Il a le look d’un jeune premier. Élégant, le sourire franc, les yeux rieurs, et cette mèche noire rebelle qui s’invite parfois sur le front. Derrière ce physique de gendre idéal, se cache un négociateur aguerri, un homme des missions difficiles, un expert des plus pointus dans la géopolitique des hydrocarbures et de la sécurité nationale américaine, mais aussi un homme d’affaires lobbyiste montré du doigt par les défenseurs d’une énergie propre, qui a roulé sa bosse dans le secteur énergétique privé. Amos Hochstein, 48 ans, conseiller principal américain à la sécurité énergétique mondiale, a quitté Beyrouth mercredi, au terme d’une visite de 24 heures, avec en poche des revendications libanaises en rangs dispersés sur le tracé de la frontière maritime commune avec le voisin israélien, préalable au forage des hydrocarbures offshore. Alors que les négociations entre le Liban et Israël sont suspendues depuis mai dernier, suite à une revendication maritime libanaise supérieure de 1 430 km2 (délimitée par la ligne 29) à celle enregistrée auprès de l’ONU en 2011, la visite libanaise du nouveau négociateur américain dans les pourparlers entre le Liban et Israël présage d’une volonté US de redonner vie au dossier. Mais pas nécessairement dans le sens d’une reprise des négociations à Naqoura, au Liban-Sud, entre les représentants des deux pays.
« Nous devons évaluer si c’est le bon moment pour les deux parties de continuer les négociations maintenant, ou s’il faudrait peut-être une diplomatie de la navette, afin d’évaluer les positions des deux parties… » soulignait M. Hochstein jeudi soir, lors d’une interview télévisée au média al-Arabiya al-Hadath. Le négociateur pourrait donc multiplier les allers-retours entre Beyrouth et Tel-Aviv pour défricher le terrain ou même proposer des solutions.
L’homme de la situation
Connu pour sa proximité avec le président démocrate Joe Biden – il a été son conseiller lors de sa vice-présidence –, l’homme est également très proche d’Israël « dont il détient la nationalité » au point d’avoir « servi dans l’armée israélienne entre 1992 et 1995 », disent les médias israéliens. Avec les dirigeants libanais, il entretient également une relation régulière depuis 2012, date à laquelle il a été chargé du dossier des hydrocarbures en Méditerranée orientale par l’administration Obama. Pour ce faire, il est venu au Liban à plusieurs reprises entre 2012 et 2016. Et sa récente visite libanaise s’est déroulée sans le moindre accroc, malgré les critiques directes véhiculées à son encontre par les médias proches du Hezbollah, al-Akhbar en tête, sur le parti pris d’un médiateur américain détenteur de la nationalité israélienne… « C’est bien lui qui est à l’origine de l’accord-cadre sur base duquel les négociations ont repris en 2020 entre le Liban et Israël », révèle l’universitaire et expert dans le dossier du gaz Charbel Skaff. « Cet accord-cadre a été conjointement finalisé en 2015 par Amos Hochstein et le président du Parlement libanais Nabih Berry. Mais ce n’est qu’après les sanctions contre le bras droit du président de la Chambre, l’ancien ministre des Finances Ali Hassan Khalil, que l’accord-cadre a été ressorti et adopté en 2020 », assure le chercheur. Une analyse réfutée dans les milieux proches du président Berry, où l’on rappelle qu’à l’époque, « l’accord était à portée de main, quasiment finalisé, lorsque l’élection américaine a tout torpillé » (Donald Trump a été élu président le 8 novembre 2016, NDLR).
Dans ces milieux, on est aujourd’hui convaincu qu’Amos Hochstein est « l’homme de la situation ». « C’est bien la personne adéquate pour la mission, note un responsable qui a requis l’anonymat. Et puis avec les prérogatives dont il dispose, quasiment celles d’un ministre d’État à l’Énergie, il y a de grandes chances que l’on aboutisse à des solutions. » Les experts dans les dossiers énergétiques tiennent le même langage, vu les responsabilités élevées de l’envoyé US. « L’administration Biden a chargé du dossier le négociateur en chef, celui qui détient le plus haut rang, et non pas un simple diplomate, signe que le président américain est déterminé à régler l’affaire », analyse le chercheur en politique énergétique Marc Ayoub.
L’écoute des différents sons de cloche
Lors de sa dernière visite de 24 heures qu’il a qualifiée de « productive », l’émissaire américain a été reçu par les trois pôles du pouvoir, le chef de l’État Michel Aoun, le Premier ministre Nagib Mikati et le président du Parlement Nabih Berry, mais aussi par le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, et par le ministre des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib. Il a rencontré de plus, selon un tweet du département d’État américain pour les Affaires du Proche-Orient, le ministre de l’Énergie, Walid Fayad, ainsi que le négociateur libanais en chef, le général Bassam Yassine, lequel « a rappelé à son interlocuteur la justesse de la revendication maximaliste libanaise, délimitée par la ligne 29 », rapporte un expert proche du dossier qui a requis l’anonymat. Sauf que le général Yassine a atteint l’âge de la retraite le 7 octobre et sa mission n’a pas été renouvelée. Une manière pour le président Aoun qui l’avait chargé de présider les négociations de lâcher, après l’avoir soutenu, celui qui était à l’origine de la surenchère libanaise. Car, rappelons-le, pour être promulgué, le projet de révision par le Liban de sa frontière maritime méridionale n’attendait que la signature du chef de l’État en l’absence d’un gouvernement. Depuis la formation du cabinet ministériel, seule une décision du Conseil des ministres réuni est nécessaire pour entériner le projet. Mais il est de notoriété publique qu’elle devait faire l’objet d’un consensus entre le chef de l’État et le Premier ministre. Chose qui n’est visiblement pas d’actualité. C’est dans ce cadre que « les différentes parties ont évoqué les solutions durables à la crise libanaise de l’énergie, à la sécurité énergétique et à la question de la démarcation de la frontières maritime », précise le tweet du département d’État.
Autre atout majeur d’Amos Hochstein, sa connaissance minutieuse du dossier libano-israélien et de ses ramifications à l’échelle internationale, en cette période de crise énergétique mondiale, de demande croissante liée à la reprise post-Covid et de hausse drastique des prix. « Hochstein est surtout l’initiateur en 2012 du concept d’“unitisation”, explique Charbel Skaff, autrement dit de la valorisation d’un même champ pétrolifère et du partage équitable de ses ressources entre les pays concernés. » Une solution qui permettrait au Liban et à Israël d’exploiter leurs hydrocarbures « sans pour autant forcer la main au pays du Cèdre qui refuse toute normalisation avec son voisin hébreu », car les deux pays ennemis n’auraient pas nécessairement besoin de s’entendre sur le tracé de leur frontière maritime commune. « Sauf que pour l’instant, les modes de partage de ces ressources ne sont pas claires », note-t-il. Et cette hypothèse a été écartée par le principal concerné lors de sa récente intervention télévisée.
Karish contre Qana ?
Il est clair que la prise en main du dossier par Amos Hochstein change la donne. « L’approche technique pourrait fort bien être abandonnée au profit d’une approche politique », laisse entendre Marc Ayoub. L’émissaire américain est d’ailleurs connu pour « croire ferme au pétrole comme outil de diplomatie », comme le décrit le média en ligne Politico. Et dans une critique à peine voilée, il précise que l’usage de cet outil se fait « en particulier lorsque les États-Unis gagnent à la fois du carburant et une influence étrangère ». Le diplomate américain a ainsi été épinglé « par un coordinateur humanitaire de l’ONU, H.C. von Sponeck, dans un mémoire en 2005, pour sa longue histoire de soutien à des régimes de sanctions dévastateurs et à des guerres », rapporte encore Politico.
Israël n’a pas l’intention d’abandonner le champ gazier Karish dont il a déjà confié l’exploitation à la société Energean. Dans ce cadre, aucune chance pour les nouvelles revendications libanaises d’aboutir, vu qu’elles empiètent sur ce champ. Mais un nouveau rebondissement n’est pas à écarter, car une nouvelle proposition aurait été présentée par la partie libanaise au responsable US. « Les négociateurs libanais pourraient accepter de céder le champ Karish à Israël contre l’attribution du champ Qana (plus au nord dans les eaux territoriales libanaises, mais qui s’étend jusqu’au sud de la ligne 23, NDLR) », révèle la même source précitée, sans en dire plus. C’est dans cet état des lieux que retentissent les propos télévisés d’Amos Hochstein : « Je veux voir le Liban devenir un producteur, obtenir des milliards et des milliards de dollars d’investissements de sociétés étrangères au Liban, créer des emplois, des opportunités, une stabilité économique. » D’où la nécessité selon lui pour le Liban de « revenir à un cadre de négociations » et « d’identifier un accord global durable qui ne risque pas d’être remis en cause chaque fois qu’un gisement de gaz est découvert ».
Un israelien ! On sait dès lors à qui profitent ces négociations ! Quel culot ces americains de malheur ! Rien pour le Liban !
13 h 50, le 11 février 2022