À peine un mois après sa naissance, le gouvernement de Nagib Mikati a essuyé son premier, et sérieux, camouflet. Car l’ultimatum lancé en début de semaine par le tandem Hezbollah-Amal est on ne peut plus clair : le déboulonnement de Tarek Bitar, le juge chargé de l’enquête sur le drame du 4 août 2020, ou la démission des ministres chiites. Après l’étalage de force pour lequel ont opté les deux alliés chiites jeudi à Beyrouth, de sérieuses interrogations entourent aujourd’hui la capacité du cabinet à survivre et poursuivre sa mission de sauvetage.
La séquence commence lundi soir en fait, lorsque le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, se livre à une violente diatribe contre le juge Bitar, qui mène une enquête dans le cadre de laquelle plusieurs figures alliées du parti chiite, des faucons d’Amal et des Marada de Sleimane Frangié, sont poursuivies. Dans son discours, le leader chiite accuse alors ouvertement le magistrat de « faire du ciblage politique », allant même jusqu’à le soupçonner « de ne pas vouloir révéler la vérité » et appelant à son remplacement.
Mais c’est l’intervention incendiaire, le lendemain, du ministre de la Culture, Mohammad Mortada (Amal), en Conseil des ministres qui pousse vraiment le cabinet Mikati au bord de l’implosion. Prenant la parole juste après l’allocution du président de la République, Michel Aoun, le ministre de la Culture se livre, au nom de ses collègues chiites, à un long exposé juridico-politique concernant le cours de l’enquête menée par Tarek Bitar contre qui il tire à boulets rouges, appelant le gouvernement à prendre position (comprendre à remplacer M. Bitar) et brandissant la menace d’une démission des ministres chiites. Ces propos, il les tient quelques heures après que le juge Bitar eut émis un mandat d’arrêt contre Ali Hassan Khalil, bras droit du président de la Chambre, Nabih Berry. C’est donc pour éviter une implosion du cabinet que le débat est suspendu, la séance levée et reportée au lendemain. Sauf que les contacts politiques lancés pour régler cette crise n’aboutissent pas. Les réunions gouvernementales sont, dès lors, ajournées sine die.
Le tandem chiite décide alors de passer à la vitesse supérieure, en mobilisant sa rue contre le juge d’instruction. Ce qui avait été présenté comme « une manifestation pacifique » prévue jeudi dans la matinée devant le Palais de justice à Beyrouth, dégénère toutefois rapidement en affrontements armés entre des miliciens du binôme chiite et d’autres éléments armés, notamment dans le secteur de Tayouné.
Les deux formations chiites accusent les Forces libanaises d’avoir déployé des francs-tireurs sur les toits des immeubles environnants et d’avoir visé leurs partisans qui s’approchaient des quartiers chrétiens jouxtant le secteur. La formation de Samir Geagea dément et réclame une enquête officielle, accusant le Hezbollah d’avoir « envahi » les quartiers chrétiens.
Le bilan des ces violences, qui ont ravivé le spectre de la guerre civile, est lourd : au moins sept morts et une trentaine de blessés.
Outre la guerre civile, les scènes de violence de jeudi ont rappelé aux Libanais la funeste journée du 7 mai 2008, lorsque des éléments armés du parti de Nasrallah avaient envahi les quartiers à majorité sunnite de la capitale ainsi que la Montagne après une décision du gouvernement de Fouad Siniora de démettre de ses fonctions Wafic Choucair, alors responsable de la sécurité de l’AIB (proche du parti chiite), à la suite d’une faille sécuritaire à l’aéroport révélée par le leader druze Walid Joumblatt.
À la recherche d’un compromis
Sans aller jusqu’à faire ce parallélisme, Kassem Kassir, analyste politique réputé pour être proche des milieux du Hezbollah, estime toutefois que « l’après jeudi ne sera pas comme l’avant ». « Après les accrochages de Tayouné, le gouvernement Mikati ne pourra plus se réunir comme si de rien n’était, et le juge Bitar ne pourra plus poursuivre son enquête de la même manière », explique-t-il à L’Orient-Le Jour.
C’est donc cette nouvelle équation qui s’impose aujourd’hui, mettant le Premier ministre Mikati devant un véritable casse-tête : concilier les demandes et intérêts des parrains de son équipe et les exigences liées à son mandat de chef du gouvernement. Attendu au tournant sur les grands dossiers tels que les réformes économiques et l’enquête sur la catastrophe du port de Beyrouth, Nagib Mikati ne peut pas céder au forcing visant à dessaisir Tarek Bitar de l’enquête. Il ne peut pas non plus jeter l’éponge, alors que son équipe est sous surveillance internationale, notamment de la part de la France. « Limoger le juge Bitar n’est pas chose facile. C’est pourquoi, des contacts seraient actuellement en cours à la recherche d’une sortie de crise qui permettrait à toutes les composantes du gouvernement de sauver la face », analyse Kassem Kassir. Notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid, indique dans ce cadre que des contacts sont menés en quête d’un compromis à même de redynamiser le Conseil des ministres dans les plus brefs délais, d’une part, et de préserver le prestige du pouvoir judiciaire, de l’autre. Impliqué dans ces efforts, le chef de l’État, Michel Aoun – qui avait assuré, dans un discours adressé à la nation jeudi soir, que le gouvernement reprendra ses réunions rapidement –, œuvre pour une solution axée sur le principe de séparation des pouvoirs et celui de la spécialité. Il prône donc une solution dont serait chargé le Conseil supérieur de la magistrature, surtout après la nomination mardi de nouveaux membres de cette instance, ajoute Hoda Chédid. Ainsi, si le juge Bitar est soupçonné d’infraction aux lois en vigueur, il pourrait être interrogé par l’inspection judiciaire, dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours. Parallèlement, des efforts sont déployés pour que le tandem Amal-Hezbollah modifie sa position, dans le sens d’un dénouement heureux.
Mikati s’accroche
En attendant l’issue de ces contacts, Nagib Mikati semble conscient du sérieux coup que son équipe a subi. Dans une interview accordée jeudi soir, soit quelques heures après les affrontements de Tayouné, à notre confrère an-Nahar, il s’est – très subtilement – prononcé contre l’interférence du pouvoir politique dans l’action de la justice. Comprendre que le Premier ministre est contre le dessaisissement de Tarek Bitar. M. Mikati s’est en outre posé la question de savoir si ces accrochages avaient pour but de faire tomber son équipe. Avançant sa propre réponse, il a déclaré que son gouvernement est maintenu et continuera à œuvrer pour sortir le pays de la crise actuelle. Un peu plus tard, le chef de l’État s’est invité dans la partie. Dans son discours adressé à la nation, il a souligné que les différends devraient être réglés au sein des institutions, critiquant l’usage des armes dans la rue. Des propos qui en disent long sur l’état des rapports entre le président Aoun et son allié de longue date, le Hezbollah, d’une part, et le mouvement Amal, avec qui il est à couteaux tirés depuis plusieurs mois, d’une autre.
La survie précaire du gouvernement semble conditionnée au compromis que les parties concernées n’ont pas encore trouvé. « Nagib Mikati ne rendra pas son tablier facilement et n’approuvera pas un limogeage de Tarek Bitar », estime un observateur de la scène politique libanaise qui a requis l’anonymat. Selon lui, la véritable question qui devrait être posée est la suivante : quelle sera la prochaine étape pour le Hezbollah ? Ira-t-il jusqu’à faire tomber le cabinet et torpiller par la même occasion les prochaines législatives, surtout après la défaite du camp pro-iranien lors des élections irakiennes du 10 octobre ? L’OLJ a tenté, en vain, de contacter des responsables de la formation de Hassan Nasrallah pour obtenir des éléments de réponse. Une source ministérielle proche du duo Amal-Hezbollah assure toutefois à L’OLJ que les ministres chiites ne claqueront pas la porte du gouvernement, « parce qu’ils ne fuiront pas leurs responsabilités politiques ». « Mais le pouvoir exécutif, notamment le chef de l’État et le Premier ministre, doivent être conscients qu’il y a un plan visant à mener le pays vers la discorde (confessionnelle) et que certains Libanais sont en train de l’exécuter », prévient ce ministre sous couvert d’anonymat, dans une critique à peine voilée adressée à Tarek Bitar.
commentaires (5)
La discorde confessionnelle est mené de bout en bout par les leaders chi’ites traîtres qui l’alimentent par des apparitions hebdomadaires en scandant des menaces et intimidations envers les libanais et en défilant dans NOS rues armés lourdement en cagoules et en assassinant nos gens de tout bords au fil des trente dernières années, sans relâche. Nulle part au monde, cela existe à part en Afghanistan. Cela doit cesser hier avant demain !
Wow
18 h 06, le 16 octobre 2021