Le chef de l'Etat libanais, Michel Aoun, a dénoncé les combats meurtriers qui ont eu lieu jeudi à Tayyouné, dans le sud de Beyrouth, refusant toute tentative de "prendre le pays en otage de ses propres intérêts ou comptes", dans une critique voilée au tandem chiite Amal-Hezbollah qui a appelé à la mobilisation dans la rue contre le juge Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur la double explosion du port de Beyrouth. Dans un bref discours en réaction aux violences, le président, pourtant allié au Hezbollah, a jugé "inacceptable de revenir au langage des armes car nous avons tous convenu de tourner cette page sombre de notre histoire".
Au moins six personnes ont été tuées et une trentaine blessées par balles lors d'affrontements au cœur de Beyrouth, en marge d'un rassemblement de centaines de partisans du Hezbollah et du mouvement Amal du président du Parlement Nabih Berry devant le palais de Justice de la capitale pour protester contre le juge Tarek Bitar. Le tandem Hezbollah-Amal a mis en cause les Forces libanaises (FL), le parti chrétien de Samir Geagea qui avait appelé mercredi les Libanais à ne pas céder aux "intimidations". Dans un communiqué, le Hezbollah et Amal ont affirmé que les FL avaient placé des tireurs sur les toits de plusieurs immeubles d'où ils ont tiré sur le cortège qui passait en contrebas pour se rendre devant le palais de Justice. Les FL ont rejeté ces accusations, condamné les violences et ont fait porter, dans un communiqué, au Hezbollah l'entière responsabilité en raison de ses "incitations" contre le juge Tarek Bitar.
"Nous ne permettrons à personne de prendre le pays en otage de ses propres intérêts ou comptes", a averti le président Aoun lors d'un message préenregistré aux Libanais depuis le palais de Baabda. "Il est inacceptable de revenir au langage des armes car nous avons tous convenu de tourner cette page sombre de notre histoire", a lancé M. Aoun, soulignant que "la rue n'est pas le lieu convenable pour manifester son opposition", dans une critique au tandem chiite. Le président a dans le même temps stigmatisé l'attitude des FL : "Tout comme installer des barricades et menacer d'escalade ne mènent pas non plus à une solution", a-t-il dit. Et de poursuivre : "Toute crise peut être résolue à travers les institutions et conformément à la Constitution sur laquelle rien ne doit prévaloir, ni les menaces ni les intimidations.
"Le pays a besoin d'une résolution calme de ses crises, a poursuivi le chef de l'Etat, à travers ses institutions à commencer par le Conseil des ministres qui doit se réunir sans tarder". Un deuxième message implicite lancé par Michel Aoun au Hezbollah dont les ministres, avec leurs collègues du mouvement Amal, ont décidé de boycotter le gouvernement tant que celui-ci ne prend pas une position claire contre le juge Bitar. Mardi, suite à une longue intervention du ministre de la Culture Mohammad Mortada (chiite, Amal) sur la nécessité de prendre position en Conseil des ministres sur le dessaisissement du juge, de profondes divisions sont apparues et la séance a dû être levée. La réunion du lendemain a également été reportée sine die.
Le président a de nouveau dit soutenir l'enquête sur la double explosion du port, et en faire "une priorité", "sur base de l'indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs". Il a enfin rassuré les Libanais que le pays "ne se dirige pas vers une nouvelle crise, mais vers une solution".
Contacts intensifs
Selon notre correspondante à Baabda Hoda Chédid, des contacts à haut niveau ont été menés et ont abouti au retrait des éléments armés de la rue et à un retour au calme. Le président de la République s'est dans ce cadre entretenu avec le président du Parlement, Nabih Berry - dont le mouvement Amal a perdu trois membres lors des affrontements - et lui a présenté ses condoléances. M. Aoun a également contacté le chef des FL Samir Geagea dans le cadre de ses efforts pour un apaisement.
Dans un communiqué publié en soirée, le Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil a lui aussi dénoncé les événements sanglants de la journée, en stigmatisant tout autant le comportement du Hezbollah que celui des FL, mais sans les nommer. Le CPL a notamment reproché au parti de Hassan Nasrallah de manifester "dans la rue et par le biais d’intimidation médiatique" son opposition à la procédure engagée par le juge d’instruction Tarek Bitar. "Personne ne peut s’arroger le droit d’interdire par n’importe quel moyen la liberté d’expression, notamment par la violence ou encore d’imposer par la force son opinion aux autres", a dit le CPL qui visait ainsi les deux partis. "Ce qui s’est passé aujourd’hui est une agression armée contre des gens qui voulaient exprimer leur point de vue, même si nous ne sommes pas d’accord avec celui-ci", a poursuivi le CPL qui a appelé les autorités compétentes à identifier les coupables et à les déférer sans tarder devant la justice. "Ces gens préparaient une discorde qui a été étouffée dans l’œuf grâce à ceux qui ont fait preuve de retenue et ceux qui se sont empressés de trouver des règlements politiques et sécuritaires" aux incidents de la journée.
Le CPL a réaffirmé son soutien à l’enquête menée au sujet de la double explosion au port de Beyrouth, soulignant la nécessité qu’elle se poursuive jusqu’au bout et qu’elle ne se limite pas aux responsabilités politiques et administratives. Il a jugé tout aussi indispensable dans ce contexte de "tout faire, y compris la levée des immunités, pour la faciliter". Le parti fondé par le président Aoun a mis en garde aussi contre une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, en faisant remarquer que c’est "à travers les seuls canaux judiciaires qu’une suspicion formulée à l’encontre du juge d’instruction devrait se manifester et non par l’intimidation médiatique ou le recours dans la rue".
et vous, n'avez vous point pris en otage le pays pour vos interets et comptes personnels? Le Liban est mort!
12 h 35, le 18 octobre 2021