea devant la justice, sur fond des incidents tragiques de Tayouné, a suscité une pluie de critiques, principalement au sein de la communauté chrétienne.

La formule consistant à trouver de manière concomitante et reliée une solution aussi bien à l’impasse dans laquelle se trouve l’enquête du port, que les partis chiites Amal et le Hezbollah s’affairent à torpiller, et l’investigation relative aux affrontements entre chrétiens et chiites au carrefour de Tayouné-Chiyah-Aïn el-Remmané, ne plaît pas. D’abord aux familles des victimes qui persistent et signent dans leur refus total de voir le dossier arraché des mains du juge d’instruction Tarek Bitar près la Cour de justice, et qui pour eux a fait preuve à ce jour de fermeté et d’intégrité dans cette affaire aux ramifications éminemment politiques.

Elle ne plaît pas non plus à de nombreux chrétiens. Ils y voient une sorte d’abdication devant le tandem chiite qui cherche à farouchement défendre ses proches mis en cause dans l’affaire de l’explosion du port.

Le billet de Gaby NASR

Bas-fonds et bas de plafond

Le compromis concocté dans les coulisses se présente de cette manière : le dossier de la responsabilité des ministres serait confié à la Haute Cour de justice. Ce qui pratiquement signifie l’enterrement du volet politique de l’enquête. Une idée dont la paternité revient au président du Parlement, Nabih Berry, mais que le chef de l’Église maronite a fini par avaliser. En contrepartie, le prélat a proposé que les personnes accusées d’avoir participé aux combats de Tayouné soient livrées à la justice afin de calmer le jeu et de laisser les chefs de partis en dehors de tout cela. Ce qui revient à dire que Samir Geagea devrait être épargné.

Comble de l’ironie, cette initiative prise de manière visiblement unilatérale n’est pas pour plaire au chef des FL, encore moins à sa base qui n’avait vraisemblablement pas besoin du patriarche pour sa défense. Dans les milieux proches du parti chrétien, on dit ne pas comprendre pourquoi le prélat a tendu la perche au tandem chiite alors que les FL étaient gagnants sur toute la ligne.

Officiellement, les FL s’en tiennent à leur position initiale : « Nous sommes opposés à toute tentative consistant à retirer l’enquête des mains de Tarek Bitar. Nous l’avons dit et redit : Les deux enquêtes de Tayouné et du port sont complètement séparées et chacune doit prendre son cours normal à condition qu’il n’y ait aucune instrumentalisation de part et d’autre », confie un cadre du parti.

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Une position qu’a relayée le chef de l’État, Michel Aoun, qui, après avoir avalisé au départ la proposition du prélat maronite sous condition d’en connaître les modalités, a fini par y renoncer ayant deviné son caractère impopulaire et ses répercussions dans la rue. C’est le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui l’a aussitôt exprimé dans un tweet mercredi : « Nous refusons de camoufler la vérité de la plus grande explosion dont le Liban et le monde ont été témoins pour innocenter un criminel. »

Le marché conclu entre Mgr Raï et Nabih Berry peut cependant paraître a priori acceptable aux yeux de tous ceux qui mettent dans la balance la paix civile, le retour à une certaine normalité dont la reprise du travail de l’exécutif, paralysé depuis les incidents de Tayouné qui ont achevé de bloquer la machine.

C’est d’ailleurs cet argument que l’on entend dans les milieux qui prennent la défense du patriarche qui, dit-on, est soucieux d’épargner au pays des catastrophes supplémentaires, dont le chaos et le risque d’une guerre civile.

« Si le patriarche a agi de la sorte, c’est tout simplement pour des considérations sociales, principalement afin que le gouvernement reprenne ses activités et trouve des solutions à une situation des plus critiques », explique une source ecclésiastique. Une justification répercutée timidement toutefois dans la rue.

« Il fait ça pour rendre justice et assurer la paix civile. Il a tout simplement trouvé une solution à la division que suscite le travail du juge Bitar », témoigne Céline, 51 ans, maronite qui vit à Jamhour.

Si l’intention du patriarche est compréhensible à certains égards, elle provoque l’indignation chez de nombreux cadres de partis qui y voit un « faux pas » dangereux qui risque de constituer un précédent. L’argument avancé est le fait qu’une personnalité du rang du chef de l’Église est censée rester au-dessus de la mêlée et se contenter d’exprimer les fondamentaux de la politique et ne pas s’immiscer de cette manière dans les questions judiciaires et conclure des trocs.

« Il faut savoir que l’affaire du port est devenue une question globale portée par l’opinion publique libanaise dans son ensemble, et chrétienne en particulier. Comment le représentant de l’Église peut-il se substituer à l’opinion pour concocter un accord quelconque sous la table ? » s’emporte un conseiller politique qui a requis l’anonymat. Ce qui l’irrite le plus, c’est que ce n’était même pas l’idée du patriarche, mais celle du chef du législatif qui « l’a dupé ». Toutes les informations concordent : les rendez-vous du prélat maronite avec les responsables avaient été pris bien avant que n’éclate le tollé de la convocation du chef des FL.

Même au sein de l’Église maronite, certains évêques confient à voix basse ne pas comprendre pourquoi Béchara Raï a agi de la sorte.

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À Aïn el-Remmané, des chrétiens l’accusent même d’être un « pion ». « Amal et le Hezbollah sont les plus armés dans le pays. Peut-être que la faiblesse du patriarche est directement en lien avec le rapport de forces sur le terrain », constate Félix, un maronite de 41 ans, devant son immeuble criblé de balles situé sur l’ex-ligne de démarcation.

Bien que le président de la Chambre ait pris soin de vêtir ce « troc » d’une couverture constitutionnelle – selon lui, les anciens ministres en cause doivent être jugés par la Haute Cour prévue par la Loi fondamentale et non par Tarek Bitar – il n’en reste pas moins que l’accord conclu avec le patriarche reste, aux yeux de nombreux observateurs, une ingérence dangereuse dans le travail judiciaire et un coup porté à la séparation des pouvoirs. « La justice est le dernier rempart de ce pays. Il ne faut surtout pas que le patriarche en soit le fossoyeur », met en garde le conseiller cité plus haut.

Les premiers concernés, les familles des victimes de l’explosion au port du 4 août 2020 ont d’ailleurs rejeté cette proposition dès son annonce. Dans un communiqué, les parents des 220 victimes et plus de 3 000 blessés ont insisté pour que « toutes les personnes poursuivies sans exception se présentent devant la Cour de justice ». Elles ont dénoncé de « nouveaux compromis qui placent le sang des victimes et des martyrs sur la table des négociations et des marchandages ».

Une position qui répercute d’ailleurs l’avis de nombreux chrétiens qui considèrent comme une « insulte » le fait de placer les deux enquêtes sur un même pied d’égalité. L’ampleur de l’explosion au port, les circonstances de la double déflagration et les responsabilités en jeu ne sont en aucun cas comparables avec les incidents survenus à Tayouné dans le cadre d’une manifestation qui visait d’ailleurs à empêcher que justice soit rendue dans l’affaire du port.

C’est probablement l’une des rares fois où un compromis dit « à la libanaise » suscite une telle levée de boucliers donnant l’effet contraire des objectifs attendus. Le « troc » auquel le patriarche maronite, Béchara Raï, a consenti mardi, pour trouver une issue à la crise provoquée par la convocation du chef des Forces libanaises Sami Geagea devant la...

commentaires (18)

Le patriarche se court-circuite très souvent ou je me trompe ? Parfois, il est percutant et souvent ambigu donc prière monseigneur : Ne soyez plus tiède car cela nuit nos intérêts et avantage les traîtres mafieux.

Wow

12 h 21, le 29 octobre 2021

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Commentaires (18)

  • Le patriarche se court-circuite très souvent ou je me trompe ? Parfois, il est percutant et souvent ambigu donc prière monseigneur : Ne soyez plus tiède car cela nuit nos intérêts et avantage les traîtres mafieux.

    Wow

    12 h 21, le 29 octobre 2021

  • Rai restez chez vous Vous n etes pas un politicien

    Robert Moumdjian

    12 h 02, le 29 octobre 2021

  • Le pacte des Satans

    Bardawil dany

    10 h 53, le 29 octobre 2021

  • Quelle honte… Qui perd ses valeurs face à la mafia.

    Sam

    10 h 46, le 29 octobre 2021

  • Ces Monseigneur / ces Cheikh , sont fatigants . Ils ne se rendent même pas compte qu’APRÈS LA PLUIE ….LE GAZON EST MOUILLE !! LA POURRITURE DES RACINES SE PRODUIT LORSQU’UNE PLANTE EST TROP ARROSÉE. Suffit : PAS DE SORTIES PAS DE VISITES . SILENCE ( Ça enrichi )

    aliosha

    10 h 21, le 29 octobre 2021

  • Ce qui est honteux, er criminiel pour la stabilite du pays, c' est de constater, qu' un appareil de justice parallele, existe, fait de deputes-juges, de miliciens-juges, de religieux-juges, et qui officie de maniere tribale.. C' est ce qu'on appelle la separation des pouvoirs chez nous ! Jusqu' a quand la milice scelerate, va-t-elle tirer sur son credit infini de chantage a la guerre civile ??

    LeRougeEtLeNoir

    10 h 07, le 29 octobre 2021

  • Pourquoi s'est il abaissé a rendre visite a Berri ? Le Patriarche aurait du hausser le ton au delà de ce qu'il avait fait lors de son homélie du Dimanche. C'est le Berri qui aurait du lui rendre visite pour s'excuser et accepter ses conditions. Les FL et les habitants de Ain el Remmaneh sont dans leur bon droit et il n'y a aucune raison de se laisser intimider par des voyous. Regardez ce qui est advenu du pays lorsque les Sunnites ont préférer plier l’échine en 2006. Le Patriarche, comme pour toutes les autres instances religieuses peuvent donner leurs opinions sur tout mais jamais négocier quoi que ce soit sans en avoir pris l'autorisation des parties politiques concernées. Il n'a fait que décevoir, une fois de plus, le peuple Libanais en agissant plutôt comme l'auront fais les Aounistes pour couvrir le Hezbollah . Nous n'avons que faire de c...s molles ! Mgr Audeh serait il le prochain grand patriarche du Liban ?

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 53, le 29 octobre 2021

  • LE PATRIARCHE DEVIENT COMME LES AUTRES CHEFS RELIGIEUX SUNNITE ET CHIITE COM[LICE DE CES TRACTATIONS HONTEUSES CONTRE LE JUGE BITAR CAD LA PARALYSIE DE LA DERNIERE IMAGE DE JUSTICE DANS CE PAYS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 50, le 29 octobre 2021

  • que ces politiques chretiens se contentent donc a faire LE BOULOT requis , celui de voter des lois réformatrices sans plus tarder. deja qu'il y a une dizaine d'interpretations diverses quant a qui doit juger qui , qu'ils laissent donc a la magistrature le soin d'aboutir a une decision .

    Gaby SIOUFI

    09 h 24, le 29 octobre 2021

  • "une question globale portée par l’opinion publique libanaise dans son ensemble, et chrétienne en particulier"" C'est la une grave erreur , cette precision mentionnee en fin de phrase, qui fortifie la position de ceux qui font front contre Bitar -sans oser le declarer ouvertement- FAUT que les partis politiques chretiens n'interviennent pas, qu'ils laissent la parole aux seuls parents des victimes.

    Gaby SIOUFI

    09 h 20, le 29 octobre 2021

  • Enlever le volet politique de l’enquête des mains du juge Bitar c’est un double crime: 1) une atteinte à la loi qui stipule que la Haute Cour ne doit juger que les trahisons nationales des ministres et pas leurs crimes du droit commun 2) une entrave à l’enquête car tout citoyen honnête reconnaît l’indépendance du juge Bitar et la qualité du travail qu’il a déjà accompli, alors que déjà en soi un transfert de dossier risque de retarder l’enquête et de plus l’indépendance de la Haute Cour n’est pas garantie. Et maintenant on nous dit que pour maintenir la paix civile il faut que la justice n’aille pas trop loin dans son travail, ne remonte pas trop haut dans la recherche des responsables du crime du port ? Ceux qui pensent comme cela sont-ils encore chrétiens ? Certes il y a certaines vérités qu’il est mieux de dissimuler afin de préserver la paix civile. Par exemple un scandale de mœurs d’un président de la république qui n’implique que quelques personnes ne devrait jamais être révélé au grand public, justement entre autres pour préserver la paix publique. Mais là ô prétendus chrétiens qui ressemblez plutôt au lâche Pilate, ne voyez-vous pas que s’il est une affaire qui concerne l’ensemble des citoyens libanais c’est bien celle du port de Beyrouth ? Ne voyez-vous pas que dans ce cas justement la préservation de la paix publique exige que la vérité soit révélée au plus vite à tous les citoyens et que chacun prenne son courage à deux mains ?

    Citoyen libanais

    08 h 56, le 29 octobre 2021

  • Retest donc à Bkerke monseigneur et contentez vous de l'homélie du dimanche, les chrétiens sont assez forts et déterminés pour se défendre, y compris contre la branche déviante qui s'est alliée aux ennemis des chrétiens et de tous les vrais libanais.

    Christine KHALIL

    07 h 49, le 29 octobre 2021

  • Le patriarche a voulu éviter le chaos, et les arguments de ses défenseurs sont parfaitement cohérents. Toutefois, suivre cette voie serait céder, une fois de plus, au chantage du Hezbollah, lequel sortirait encore renforcé de l'affaire. Quant à la justice, elle serait loin d'y trouver son compte!

    Yves Prevost

    07 h 36, le 29 octobre 2021

  • Cet arrangement de bas étage qui a une valeur morale plus que douteuse n’honore pas son auteur qui démontre là, manifestement, une absence d’hétique en mettant sur un même pied d’égalité deux affaires aussi dissemblables, une explosion avec des conséquences à ce jours indéterminées et une manifestation sauvage qui se termine par 68 personnes inculpées dont certaines, il est vrai, n’avaient pas fait le déplacement pour rien.. idem en face où ils n’étaient pas partis pour faire un pèlerinage à la Mecque . On n’attend pas moins, maintenant que l’auteur de cet arrangement sorte un communiqué disant que ces propos ont été déformés et qu’il retourne à ses homélies enflammées du dimanche .

    C…

    07 h 11, le 29 octobre 2021

  • "On fait toujours semblant de confondre les juges avec la justice, comme les prêtres avec Dieu. C'est ainsi qu'on habitue les hommes à se défier de la justice et de Dieu." Alphonse Karr

    Sabri

    06 h 34, le 29 octobre 2021

  • Ne vous fiez pas aux apparences. L'objectif n'était pas de rencontrer Aoun et Mikati mais Berri car la tolérance d'un Berri chef de parlement et chef de voyous est révolue. La proposition de Raï est emblématique et n'engage en rien Bitar. Finalement, c'est bien le tandem qui a fait marche arrière suite à cette visite.

    Zovighian Michel

    04 h 21, le 29 octobre 2021

  • UN FAUX PAS OU BIEN QUE DES FAUX PAS. IL DEVAIT SE RETIRER COMPLÈTEMENT DE LA VIE POLITIQUE. IL N'ARRÊTE PAS DE FAIRE DES GAFFES, DES VIRAGES À 180 DEGRÉS EN ZIK ZAK. ALLÉE/RETOUR. C'EST DE L'I.....RANCE.

    Gebran Eid

    01 h 33, le 29 octobre 2021

  • Les religieux ont leur place à la mosquée et à l’église et pas ailleurs!

    PROFIL BAS

    01 h 10, le 29 octobre 2021

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