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Culture - Documentaire

La vie, pas si secrète, des habitants de Roumieh

Tania Khalaf vient de partager son film « al-Dayaa » (« Le Village » ou « The Village ») sur les réseaux sociaux. Un documentaire comme une leçon de vie et de vivre-ensemble, salutaire par ces temps si durs.

La vie, pas si secrète, des habitants de Roumieh

Assises en demi-cercle face à la caméra de Tania Khalaf, les femmes de Roumieh égrènent leurs souvenirs. . Photo DR

Elle n’est ni donneuse de leçons ni faiseuse de morale. Son documentaire al-Dayaa (« Le Village »), disponible en streaming sur le site https://www.thevillagedocumentary.com/ ainsi que sur YouTube, est simplement un beau témoignage, touchant, du village de Roumieh, et une célébration de la vie des octogénaires qui y ont vécu à travers plusieurs époques. C’est que ce village situé dans le Metn a son caractère propre. Il s’est toujours enorgueilli de la solidarité de ses habitants, de leur union devant l’adversité, qu’elle soit sociale ou économique.

Tania Khalaf n’a pas fait d’études de cinéma et ne prétend pas s’être consacrée à ce métier. Pour réaliser son premier documentaire, elle a toutefois dû participer à quelques ateliers de travail pour en comprendre les rouages. « Je suis autant universelle que solitaire, autant attachée à la communauté que détachée de la nationalité », avoue celle qui travaille dans un business familial qui la mène vers plusieurs directions dans le monde. Au sectarisme derrière lequel tout le monde se dissimule en criant à l’identité sociale, volontairement ou involontairement, elle oppose une liberté de l’être humain qui fait accepter l’autre et se réconcilier avec lui. « Je suis née au Nigeria de parents aventuriers, dans un buisson au milieu de nulle part, dit-elle en riant. J’ai grandi là-bas alors qu’il y avait la guerre au Liban. J’ai donc eu une enfance très africaine dans la nature et au milieu d’animaux et de bêtes ainsi que dans un environnement rural et tribal. » À l’instar de nombreuses familles libanaises expatriées, celle de Tania Khalaf revenait passer l’été au bercail, à Roumieh. « Ce village qui évoque le nom de la célèbre prison est celui de ma mère, alors que mon père est originaire de Khyam. » Un tel hasard ne s’invente pas. « Cela m’amusait donc de dire que je suis issue des deux grands centres d’incarcération du Liban », ajoute-elle mi-figue, mi-raisin.


Jeddo Mike, personnage emblématique du village de Roumieh. Photo DR

Un cadeau précieux

Pour Tania Khalaf, Roumieh représente surtout des souvenirs de liberté et de tranquillité, où les enfants sillonnent les sentiers étroits du village. « Une vie sauvage sans routine, un milieu qui nous appartenait. Car Roumieh a une personnalité distincte ;

nous nous sentions à la fois libres mais en sécurité sous le regard bienveillant des villageois. C’était une enfance heureuse. »

Pour remercier le village qui lui a offert ce don si précieux, Tania Khalaf concocte un film. « C’était il y a quatre ans, j’ai ressenti le besoin de rendre hommage à ces “ancêtres” qui nous ont tant donné, déclare-t-elle. Cette génération, qui a traversé les affres de la Seconde Guerre mondiale, de la famine et de la pauvreté, est le cœur battant et l’âme de ce village. Les générations qui suivirent ont toujours pris pour acquis ce trésor qui était pourtant à la fois visible mais intangible. » Et de poursuivre : « Ce que cette génération a pu créer pour nous et continue de le faire, c’est cet espace d’appartenance et de communautarisme. Ces habitants ne l’ont pas fait activement en chahutant et tonitruant, mais puissamment et subtilement en personnifiant le rythme du village avant la révolution technologique. Ils ont pourtant, eux aussi, participé à cette révolution de modernité. Ils recèlent donc en eux les deux mondes : l’ancien et le nouveau. » Tania Khalaf leur rend hommage dans leur rôle actif et dans leur manière d’avoir accompagné la modernité. « Imaginez-vous qu’ils ont vécu à une époque où ils n’avaient pas de voitures, pas de télévision ou d’électricité, ni même d’argent, dit-elle. Pouvez-vous le croire ? Contrairement à nous qui côtoyons l’âge de la vitesse et qui vivons un peu par procuration, ils ont vécu pleinement leur présent et nous l’offrent dans ce film qui leur a permis d’extérioriser leurs sentiments. La communauté qu’ils revendiquent n’est pas coercitive. Elle offre un sentiment d’appartenance et d’union car elle donne des ailes et une liberté totale », estime la réalisatrice.


Tania Khalaf. . Photo DR

Des racines qui donnent des ailes

Le sentiment communautaire dont parle Tania Khalaf n’est pas seulement un bout de papier administratif mais celui d’appartenir à un réseau où chacun a sa place et sait exactement où il se trouve. S’il fallait tirer une leçon de ce film, ce serait bien celle de la vie dans un environnement local et d’entrevoir l’avenir ensemble. Riches ou pauvres, chanceux ou malchanceux, les habitants de Roumieh vont se solidariser pour survivre. Les enfants, témoins silencieux, apprennent comment tisser les liens avec la terre et comment s’entraider et avancer en tant que communauté.

« Dans mon film, je ne donne pas de leçons, insiste Khalaf. Je ne me le permettrais pas. Je suis un être libre. Pour moi, le sentiment communautaire renforce l’appartenance au Liban. Cela ne veut pas dire que je suis contre l’exil (surtout quand on y est obligé), mais je pense qu’on peut prendre avec nous ce trésor des ancêtres ainsi que nos racines et continuer à s’investir dans la communauté. »

Dans al-Dayaa, on ne peut parler d’un synopsis préétabli, Tania Khalaf a laissé rouler sa caméra tandis que les habitants de Roumieh se réunissaient tous les jours pour parler de sujets divers. Toujours avec un sourire aux lèvres. Un sujet menait vers un autre et le dialogue s’instaurait. « J’ai enregistré plus de 80 heures de rushes et à part un recours à des experts pour un nettoyage du montage, je l’ai aussi fait moi-même. » Tous ces rushes sont aujourd’hui archivés avec les photos des rituels de Roumieh. « Un jour, ils serviront à une sorte de musée vivant pour le village, signale Khalaf. Tout le but du film est de faire un cadeau à ces gens, qu’ils soient encore vivants ou non (à signaler que la plupart sont décédés depuis), et pour susciter aussi un intérêt chez les jeunes générations. »

Au pic de la crise sanitaire et dans les pires heures du Liban, plus de 400 villageois se sont rassemblés le 18 août dernier sur la place du village pour visionner sur grand écran ce documentaire. « C’était trop beau, se souvient la réalisatrice. Un moment où toutes les générations se sont réconciliées avec le village, avec le passé. Grâce à ces ancêtres, nous avons célébré les choses simples et l’essentiel. Voir jeddo Mike (le personnage principal du film) fouler encore une fois (à l’écran) les sentiers du village, alors qu’il était décédé, a créé un momentum indélébile. » « J’ai joué mon rôle, continue Tania Khalaf. Aux nouvelles générations de le perpétuer. Le reste est à présent entre leurs mains. »

Elle n’est ni donneuse de leçons ni faiseuse de morale. Son documentaire al-Dayaa (« Le Village »), disponible en streaming sur le site https://www.thevillagedocumentary.com/ ainsi que sur YouTube, est simplement un beau témoignage, touchant, du village de Roumieh, et une célébration de la vie des octogénaires qui y ont vécu à travers plusieurs époques. C’est que ce...

commentaires (1)

Bravo! Nous avons besoin de mieux connaître ces histoires locales car, ensemble, elles sont l'Histoire du Liban dans sa diversité.

otayek rene

12 h 37, le 21 octobre 2021

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Commentaires (1)

  • Bravo! Nous avons besoin de mieux connaître ces histoires locales car, ensemble, elles sont l'Histoire du Liban dans sa diversité.

    otayek rene

    12 h 37, le 21 octobre 2021

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